Il ouvrit les yeux, succombant à l'assaut des rayons du soleil jouant entre le feuillage épars qui le couvrait de son ombre bienvenue. Le gazouillis d'oiseaux tout proches accompagnait ce paisible réveil, ainsi que le clapotis de l'eau remuée par quelqu'un en train de boire.
La Paix. C'était ça.
Plus de stress insoutenable. Plus de nuits passées à monter la garde ou à ne dormir que d'un œil. Bien sûr, le petit groupe restait très vigilant mais, n'ayant plus à se méfier les uns des autres comme ça avait été le cas sous la tutelle de Mu'Awiya, la paranoïa ambiante avait disparu. Enfin, Thulrur pouvait bénéficier de réelles nuits de sommeil, reposantes et qui le gonflaient d'énergie au petit matin.

Il releva la tête, prenant le temps de se réveiller à son aise. Des feuilles tombèrent de sa crinière toujours aussi ébouriffée, et sa gueule s'ouvrit sur un profond bâillement. Il se sentait bien ici, et en paix. Presque aussi bien que dans ses chères montagnes ! Il pourrait presque s'y faire... Certes, l'endroit ne foisonnait pas de proies, mais ils ne risquaient pas la disette tout de suite – et au moins, l'eau semblait claire et pure. Elle avait un bon goût et on pouvait presque lui pardonner de ne pas abriter les fameux poissons d'Ienzo.

Mais Thulrur ne se faisait pas d'illusions : il faudrait bientôt reprendre la route, car les petites proies vivant ici ne feraient pas long feu face à un groupe de lions. N'y avait-il donc aucun troupeau sur ces terres ?

Trois mois. Il lui était difficile de réaliser qu'autant de temps était passé depuis qu'ils avaient quitté les Msafara, plus encore qu'ils n'avaient plus à s'inquiéter des fantômes dans la brume. Malgré des nuits moins difficiles, Ienzo avait gardé l'habitude d'être l'un des premiers réveillés, quand les premiers rayons du soleil traversaient ses paupières parfois couvertes d'une patte dans l'espoir de grappiller quelques minutes de plus.

Et aujourd'hui était l'un de ces jours. Le visage couvert de sa patte, Ienzo se cachait du matin afin de paresser un peu plus longtemps, quand le clapotis de l'eau le tira agréablement de sa somnolence. Il redressa une oreille, celle-ci touchant presque l'eau à ses côtés puisqu'il s'endormait désormais sur un côté de la rive, se laissant bercé par la familière impression de fraîcheur qui entourait le point. Quelques échos de voix lui arrivèrent bientôt, reconnaissant celle de Nguvu, le seul mâle qui avait décidé de le suivre quand il avait annoncé la séparation du clan. Il réussit à capturer également le nom – ou plutôt, le surnom du montagnard, un détail qui lui fit étirer l'ombre d'un sourire amusé.

D'une façon plutôt mollassonne, il fit glisser sa patte sur le sol, penchant la tête en arrière pour apercevoir les deux mâles et observer d'un air tranquille la scène, attendant simplement que l'un d'eux, ou même un autre membre de leur groupe, pose ses yeux sur lui avant de souffler un Bonjour... légèrement enroué. Et sans faire plus de bruits que ça, il s'étira les pattes, réprimant un long bâillement.

« Tu seras cheffe, ma fille »

Elle a encore du mal à y croire, la Nihah. Si son nom aurait pu lui foutre la puce à l’oreille — « princesse noire » —, l’humilité se serait chargée de la remettre à sa place. Sa place. Celle d’un membre sage du groupe ; femelle docile qui suit les ordres d’un meneur solide. Elle n’a pas les épaules, la Nihah. C’est ce qu’elle se rabache. C’est ce qu’elle se murmure.

En partant vers l’autre bout du monde — à des miles de Mu’Awiya le Maudit —, la lionne pensait finir sous la coupe d’un autre mâle : Thulrur. Elle le voyait là-dedans. Ouais. Il en avait la carrure, à ses yeux. Il l’a encore. Lui, calme comme un roc les jours de soleil puis volcanique comme la lave lorsque l’orage gronde.
Mais voilà. Ils ont choisi. Ils l’ont choisi. Elle ne pige pas, la Nihah. Pourtant, sa bouche n’a pas hurlé au scandale, à l’hérésie. Elle a senti son cœur s’emballer, ce soir-là. Et, en silence, la Nihah s’est jurée de ne jamais les décevoir — ou le moins possible. De ne jamais arrêter de les écouter, aussi.

Elle sera le guide s’ils veulent mais pas plus ; l’amie s’ils en ont envie mais pas la reine de Saba.

Et c’est animée par la même énergie — renouvelée par leurs visages chaque matin depuis trois mois — que la Nihah se lève avec l’aurore. Elle s’avance prudemment, explore, se promène. Plus que tout, la Uamuzi cherche ce qui est susceptible de leur faire défaut : des proies.

