Mu'Awiya avait connu des jours meilleurs, il se devait d'être honnête envers lui-même. Sa santé virait aléatoirement, il y avait des jours où il se trouvait être dans une forme passable, lui permettant au moins de se déplacer et presque de chasser - bien que l'activité physique brusque le rendait soudainement vaporeux - et des jours où il se trouvait capable de rien.

Aujourd'hui était un entre-deux.

Il s'était levé tard car il avait veillé une bonne partie de la nuit, assit entre les ronces, fixant les étoiles. La maladie le rendait insomniaque et narcoleptique et cette instabilité le rendait malade.
Marchant tranquillement dans le camp, cherchant à masquer la faim dévorant ses entrailles, il vit s'approcher une lionne. Il s'arrêta, arquant un sourcil lorsqu'elle déposa une offrande entre ses pattes.

« Bonjour. J'ai un coq en trop. Le voulez-vous ? » Mu'Awiya posa deux billes rougeâtres sur la jeune Kosa. Il semblait tout à fait surpris de ce cadeau qu'elle lui faisait, il n'était pas habitué à ce que l'on s'occupe de lui. Il aurait put très mal le prendre, s'énerver face à cette démonstration de pitié - du moins le voyait-il comme cela. Mais il préféra hocher la tête avec douceur.

« Tu es bien aimable, Kosa... Je t'en remercie. » Il s'assit devant cette proie morte et la retourna du bout de la patte, comme s'il l'inspectait. En réalité, c'était plutôt dû au fait que la faim dans son ventre s'était changer en nausée. Il ne voulait pas montrer ce soudain changement au fond de lui et préféra embrayé sur une conversation :

« D'ordinaire, tu ne chasses pas plus tôt ? » Fit-il, relevant les yeux sur elle.

« Ce n'est ni le plus beau coq, ni le plus dodu. Il ne convient pas vraiment à quelqu'un de votre rang. Mais il était destiné aux plus jeunes. Sauf qu'ils ont déjà tous le ventre rempli. » Dit alors la femelle, s'excusant platement d'avoir osé donner un aussi maigre repas à son Roi. Ce dernier sembla surpris, un instant, avant de lui offrir un sourire entendu. Il semblait qu'il soit amusé par le comportement de la jeune claire, mais dans son regard une lueur plus malsaine brillait, celle d'un prédateur ayant sa proie entièrement sous son pouvoir.

« Si, d'habitude je suis levée dès l'aube. La chasse est meilleure. Mais aujourd'hui, j'ai eu du mal à m'échapper des griffes du sommeil. J'ai failli à ma tâche journalière à cause de ce réveil tardif. » Ajouta-t-elle. Elle était si formelle ! Si solennelle ! Cela avait le don d'amuser le lion qui semblait pourtant vouloir se donner l'air bienveillant. Il hocha doucement la tête, cessant de jouer avec sa nourriture pour répondre à sa comparse.

« Je mangerais ce que l'on me donne, mon rang n'a rien de spécial à ceci près qu'il est un peu une malédiction... Et venant d'une lionne aussi courtoise que toi, Kosa, même une carcasse de rat serait un somptueux festin. » Il pencha légèrement la tête sur le côté, séducteur, théâtral, toujours dans l'excès.
Cependant, il ne tarda pas, par la suite, à venir planter ses crocs dans la chair tendre du coq. Il n'était pas un adorateur de la volaille- trop de plumes - mais il fit tout comme, arrachant une bonne portion de chair pour en déguster le sang, mâchant à peine avant d'avaler. Sa nausée était partie comme elle était venue et il mangeait avec gloutonnerie.

« Hm- Hm ! Si c'est un échec, ça, je ne préfère pas voir lorsque tu réussis ! Je ne m'en relèverais pas ! » Il laissa échapper un léger rire rocailleux alors qu'en mangeant aussi vite, il ne se rendait pas compte de l'effort qu'il imposait à son corps malade.

« Seigneur ! Jamais je ne me permettrai d'offrir une telle horreur à l'un des nôtres ! Ils méritent le meilleur. Ce genre de proie est bonne pour un prisonnier et encore. » Après lui avoir brièvement remonter le moral, elle s'indigna brusquement de la façon dont le lion avait laissé supposé accepter d'être nourrit. Elle sembla horrifiée par cette vision et Mu'Awiya ne put s'empêcher d'en être légèrement agacé.
Oui, cela prouvait une forme de dévotion - ou de bienveillance - qu'il était nécessaire d'avoir dans une troupe comme celle-ci. Il n'empêche qui n'aimait pas les récriations futiles.

