Le coupable idéal

Inqaku

À force de passer ses journées à faire les cent pas devant la rive, à attendre d'y apercevoir Jacayl, Sipho creusait un véritable gouffre entre lui et les membres de son clan. Il ne partageait plus rien avec eux, lui qui pensait pourtant à prendre la relève de sa mère en tant que nouvelle figure de paix et voulait offrir à ses futures sujets la tranquillité. Le prince n'accordait pourtant rien de son intention à ses camarades gris, il les croisait et au mieux il échangeait un regard avec eux mais sa relation avec le clan allait rarement plus loin que ça; Un simple regard.

Alors qu'il revenait bredouille de sa quête, le jeune amoureux n'avait pas été d'humeur cette fois à faire l'honneur à quiconque il croisait d'une oeillade quelle qu'elle soit. Il était bien trop désespéré et bien trop énervé contre sa mère prêt encore une fois à lui tenir tête: Si Jacayl n'était pas venu cette fois de plus c'est qu'elle devait en être pour quelque chose. Sipho savait sa mère rusée, elle n'en était pas arrivé jusque là par hasard, elle avait travaillé pour avoir son rang de grande Dame et elle le méritait mais sa guerre prenait le pas sur les sentiments et écrasait sans ménagement ceux de son propre fils.
La traitrise de Sipho n'était plus un secret depuis longtemps pour la Dame de Khomba c'est pourquoi le Prince n'avait pas fait l'effort de cacher ses véritables intentions en interpellant sa mère lorsqu'il la rejoins sur le promontoire;

- Qu'avez vous fait mère? Le Prince s'était rapproché de celle qui l'avait vu naitre d'un pas plus vif, les sourcils doucement froncé. Où est-elle? En temps de guerre il n'y avait plus d'honneur, plus de bienséance, plus de sentiments, tout cela était réprimé et tout ce qui comptait c'était d'écraser l'ennemi et si pour ce faire il fallait s'attaquer à l'Amour lui même et détruire tout espoir de paix et bien ce serait chose faites. Sipho en était convaincu, sa mère ne lésinerait pas sur les moyens et il était également certain qu'elle n'appréciait pas l'idée de sa relation avec la fille du Consul Cidanka c'est pourquoi elle y avait mis un terme à sa manière.

- Votre haine, c'est à l'égard de Ksanaksan que vous la nourrissez, pas à son égard! Si vous vous en êtes prise à elle... Avait-il murmuré à sa mère entre ses crocs, comprenant finalement qu'il n'était pas réellement en mesure de faire quelque réclamation que ce soit concernant ce sujet en particulier. Ce que le pauvre idiot ne comprenait décidément pas c'était guerre et à la véritable haine millénaire qui poussait les Cidanka et les Khomba à ces effusions de sang à chaque fois que le fleuve s'asséchait: Il était incapable de s'apercevoir qu'elle était au moins aussi forte que l'amour qu'il pensait nourrir pour Jacayl.

En s'en prenant à sa propre mère Sipho avait oublié qu'il ne faisait pas face à n'importe quelle lionne: Il avait là, la Dame de Khomba, la toute puissance du clan, son coeur et son âme.

- Vraiment… ? Ce simple mot avait suffit à déstabiliser le jeune adulte qui s'était retrouvé bouche bée puis bégayant des justifications inaudibles. Il venait se rendre compte de son erreur de s'apercevoir de ce que ses sentiments l'avaient poussé à faire et de sa colère -presque- injustifiée. Le prince avait soupiré mais c'était pour regagner son calme et pouvoir encaisser les coups de griffes verbaux qu'allait lui assener sa mère.

- Moi qui avais le fol espoir de voir mon fils s’assagir une fois adulte, je constate qu’il n’a guère plus de jugeote qu’un lionceau. Cette fille te monte à la tête, Sipho. Peut-être devrais-tu songer à surveiller tes arrières plutôt que lui courir après. Face à elle il n'avait plus l'air que d'un lionceau. Mais ces dernières paroles avaient de nouveau éveillé en Sipho cet esprit combatif, cette rage contradictoire de jeune adulte - ou d'enfant capricieux -. Elle voulait qu'il surveille ses arrières? À ces paroles le Prince avait exécuté les conseils de sa mère appuyant son mouvement pour qu'elle le comprenne: Il s'était retourné, il avait observé, il n'y avait que les membres du clans. Pour Sipho il n'y avait qu'eux qui pouvaient lui porter préjudice, il le savait avec Jacayl il était en sécurité et elle s'assurerait qu'il en soit de même s'il devait être en contact avec des Cidanka. Il en était tristement convaincu. Mais les membres de son clan, qu'en était-il d'eux? De sa famille?

- Pendant que tu gambadais près du fleuve, sais-tu ce que j’ai entendu les Nobles dire sur ton compte ? J’ai couvert tes arrières et c’est ainsi que tu me remercies, en continuant d’apporter le déshonneur sur mon sang ? Lorsque j’avais ton âge, j’étais déjà Dame. Je n’ai pas hérité de ce rang par le sang, je l’ai gagné en libérant Khomba. Toi qui as l’immense chance d’être sous ma protection, plutôt que te préparer à ma succession, tu ne trouves rien de mieux à faire que batifoler avec l’ennemie ? Qu’espères-tu seulement accomplir, Sipho ? Elle ressentait finalement quelque chose, cette grimace en témoignait. Le Prince quant à lui s'était fait le miroir de sa mère, lui renvoyant ce même rictus réprobateur.