Ce matin-là ne fait pas exception. La Rebelle s’est écartée du camp alors que le soleil n’était pas levé, a relevé des pistes qui auraient pu avoir été laissées par des proies intéressantes, a chassé un petit animal capable de la sustenter pour un moment, puis est rentrée. Elle est à l’orée du camp. Le pelage un peu souillé par les déplacements dans la végétation, des feuilles éparpillées contre sa peau pâle, la Nihah s’avance. Il y a des voix sourdes qui s’élèvent, là, dans le coin. Elle se rapproche du groupe de mâles avec un sourire timide sur les lèvres.

- Bonjour ! Vous me faites une petite place ?

Elle prend ses quartiers au bord du point d’eau pour s’y allonger. Elle bâille sans grâce aucune, puis s’étire en ronronnant tout bas. Elle n’est pas sûre d’avoir déjà connu une paix pareille en vivant à la Caravane. La présence de Mu’Awiya l’encourageait alors à y être en permanence sur ses gardes ; il n’avait pas hésité à profiter de sa naïveté alors que la lionne n’était qu’une adolescente. Pourquoi se serait-il encombré de règles avec une Nihah mature ?

- Vous avez des projets pour la journée ?

Elle les observe doucement tour à tour, sincèrement curieuse. Et, qui sait, peut-être qu’il y aura une activité à laquelle l’ancienne Msafara pourra se joindre.

Ce fut un doux murmure qui tira la jeune lionne des bras de Morphée. Elle ouvrit paresseusement les yeux avant de les refermer presque aussitôt, surprise par la soudaine clarté. Poussant un petit grognement, elle leva une patte à hauteur de son museau pour se protéger des rayons du soleil, et enroula sa queue le long de son flan. L’idée de sombrer à nouveau dans le sommeil lui effleura l’esprit, mais de nouveaux chuchotements éveillèrent sa curiosité et eurent raison de sa paraisse. Les yeux toujours clos, Cerys dressa l’oreille, attentive. Elle pensait avoir reconnu la voix de Ienzo mais elle ne réussit pas à comprendre ses paroles.

Sa curiosité croissante, elle ouvrit prudemment les paupières afin de laisser à ses iris le temps de s’habituer à la lumière ambiante, puis se leva. Elle poussa un long bâillement silencieux et étira ses pattes une à une pour en chasser l’engourdissement de la nuit. La voix de Nihahsah s’éleva alors. Cerys se tourna en direction du point d’eau et aperçu la lionne, ou plutôt « leur Guide », confortablement installée aux côtés de Nguvu, Ienzo et Thulrur. Il ne manquait que Theluji et la troupe serait au complet. Un petit sourire se dessina ses babines tandis qu’elle s’avançait d’un pas bondissant en direction du petit groupe.

Depuis la fuite des Uamuzi, Cerys était passée par bien des états d’esprits différents. Elle avait d’abord presque instantanément regretté sa décision de fuir les Msafaras. Quelle égoïste elle faisait. Elle tournait le dos au clan que l’avait accueillie et protégée, alors que celui-ci rencontrait ses premières difficultés dans l’unique but de fuir le courroux de Mu’Awiya… « Lâche », «ingrate », … ne cessait-elle de se répéter à mesure sur ses pas l’éloignaient du « Repos ». Elle qui s’était toujours pensée « loyale », venait de s’apercevoir qu’elle n’était pas aussi vertueuse qu’elle se plaisait à le croire. Heureusement, au fil des semaines, ces sentiments négatifs s’estompèrent peu à peu. Après tout, certes les Msafaras l’avaient accueillie, mais elle avait payé son tribut en chassant dès qu’elle le pouvait et en participant aux explorations. Non, Cerys ne leur devait plus rien ! La culpabilité et les remords n’avaient plus leur place dans son cœur, ni son esprit. Il fallut néanmoins plusieurs semaines à l’adolescente pour s’en persuader pleinement. Cependant, une fois ses mauvaises pensées complètement évanouies, Cerys avait enfin pu profiter pleinement de sa nouvelle liberté et des liens qui peu à peu se tissaient entre les membres de la rébellion.

Cerys arriva au niveau du petit groupe. Elle contourna Thulrur, qu’elle effleura sans y prendre garde du bout de la queue, et vient s’allonger contre le flan de Nihahsah.

- ‘Jour …, laissa t’elle échapper en baillant de plus belle avant de poser sur museau sur ses pattes avant.

Quels étaient ses projets ? C’était une très bonne question. Chasser ? Patrouiller ? Explorer ? Les tâches quotidiennes ne manquaient pas, mais pour l’instant, Cerys voulait s’accorder encore quelques instants de quiétude avant de débuter cette nouvelle journée. Laissant les mâles prendre l'initictive, elle ferma paresseusement les paupières.