« Je vous remercie. Mais les meilleures proies restent celles que l'on ne peut chasser qu'en groupe. Les plus imposantes et les plus dangereuses. » Ajouta-t-elle, alors flattée de voir le lion se nourrir de ce qu'elle avait apporté. Mu'Awiya prit soin de finir sa bouchée, tant pis pour les plumes, avant de de redresser de nouveau. Il se lécha les babines et hocha doucement la tête, posant sur elle cet éternel regard ambiguë.

« Lorsque j'aurais retrouver toute ma superbe, je trouverais un territoire qui en regorge... Mu'Awiya en fait le serment. » Il se lécha une nouvelle fois les lèvres, chassant les plumes qui s'y étaient collées. Il ne prononçait pas ces paroles en l'air, contrairement à ce que l'on aurait put croire venant de lui, mais il était parfaitement sincère et déterminé à trouver un nouveau lieu pour son clan.

Il était un dictateur, un tyran, un monstre et un fou, mais il n'était pas un lâche. S'il avait prit la responsabilité de son clan, loin de se rendre compte de sa propre envie de pouvoir, c'était en partie pour son propre bien. Il avait cet égocentrisme qu'il prenait pour de la bienveillance, celui qui lui soufflait qu'il n'était personne en ce monde qui ne puisse sauver son clan, lui à part. Il était le sauveur et il voulait les sauver. Il était le guide et il voulait les guider...

« J'aimerais voir notre clan briller de nouveau, les lionceaux pulluler et... Et les miens également. » Lorsque Nihahsah aura comprit qu'il n'y a pas de mâle en ce monde plus digne d'elle que lui.

« Ce serait le plus bel accomplissement de notre quête. » Le plus beau, n'est-ce pas. La lionne poussa un sourire d'envie et Mu'Awiya se sentit libre de l'interpréter comme il le voulait. Il y voyait là une lionne soupirante, une potentielle proie. Son côté docile ne l'attirait guère, au départ car il aimait brisé la fierté des lionnes, il aimait par dessus tout qu'elles aient du caractère. Elles devaient être fortes pour que sa descendance le soit. Mais Kosa avait tout de même un charme, comme toutes les femelles, en plus de son dévouement qui plaisait au mauvais mâle.

« Comment puis-je aider les nôtres, en attendant notre prochain départ ? » Demanda-t-elle sous le regard légèrement surpris du lion. Aider ? Elle voulait aider ? Mu'Awiya avait bien des idées. Trop, peut-être. Mais il se devait d'être subtil en dépit de son état car s'il se montrait trop pressant elle prendrait la fuite. Comme quoi, il avait été capable d'apprendre de ses erreurs, lui aussi.

Il lança alors un regard sincèrement peiné vers l'horizon, observant sans un mot la lande violette qui les entourait. Il soupira, même, plissant légèrement les yeux, pensif.

« Tu ne peux rien faire de plus, Kosa. Enfin-... Pas dans l'immédiat. » Et, mystérieux, il ne s'étendit pas sur le sujet. Il reposa les yeux sur elle, semblant accablé par une terrible peine. A la vérité, cette peine n'était pas simulée, du moins, aux yeux du lion. Il craignait que son état de s'aggrave et il craignait encore plus de ne rien laisser sur cette terre : réflexe brutal de mâle primaire. C'est donc sur le ton de la confidence qu'il changea de sujet, du tout au tout :

« Kosa... Douce Kosa. M'est-il permis de te faire une confidence, à toi ? Tu sais, je ne me confie pas à n'importe qui, Mu'Awiya est un être prudent. » Affirma-t-il, glissant un regard suspicieux aux alentours avant de reprendre : « Puis-je avoir ta parole que tu ne diras rien, ni à ta famille, ni à ton clan qui sont, de mon point de vue, les même lions ? »

« Vous avez ma parole. » Mu'Awiya fut ravit de la voir tant impliquée dans sa demande de secret. Elle semblait, du moins de ce qu'il pouvait juger d'une face si peu expressive, ravie ou du moins fière d'être ainsi choisit pour porter la confidence de son chef. Le lion se retint de sourire, il aimait voir les lions dociles, sous sa patte, mais il ne pouvait se permettre de le montrer.

Elle inclina la nuque vers lui et il s'approcha également de son oreille, prenant soudainement un air grave. Ce qu'il avait à lui dire ne l’enchantait pas, mais il lui sembla sage de le faire.