- Vous les avez libéré d'une guerre pour les envoyer dans une autre. Au du moins, avait-elle utilisé cette guerre millénaire pour continuer de gagner le coeur de ses sujets à moins qu'elle n'y croit aussi à cette haine qui dévore la Légion et les Nobles depuis bien trop longtemps. Le Prince avait alors observé son peuple, celui qu'il comptait bien prendre à sa mère et rallié à sa propre cause. Était-il le seul assez naïf pour réclamer la paix et croire qu'il serait possible de la garder et l'entretenir?

- Cette succession je la prépare, je ne veux pas avoir à diriger une armée, je veux soutenir un peuple libre de vivre sans cette guerre incessante; Je ne veux pas voir les miens s'engouffrer dans cette spirale de violence, je ne veux pas avoir à laisser ceux avec qui j'ai grandit sur le champ de bataille. Quel doux rêveur. Mais le pensait-il réellement ou voulait-il simplement justifier ses caprices hormonaux? Il avait trouvé la bonne excuse. Je veux accomplir ce que vous ne réussirez pas à faire: Apporter la paix à notre clan! Avait-il finalement réussi à lui tenir tête à nouveau. Bien qu'elle était impressionnante et que son silence était aussi lourd que le ciel un jour d'orage, lorsqu'il se laissait emporter par sa passion Sipho arrivait à l'oublier.

- Vous ne pourrez jamais décimer tout un clan, surtout pas la Légion. Ils sont bien trop nombreux et il restera toujours une fille qui voudra venger son père et ce jusqu'à la fin des temps. S'il bouillonnait de rage au fond de lui, il parvenait à garder un calme apparent surement hérité de son interlocutrice. Il n'y avait pas besoin de hurler pour se faire attendre chez la Noblesse Khomba, les mots étaient tout aussi fort et contrairement aux Légionnaires que l'ont décrivait volontiers -ici surtout- comme des abrutis sans cervelle, ils savaient allier langue d'argent et griffes d'aciers s'il le fallait... Y êtes vous pour quelque chose, mère? Revenait-il au sujet qui le préoccupait le plus sans plus de précision; Jacayl. Mais écouterait-il seulement la réponse de sa mère? Entendrait-il ce qu'elle avait à dire?

Elle avait raison sur toute la ligne et le Prince refusait de l'accepter. Il avait retenu chacun des mots de sa Mère et les réfutaient dans son esprit: Il n'en voulait pas, tout ce qu'elle disait provenait de son discours, de son lavage de cerveau à elle. Sipho n'avait rien d'autre que des balbutiements à offrir à sa mère, des bégaiements à peine audible révélant son agacement, son malêtre, sa défaite.

- Vous l'avez bien nourri de promesses et d'utopie avant de tuer un Tyran. On n'est rien que des rêveurs jusqu'à ce qu'on ait de quoi lever la patte. Il avait froncé les sourcils et s'était enfin réaffirmé, la tête haute, les épaules droite. Face à sa mère il n'aurait jamais l'air de rien d'autre qu'un gamin un peu trop têtue cherchant à prouver qu'il était capable de soulever n'importe quelle montagne: Un rêveur. Ils comprendront ce que je fais pour eux, la paix ça ne s'instaure pas un seul jour et vous le savez bien. Vous en avez eu vous aussi des détracteurs et même s'ils étaient moins nombreux que les miens ils ont existé. Osait-il comparer leurs parcours alors qu'il ne semblait rien faire de plus que de se créer des obstacles.

- Votre route n'était pas aussi sinueuse que la mienne; Vous n'aviez qu'à retirer la vie à un tyran. L'accusait-il avec insolence. Maintenant qu'il était arrivé jusqu'ici il ne pouvait plus faire de demi-tour et même si au fond de lui il craignait les prochains mots de sa mère - car ils étaient aussi tranchant que les griffes acérés d'un guerrier - il se devait d'être fort et de ne pas ciller. Son regard s'était planté dans celui de sa mère, s'il était aiguisé sa posture au contraire montrait bien qu'il n'était encore qu'un jeune prince qui apprenait à manier les mots et à se confronter aux problèmes.

- Moi je dois leur faire comprendre que le Dieu qu'ils vénèrent n'est qu'un mensonge... Il fallait bien de toute façon qu'il révèle un jour où l'autre de vive voix et entre quatre yeux qu'il entrait en campagne contre sa mère. Il ne l'avait pas crié, son but n'était pas de remuer le clan une fois de plus, de se faire plus d'ennemie qu'il n'avait déjà. Ce qu'il souhaitait c'était que sa mère l'entende et le considère comme un nouvel obstacle.

- Tu ne dirigeras jamais les Khomba. Ses paroles avaient raisonnées dans la tête du Prince. Il était incapable de dire -sur le moment- si cette annonce avait été une surprise: Il pensait bien que sa mère perdrait patience et qu'il dépasserait les bornes, mais s'y était-il attendu de si tôt? Les sourcils du jeune déshérité s'étaient froncé sous sa frange.

- Je comprend bien la situation, Mère. Avouait-il, grave. La colère il la comprenait maintenant, la haine que tous ses camarades nourrissaient pour les Cidanka il venait de la comprendre. Sur ordre de sa Dame, Sipho avait donc entamé de quitter la conversation. Je n'ai jamais eu besoin de votre bénédiction pour diriger les Khomba, tout comme vous n'aviez pas eu celle d'Ilakhe. Maintenant il en était convaincu il mènerait le même combat que sa mère avait eu à livrer contre le tyran; Lui aussi avait son propre despote à dévoiler au grand jour.

- ... Couronne ou non, je reste votre fils aux yeux de tous. Avait-il ajouté, comme si couper le cordon était suffisant pour renier un enfant, comme si on ne vous jugeait pas responsable des actes de votre propre chair...

Contrarié et ridiculisé, le Prince avait quitté le "Promeautoire" avec une nouvelle rage, un nouveau fuel pour le pousser à atteindre ses objectifs.