Une boule poils claire courait à vive allure entre les arbres. Sautant, virevoltant, prenant un virage serré par-ci, une grand ligne droite pas là... Theluji exultait de joie et de plaisir : sa patte avait bien guérit et il pouvait enfin courir de nouveau. Pour peu, il en aurait pleuré de joie.
Ainsi, il s'était réveillé le premier ce matin là. Dévoré par l'impatience, il s'était glissé entre les endormis en faisant bien attention à ne déranger personne. Puis, il avait filé comme une flèche à travers la nature qui bordait le camp. Avec précaution tout d'abord, il avait commencé quelques exercices pour s'échauffer puis, rapidement, il avait renoué avec l'entraînement matinal qu'il avait pratiqué durant toute son enfance. C'était une bonne façon de commencer la journée selon lui et surtout, ça lui permettait de voir ce qu'il pouvait faire ou non. Et c'était là où il était tout content : son corps lui répondait parfaitement au doigt et à l'œil. Et, si l'on oubliait les petites cicatrices sur sa croupe et sa patte, il était comme neuf.

Essoufflé, sentant ses muscles le tirer, le jeune se dit que c'était assez pour ce matin. Les autres devaient sans doute être réveillés, il pouvait dm revenir sans craindre de troubler leurs sommeils. Faisant une petite halte sur le chemin du retour à un fin ruisseau, l'adolescent aperçu les silhouettes vives de quelques lièvres courant sous le couvert des grandes feuilles vertes. Il eut instinctivement envie de les pourchassé mais il se retint. Tout seul, il serait bien moins efficace. Mieux valait retourner au camp, expliquer tout aux autres et revenir après pour la chasse. Le cœur léger, le lion clair se remit en marche, goûtant de nouveau à l'ivresse de la vitesse.

Débarquant avec souplesse au camp improvisé, Theluji se rendit compte que le reste de la petite troupe s'était regroupée prêt du point d'eau. Se joignant à eux, il leur offrit une mine joyeuse et se fut d'un ton enjoué qu'il prit la parole, non sans s'amuser des airs encore endormis de certains.

- Salut ! Dites, si ça vous intéresse, j'ai cru voir quelques lièvres pas loin en revenant. Ça pourrait être pas mal comme ptit déj', non ?

Pour la première fois depuis bien longtemps maintenant, Thulrur avait l'impression de faire partie d'un groupe. Il avait sa place au sein de la Rébellion, et ensemble, ils avaient bien plus l'air d'un clan que la Caravane n'avait jamais été. Il retrouvait là son ancien rythme de vie, du temps où les Zigil avaient commencé leur long périple jusqu'au moment où il avait dû se séparer d'eux - nomades certes, mais unis.

Les lions s'approchaient un à un, et il n'y avait rien de plus normal au monde. D'abord, ce fut Nguvu; et Thulrur l'accueillit d'un sourire paresseux et d'un petit rire. Leur première réelle discussion avait été presque similaire, et pourtant en tous points différente… car ils s'étaient reposés ensemble là aussi – mais toute l'ambiance, tout le ressenti était à présent changé.

— Je me rends compte à quel point le calme est un luxe, à présent, lui répondit-il avec un sourire d'autodérision au coin des babines. Le calme de leur Camp n'avait rien à voir avec le silence oppressant du Repos. Il se demandait d'ailleurs si les Msafara y étaient encore, ou s'ils avaient finalement succombé à l'accueil hypocrite de cette plaine herbue mais désolée.
— Viens, installe-toi, invita-t-il alors son ami, le matin n'est pas encore tout à fait là… Ou plutôt, il avait envie d'y croire et de se trouver une excuse pour paresser encore un peu.

Et en parlant de paresse, Ienzo s'éveillait justement. Pas très loin, au plus près de l'étang — c'était à se demander comment il n'y avait pas roulé pendant son sommeil ! — le Caverneux semblait également moins sur les nerfs. S'était-il tout bonnement habitué au grand air ? Ou était-ce la Rébellion qui, comme pour Thulrur et les autres, l'avait sauvé de ses démons ?
— Bonjour Ienzo… fit doucement le Montagneux, afin de ne pas réveiller Cerys trop brutalement. Elle dormait tout près elle aussi, mais avait l'air d'être sur le point d'ouvrir les yeux. Il posa sur elle des yeux bienveillants, faisant mentalement le compte dans sa tête – il manquait Theluji. Mais il ne s'alarma pas tout de suite : pendant ces trois mois passés, Thulrur avait eu tout le loisir d'apprendre que Theluji était une vraie pile électrique qui ne savait pas ce que grasse matinée voulait dire.

Il manquait Nihahsah, aussi; et Thulrur faillit s'inquiéter – mais elle le devança en arrivant justement au campement. Elle sentait bon le soleil et le vent; et son pelage était parsemé d'herbes et de graines d'arbustes par lesquels elle avait dû passer. Il comprit qu'elle s'était probablement levée avant eux pour travailler et il sentit une pointe de culpabilité lui percer le cœur.