« Kosa... Je- Je suis en train de mourir. » Il ne voulait pas l'admettre devant un autre lion que lui-même, mais il savait Kosa discrète, il savait qu'elle ne dirait rien, qu'elle ne tenterait rien pour le remplacer. Il se recula légèrement, le visage mélancolique et il reprit :

« Le venin qui coule dans le corps de Milo a investit le miens et de jour en jour je... Je me sens dépérir. Je ne sais pas si je verrais cet idylle dont nous rêvons tous. Je ne pense pas avoir le temps de prendre lionne et d'engendrer. » Il détourna le regard. Tout cela était finement jouer, juste assez de pitié pour ne pas tomber dans le pathos. Pas de larmes ! Non, pas de larmes. Il fallait rester un lion fort, un mâle puissant. Vulnérable, mais puissant.
Il ressentait réellement cette angoisse, cet engourdissement du cœur en pensant à la maladie qui rongeait peu à peu sa vie, mais il en jouait avec Kosa.

« Non ! » Il découvrit ses crocs dans une légère grimace : il détestait ce mot.

« Vous ne pouvez pas nous laisser. Pas de cette manière. Le clan a besoin de vous pour continuer. Nous sommes restés parce que nous avons foi en vous. Vous êtes notre guide. Vous venez de prêter serment ! » Bien, brave petite... Songea le mâle au sommet de son influence. Elle y croyait, tous devait y croire. Mu'Awiya ne devait pas la perdre, pas maintenant. S'il voulait garder une prise assez forte sur son clan il aurait besoin de lionne comme elle.

« Vous ne pouvez pas nous laisser. Pas de cette manière. Le clan a besoin de vous pour continuer. Nous sommes restés parce que nous avons foi en vous. Vous êtes notre guide. Vous venez de prêter serment ! » Il planta momentanément son regard dans le sien. Il avait prêter serment, oui, et il ferait tout pour parvenir au bout de ce dernier mais la maladie n'était pas quelque chose qu'il pouvait contrôler, à son grand désarroi.

« Le père du petit Muuji a lui aussi été mordu par un serpent. Il s'en est sorti. Ce sera votre cas, à vous aussi. Ne laissez pas le désespoir envahir votre cœur. Vous vaincrez cette satanée maladie et on réussira à trouver notre paradis !
- Il n'a pas été mordu par le même serpent, il faut croire. » Souffla-t-il, soudainement épuisé. Ces changements d'états étaient fréquents et il s'en accommodait comme il pouvait. Il plissa légèrement les yeux pour ne pas tanguer tandis que ses muscles tendus lui faisaient de plus en plus mal. C'était tout à fait le moment, à vrai dire, de perdre le peu de force qui lui restait pour aujourd'hui.

« Je ferais de mon mieux pour m'en sortir... Mais je ne suis pas un Dieu. » Et il grimaça, comme si cela lui arrachait la gueule de l'avouer. « Je compte sur toi et les autres pour vous entre-aider jusqu'à ce que je réussisse à m'en sortir. La Lande est bonne, mais elle n'est pas un territoire propice sur le long terme. »

Mu'Awiya aimait ce contact, lui. Tous les êtres vivants ont le corps chaud et celui de Kosa l'était un peu plus, elle était une femelle, une femelle docile et il voyait bien qu'elle se prenait dans son jeu. S'il en avait eut la force, à cet instant précis, il ne lui aurait pas laisser l'occasion de se reculer. Mu'Awiya était ainsi, il prenait ce qui lui faisait envie sans se soucier de ce que pouvait ressentir les autres et la frustration de la sentir rompre le lien physique qui les unissait le fit emmètre un léger grondement.

« Pardon. Vous gaspillez votre énergie à me répondre. » Dit-elle, une mine coupable sur le visage. Il aurait aimé lui répondre le fond de sa pensée, mais les grivoiseries l'aurait fait fuir et il aurait été incapable de la rattraper dans son état.

« Je prendrai soin des nôtres. Revenez-nous victorieux de votre combat. Nous comptons sur vous. » Elle hocha la tête et s'éloigna. Le lion la laissa aller, silencieux. Elle n'avait pas besoin qu'on lui dise quoi que ce soit, de toute façon, elle avait fait le bon choix en n'insistant pas car le mâle était tout à fait épuisé et dès qu'elle s'en fut, il se laissa choir sur le flanc, entre les fleurs violettes. Le pollen l’assomma et il somnola, brumeux. Il songeait à sa disparition, au manque qu'il ne causerait nul part et il ne put retenir une grimace.

Avait-il finit par tous les faire fuir ?