Une gêne qui disparut dès qu'elle leur demanda une petite place et, son sourire en coin revenu, Thulrur tira son corps d'un côté pour lui permettre de s'allonger près de lui.
— Je t'en prie… l'accueillit-il avec plaisir. Ils commençaient à former un beau petit tas, très vite rejoint par Cerys qui avait finalement ouvert les yeux. Elle semblait déjà plus éveillée qu'eux — ah ! la jeunesse ! — mais, au lieu de déranger son monde, elle vint simplement les rejoindre dans leur beau petit tas qui fut alors plus beau encore.

Thulrur se sentait plus lion que jamais. Ils n'étaient, après tout, que de gros félins qui étaient censés passer la plus grande partie de la journée à dormir ainsi, les uns contre les autres – un rythme naturel qu'ils avaient tous dû ignorer en embrassant la dure vie de nomade et qui leur avait terriblement fait défaut. Il était temps de se rattraper !
Il n'y avait rien de plus naturel au monde que de sentir le pelage de Nihahsah contre le sien. La crinière de Nguvu lui chatouillant le dos. La truffe humide d'Ienzo à un souffle de la sienne. Les tressaillements d'une Cerys en plein rêve qui lui frappait le flanc sans s'en rendre compte. Le corps léger de Theluji qui s'était endormi à moitié sur tout le monde.
Tous ces matins bénis étaient autant de souvenirs qu'il chérissait précieusement.

— Attention les gars, commença-t-il à rire doucement, la cheffe passe en inspection !
Il savait que Nihahsah n'avait aucunement l'intention de les chaperonner, et c'était justement ça qui rendait la taquinerie amusante. Mais la question avait du sens : avaient-ils des projets pour la journée ? En ce qui le concernait, il commençait à se demander si cette partie-là de la Forêt était sécurisée ou non. Ils l'avaient longée pendant de longs mois – peut-être avaient-ils quitté le territoire des Entités Cornues ? Peut-être pouvaient-ils retenter leur chance, à présent ? Il fallait dire que la forêt toute proche semblait différente de celle qu'il avait autrefois explorée; moins humide (comme en témoignait l'herbe jaunie) et l'argile ayant laissé la place à de la roche noire. Elle semblait également plus dégagée, beaucoup moins dense en végétation et en arbres. Peut-être était-ce juste une impression due au fait qu'ils ne s'étaient jamais engagés plus profondément que le sous-bois (où ils avaient justement installé leur campement), mais Thulrur se disait qu'ils approchaient sans doute de la fin de cette forêt, et que ces changements d'environnement devaient signifier qu'ils approchaient d'un climat différent… car la brume et l'humidité du Repos et de ses alentours était bien loin derrière eux, à présent.

Mais il préférait en parler avec Ienzo et avoir son avis, étant donné qu'il était le seul à être entré dans Msitu avec lui, avant de faire part de ses suppositions au reste du groupe. Pour l'heure, rien ne pressait.

Fier de sa petite blague, il laissa les autres répondre à Nihahsah et ne bougea pas d'un poil, du moins jusqu'à ce que Theluji débarque en trombe. Il étouffa un grognement réprobateur; Theluji, dans son hyperactivité, avait tout l'air d'un lionceau.
— Viens te poser un instant… soupira-t-il en espérant que l'adolescent en soit capable. C'était un peu leur enfant à tous, même si Theluji était tout à fait capable de se débrouiller par ses propres moyens. Nihahsah a déjà chassé, reprit-il après une petite pause pensive, alors je viendrai chercher le petit-déjeuner avec toi, si tu veux. Il affubla leur guide d'un tendre coup de langue sur l'épaule, comme pour la remercier de s'être levée si tôt pour s'assurer de la sécurité des environs. Mais laisse-moi d'abord le temps de me réveiller…

Et ça, ça risquait de prendre un moment.

Les différentes arrivées des rebelles apportèrent quelques brides de nostalgie à Ienzo, leur réunion aux abords du point d'eau ressemblant de plus en plus à des souvenirs de son enfance, lorsque sa famille se rejoignait sur les rivages des grottes. Les yeux à demi couverts par ses paupières, il regardait les échanges dans un silence qui lui était habituel, un sourire flottant sur ses babines depuis les débuts des taquineries, les oreilles redressées et attentives lorsqu'on parlait de projets pour la journée. C'est vrai que s'il avait choisi de paresser ce matin, Ienzo ne prévoyait pas non plus de rester à se prélasser ici jusqu'à demain.

Glissant une œillade en direction de la forêt, il redressa la tête dans l'idée de répondre à Nihahsah, mais la taquinerie de Nguvu lui fit ravaler sa langue dans un excès de gêne. Sa nature discrète lui donnant quelques difficultés avec la drague et le regard appuyé du mâle pour les demoiselles de la troupe — dont une adolescente — ne laissant pas la place à un quelconque doute, il pinça ses babines et détourna le regard sur l'instant, les yeux bien ouverts pour le coup — malgré les rayons du soleil qui vinrent picoter et grignoter ses pauvres pupilles toujours mal habituées.
Toutefois, Ienzo se força rapidement à reprendre un air plus naturel, bien conscient qu'il était peut-être le seul à être gêné par cette intervention. Qui plus est, il ne voulait absolument pas créer un malaise alors qu'ils passaient un si bon moment, ainsi. Je pense que trois lions seront suffisants pour quelques lièvres. L'ombre d'un sourire malicieux tira la commissure de ses babines, puis il enchaîna. Alors je prévoyais plutôt d'explorer ce côté de forêt, pour ma part.

Depuis le temps qu'il avait envie de revenir à celle-ci et ses mystères, voilà que l'occasion était parfaite. Les changements dans le paysage avaient longtemps attisé sa curiosité, de la pierre noire à l'herbe jaunie. Le caverneux ne parvenait pas à situer l'endroit, si ce n'était la forêt entière et la soif d'aventures qu'avait réveillé sa nouvelle vie de nomade ne l'aidait pas à calmer ses pensées intrusives. Alors maintenant qu'ils étaient en sécurité, bien installés et remis de leurs péripéties, qu'est-ce qu'il le retenait ?

Naturellement, il jeta un regard à Thulrur en se demandant si quelqu'un voudrait l'accompagner, lui qui était désormais le seul ici à également savoir ce que les bois pouvaient cacher, mais il s'en détourna vite et bondit du regard d'un rebelle à l'autre, entre Cerys et Nihahsah. Le montagnard ayant déjà manifesté son intérêt pour une partie de chasse, il ne voulait pas lui retirer ce plaisir en l'influençant d'une œillade, même discrète.

Elle a « sa place », la Nihah. C’est ce qu’elle comprend quand un mâle comme Thulrur se décale pour l’accueillir auprès de lui. Ce n’est probablement pas quelque chose que Mu’Awiya aurait fait ; ou, du moins, pas de la même manière. Il aurait « cédé » sa place par « bonté d’âme », pas pour faire plaisir à une amie. Elle n’aurait pas eu l’impression d’être son égale, ou même d’avoir une quelconque importance pour lui.
Mais c’est différent. Tout est différent, désormais. Chacun a le droit de s’exprimer ou de prendre des initiatives — même les plus jeunes qui ont aussi des choses à dire…

Ouais, bon, pas dans l’immédiat à en juger par la monosyllabe qui a échappé aux lèvres de Cerys avant que celles-ci ne se scellent à nouveau. Les siennes se fendent d’un sourire ponctué d’un sourcil haussé — le signe que la scène est comique, selon elle. Elle reçoit la jeune femelle contre son flanc avec bonheur, puis la salue en lui léchant gentiment l’oreille.

C’est Thulrur qui reprend pour « répondre » entre grosses guillemets. Il lance une boutade qui lui arrache un rire nasal mais ses prunelles ne manquent pas de sonder le ciel. Elle secoue la tête en espérant avoir l’air sincèrement désappointée ; c’est sans compter sur son visage qui ne traduit qu’un mélange de timidité et de bonne humeur. Elle sait qu’ils sont conscients de ses limites en tant que « cheffe ». Elle sait qu’ils n’iront pas lui demander des ordres que la lionne est incapable de donner. Elle compte simplement sur eux pour être responsables, dynamiques et autonomes.

Son attention est rapidement happée par l’arrivée de la petite bombe sous pression : Theluji. Ils se ressemblent un peu, en réalité. Elle non plus n’aime pas rester immobile ; mais ses parents lui ont enseigné à canaliser son trop-plein d’énergie pour ne pas épuiser les autres. Un apprentissage que le garçon a semble-t-il esquivé jusque-là. Pour le mieux, d’ailleurs ? Elle aime à croire qu’il a peut-être survécu seul grâce à cela, la Nihah.
Elle lui adresse un sourire navré lorsque Thulrur annonce qu’elle a déjà chassé. Pour la peine, la Rebelle regrette d’avoir voulu se débarrasser des « corvées » avant l’aube. Elle aurait aimé participer à la chasse groupée.
Elle répond à la caresse de son « garde-du-corps » en frottant sa joue contre son épaule. Chacune des petites attentions glanées au fil des jours la gonflent d’aise.

- Mais laisse-moi d'abord le temps de me réveiller…

Elle se marre à voix basse contre la peau chaude du mâle. Elle relève son minois d’ange pour l’observer avec une lueur malicieuse dans les billes.

- Tu crois y arriver avant que les autres meurent de faim ?

Le bout de sa queue remue gaiement alors que Nguvu semble en rajouter une couche discrètement. « Cheffe » encore. À chaque fois que le mot sort d’une bouche, son cœur rate un battement. Elle a peur de ne pas en être digne, la Nihah.
Peu habituée aux compliments, l’ancienne Msafara baisse les yeux. Elle ne sait pas si c’est la gêne qui prime ou la reconnaissance. Non pas que la femelle se pense spécialement jolie… D’ailleurs, de son point de vue, Cerys l’est beaucoup plus. Une Cerys que la Nihah cajole sur le haut du crâne pendant quelques secondes ; un peu comme elle a pu le faire des milliers de fois avec sa petite sœur, durant leurs soirées à elles.

Ienzo la « sauve » dans son trouble — à savoir trouver quoi répondre à Nguvu — en annonçant ses propres idées pour occuper sa journée. La réaction de la lionne ne se fait pas attendre : il n’y a rien qui lui plaise plus qu’explorer — quand les serpents ne sont pas au bout du chemin.
Allongée en sphinx, les oreilles dressées, la Nihah essaie de peser ses paroles pour ne pas se jeter sur le lion à la crinière déconcertante. Il ne manquerait plus qu’il se sente agressé.

- Comme l’a dit Thulrur, j’ai déjà chassé. Je peux t’accompagner ? Si tu en as envie, bien entendu ! Je ne force rien.

Non. Elle n’a pas croisé ses orteils pour attirer la chance. Vous n’avez pas de preuve !

Les yeux toujours clos, mais bien éveillée, Cerys sentit un sourire s'étirer sur ses babines lorsque la langue râpeuse de Nihahsah vient lui caresser l'oreille. Elle était entourée de sa nouvelle famille -ou du moins ce qui s'en rapprochait le plus -, le ventre plein, le soleil venant lui réchauffer le dos et le clapotis de l'eau pour toute mélodie. Que pouvait-elle souhaiter de mieux ? Un instant simple, de pur bonheur, durant lequel le temps semblait s'être figé.

Soudain, et bien malgré elle, ses pensées s'envolèrent vers les Msafara. Kosa, Muuji, Heka et tous les autres, où pouvaient-ils bien être ? Avaient-ils trouvé de quoi se nourrir ? Les clans des brumes les avaient-ils retrouvés ? Elle sentit une pointe de culpabilité l'envahir. Son ingratitude envers son clan d'accueil était aujourd'hui récompensée par cet instant de quiétude. Quel étrange coup du sort ...
Cerys ouvrit les yeux et releva la tête en la secouant légèrement de droite à gauche. Un mouvement destiné à lui remettre les idées en place, mais qui pouvait parfaitement être interprété comme un geste maladroit pour tenter de se réveiller.

La voix rocailleuse de Thulrur réussit finalement à la ramener à l'instant présent et à lui faire oublier ses mauvaises pensées. "La cheffe, passer à l'inspection ?". Cerys laissa échapper un petit rire malgré elle et leva une patte jusqu'à son museau pour en atténuer le bruit. Etait-ce la boutade ou bien l'air faussement courroucé de leur Guide qui était le plus comique ?

Alors que l'adolescente retrouvait son sérieux, un nouveau bruit de pas résonna, rapidement suivi pas la voix de Theluji. La troupe était enfin au complet. Cerys lui adressa un chaleureux sourire - sa patte semblait complètement guérie désormais - puis reporta son attention sur la conversation et les malicieux échanges de Nguvu, Nihahsah et Thulrur.

Toujours lovée contre le flan de la lionne, l'adolescente ronronnait paresseusement, fermant les yeux de contentement à chacune des caresses que Nihahsah déposait sur le haut de son crâne. Comme cela lui avait manqué. La tendresse d'une amie, d'une sœur presque. Une sœur, pleine de le charme et à la personnalité attachante, qui avait l'art et la manière d'attirer tous les regards. Cerys adressa un petit sourire complice à Nguvu lorsqu'elle entendit sa plaisanterie. Pas un instant, l'adolescente n'imagina que celle-ci pouvait en fait être un compliment, et encore moins qu'il pouvait lui être également destiné. L'adolescente grandissait à vue d'œil, mais ne semblait pas en être consciente.

L'idée de partir en chasse aux côtes de Theluji, Thulrur et Nguvu était tentante, mais celle de Ienzo l'était encore plus. Si le regard du caverneux ne s'était pas attardé une brève seconde sur elle, et si Nihahsa n'avait pas fait le premier pas, Cerys serait sans doute restée silencieuse.

- J'aimerais moi aussi t'accompagner ! Lança-t-elle sur un ton plus empressé qu'elle ne le souhait. Ses oreilles s'affaissèrent légèrement, et son regard se promena de Nihahsah à Ienzo. D'un ton plus mesurer elle ajouta : Enfin, ... si vous êtres d'accord.

Trop heureux qu'il était, Theluji avait tendance à oublier que certains n'étaient pas aussi matinaux que lui. D'autant plus qu'il lui restait encore des habitudes de sa vie au sein de son clan originel. Là-bas, se lever tôt était une question de survie si l'on voulait affronter le blizzard incessant ; par contre, ils étaient du genre à rattraper leur manque de sommeil le reste de la journée, pour peu qu'ils trouvent un endroit apte à la chose. Mais ça, c'était finit et, même s'il le savait, il avait toujours du mal à s'y faire.
Baissant les oreilles d'un air mi-pataud, mi-désolé sous l'injonction de Thulrur, il s'assit nonchalamment avant de se laisser glisser contre le sol terreux avec un certain plaisir. C'était vrai que ça faisait du bien de se poser un peu...

- Pardon, j'avais oublié... encore...

En retour au sourire de Cerys, il lui glissa un petit regard taquin typique d'un chenapan qui en réalité, n'est pas vraiment si désolé que ça. Le lion brun reprit la parole en suivant et lui apprit que Nihashah avait déjà chassé. Posant ses yeux clairs sur la lionne à l'air presque fautif, le jeune haussa joyeusement les épaules d'un air tranquille. Pas grave, ça lui apprendra à se faufiler en douce hors du camps ! Puis, Thulrur et Nguvu se proposèrent gentiment pour une partie de chasse. L'adolescent était content de l'aide qu'étaient prêt à apporter les deux mâles mais, s'il était le seul à ne pas avoir mangé, ça l'ennuyait un peu d'entrainer à sa suite deux autres lions qui n'avaient rien demandés.

- S'il n'y a que moi qui n'ait pas mangé, j'ai pas envie de vous embêter, je ferais mon affaire de mon côté !

Ce n'était après tout ni la première fois ni certainement pas la dernière qu'il se devrait de chasser seul. Il était parfaitement capable de se gérer lui-même et surtout, il n'aimait gêner les autres surtout quand il y avait une solution tierce.
Écoutant la suite des interventions, l'idée d'Ienzo vint taquiner méchamment la curiosité de Theluji. Il ne dit cependant rien mais il gardait dans un coin de son esprit l'idée d'aller lui aussi explorer les alentours. Après tout, ils ne savaient pas grand chose de ce qui les entouraient alors autant en profiter pour s'amuser un peu ! Tout à ses pensées, le jeune ne souleva pas le début de dragouille de la part de Nguvu ni la gène légérement d'Ienzo. Il était à des années lumières de ce genre de choses et, même s'il en connaissait les tenants et aboutissants, ça lui passait tout simplement au dessus de la tête.
Se mettant à se gratter son oreille valide en des gestes lents, il laissa un petit sourire amusé se peindre sur ses babines sous le rétro-pédalage de réactions de l'adolescente. C'était toujours amusant de voir à quel point, dans certains moments, elle effectuait ces petits retours en arrière.
Baillant à gorge déployée, le lion clair posa finalement sa tête sur ses pattes avants croisées, observant la suite des évènements d'un œil aussi tranquille que joueur.

Les commentaires s'enchaînaient: Theluji, qui regrettait presque sa proposition; Nihahsah, qui jouait le jeu de Thulrur et dont les boutades l'amusèrent, jusqu'à raviver son sourire en coin; Nguvu, qui… qui devint soudain très gênant.

Thulrur sentait bien que c'était là une taquinerie du mâle, et pourtant, il ne la comprenait pas. Ce n'était ni drôle, ni recherché – et, l'espace d'une seconde, Thulrur crut croiser le regard d'un Ienzo tout aussi dérangé que lui (si pas plus). Était-ce la jeunesse de Nguvu qui le rendait si peu subtil ? Était-ce ses hormones qui le faisaient saliver de manière aussi flagrante ? Ou était-ce encore un choc des cultures ?
Parce que chez les Zigil, jamais un commentaire comme ça ne serait passé. Au fil du temps, Thulrur avait de plus en plus l'impression que Nguvu cantonnait les femelles à une vision de douceur, de passivité et de soumission – un rôle qu'elles n'avaient pas, de là où il venait. Thulrur voyait Nihahsah comme une lionne forte, solide et intelligente; pas comme une petite minette qui allait se mettre à minauder après un regard salace. Même Cerys, pourtant au seuil de l'âge adulte, lui paraissait plus maligne que ça.

Mais, encore une fois, peut-être se trompait-il. Toujours est-il qu'il craignait retrouver en Nguvu un des côtés malsains de Mu'Awiya, et qu'il le surveillerait de près si jamais il se faisait un peu trop entreprenant avec les lionnes du groupe – non pas qu'il doutât de leur capacité à se défendre seules contre les avances déplacées, mais un coup de patte n'était en général jamais de refus.

Heureusement pour tout le monde, Ienzo sauva l'ambiance générale en partageant ses propres projets. Encore une fois, Thulrur croisa son regard; mais les choses avaient changé, à présent. Chez les Msafara, ils n'étaient que deux contre le reste du monde – chez les Uamuzi, Ienzo avait autant d'alliés que de compagnons de "clan". Les volontaires commencèrent donc presque à se bousculer pour se proposer, et Thulrur se mit à rire doucement. C'était un rire sourd mais chaleureux, naissant au fond de ses entrailles et qui faisait vibrer tout son poitrail; mais sans même dépasser ses babines. Un rire intérieur, roulant comme le tonnerre sur les pentes escarpées d'une montagne de brume.

— Eh bien, je crois que les jeux sont faits ! Les groupes étaient équilibrés : deux adultes et un adolescent de chaque côté, ça semblait bon. Et pourtant, Thulrur se demanda un instant s'il ne fallait pas mieux que quelqu'un reste derrière pour surveiller le campement. Quoique… si quelque chose venait le menacer, un seul lion n'y pourrait sans doute pas grand-chose, alors s'ils devaient s'éloigner, autant qu'ils soient ensemble…

Ce n'était d'ailleurs pas plus mal qu'Ienzo et lui soient séparés: ils étaient les seuls à avoir déjà rencontré les Entités Cornues alors, si un des groupes devait tomber dessus, ils pourraient au moins s'en faire les émissaires. Il sourit doucement à son ami, fier de pouvoir mettre toute sa confiance en lui.
— Si Ienzo est avec vous, alors je ne me fais pas de souci. C'était lui qui avait directement parlementé avec les dieux, après tout. On va essayer de vous ramener de quoi vous remplir le ventre à votre retour.

Pourtant, Thulrur ne bougea toujours pas – il n'était pas question de s'y mettre tout de suite. Il voulait encore profiter un peu de sa grasse matinée et de leur beau petit tas de lions.

Les oreilles redressées et les babines fendues d'un petit sourire, Ienzo posa un regard amusé sur les deux lionnes plus qu'enthousiastes à l'idée d'explorer la forêt, laissant entendre un rire attendri lorsque Cerys se rattrapa timidement. Vous êtes toutes les deux les bienvenues. Répondit-il doucement, une oreille tournée dans la direction de Thulrur et son rire chaleureux. C'est à la remarque de celui-ci que sa tête suivit le mouvement, la mine surprise, puis reconnaissante. Que le montagnard lui fasse aussi confiance le toucha grandement, sa poitrine se gonflant d'une inspiration fière qui souleva également ses épaules avant de les faire retomber doucement, remerciant l'attention qu'il portait à leur faim d'un hochement de tête.

À nouveau, il tourna son regard vers la forêt même s'il ne comptait pas partir tout de suite, voulant profiter de leur matinée paisible et ne pas interrompre le moment de tendresse entre ses deux camarades, quand la voix hésitante de Nguvu lui rappela qu'il n'était pas toujours aussi discret qu'il le voulait. Ses oreilles pivotèrent vers l'arrière sur le moment, se retenant de plaquer une patte sur son visage pour se punir d'avoir mis Nguvu à mal puisqu'il se doutait que le lion n'était pas mal intentionné, du moins l'espérait-il.
Ienzo se roula doucement sur l'autre flanc pour s'éloigner de l'eau et se rapprocher de Nguvu, haussant les épaules à l'attention de celui-ci avec un sourire. Il voulait le rassurer sans toutefois savoir quoi lui répondre, alors il accepta simplement ses excuses.

Après quoi, il referma ses yeux et s'étendit paresseusement, soupirant silencieusement de bien-être. Il se demandait bien ce qu'ils allaient trouver dans cette partie de la forêt... La trace de plus grosses proies, souhaita-t-il secrètement. C'était la seule chose qui manquait à leur petit paradis.

Nihahsah pouffe. Cerys s’est empressée de la rejoindre dans son excitation ; à croire qu’elles ont aussi le goût de l’exploration en commun. L’aînée couve la plus jeune d’un regard doux. Elle lui donne un petit coup d’épaule pour lui assurer son soutien — ouais, Cerys a sa place à ses côtés. C’est donc deux paires d’yeux chargés d’espoir qui s’arrêtent sur Ienzo. Le juge.

Finalement, les échanges se poursuivent. Thulrur intervient, Ienzo consent à les laisser venir, puis Nguvu prend la parole. Ses excuses lui serrent le cœur, à la Nihah. Elle ne comprend pas bien. Il ne lui a pas semblé qu’une personne ait montré une animosité particulière ? Est-ce qu’il a mal interprété son silence ? Elle aurait dû répondre… Elle aurait mieux fait de le remercier, de passer au-dessus de sa propre gêne. Elle retient un soupir désolé. Elle baisse spontanément les prunelles vers ses pattes, labourant discrètement la terre de ses griffes. Elle ne sait plus où se mettre. Une œillade lui suffit à comprendre que quelques-uns de ses congénères sont dans le même trouble : à commencer par Ienzo. Il tente un rapprochement « décontracté » pour rassurer le lion penaud.
Si la Rebelle se garde de les rejoindre, le cœur y est.

Une fois le malaise plus ou moins dissipé, la Nihah décide de se laisser à nouveau au sol. Les autres n’ont pas motivé à partir dans l’immédiat… Néanmoins, la lionne — elle — est bien réveillée. Aussi, le bout de sa queue remue avec enthousiasme. Elle n’a pas joué depuis longtemps. C’est peut-être le moment d’importuner ses congénères ? Pourquoi pas !
Elle roule sur le dos, s’étire langoureusement, puis attrape les pattes avant de Cerys « l’air de rien »… Jusqu’à ce qu’elle vienne porter l’un des deux membres délicats à ses lèvres pour mordiller les doigts graciles. Les pupilles dilatées, la Nihah laisse échapper le roucoulement caractéristique de l’invitation à jouer, entrecoupé de ses ronronnements détendus.