Le matin était frai entre les roches mousseuses et glissantes de la Caserne. La plupart des lions s'affairaient déjà, certains étaient des guerriers qui allaient s'exercer dans les crevasses, d'autres, des combattants qui se chargeait du ravitaillement. Rares étaient ceux traînant dans les grottes et terriers étroits et la mère de Casaan ne faisait pas exception. Si elle acceptait encore de dormir avec elle - elle était bien obligée, de toute évidence - elle était tout de même partie dès que les premiers rayons de soleils avaient illuminer la grotte humide, laissant la petite rouge dans le froid de la solitude.
Casaan n'en était pas réellement blessée, du moins le pensait-elle, après tout, sa mère était très occupée. Elle avait des missions et des entraînements et la petite était fière d'avoir une mère aussi dévouée à sa Patrie. Elle, elle n'était encore bonne qu'à flâner le long du jour, il était tout naturel que sa génitrice l'abandonne du moment que le soleil pointait son nez jusqu'à ce qu'il se couche.

Ainsi, marchait-elle entre les roches qui composait le territoire des Cidanka, proche des terriers creusés à même la roche. Elle ne cherchait personne en particulier, Casaan, mais la solitude commençait à la rendre anxieuse alors, elle posait les yeux sur chaque lion qui croisait sa route, tentant d'évaluer son degrés d'occupation. S'il ne faisait rien, elle pouvait l'aborder, non ?
C'est ainsi qu'elle vit la petite princesse du clan, Jacayl et son pelage fauve qui luisait à la lueur orangée de l'aube. Si la fraîcheur faisait frissonner la jeune lionne, l'excitation de pouvoir enfin parler à quelqu'un lui fit oublier son malaise. Elle rejoint l'adolescente en quelques foulées maladroite et s'arrêta devant elle, lui offrant un sourire rayonnant - et peut-être un peu trop forcé.

« Jacayl ! Jacayl ! Tu fais quelque chose ? Je n'espère pas parce que j'aurais aimé te parler !... Enfin, si tu ne veux pas ce n'est pas grave, je comprendrais ! Tu sais, ma maman elle est très occupée alors j'ai l'habitude d'être toute seule donc il ne faudra pas que tu te sentes mal si tu me dis non ! Je pourrais te poser mes questions plus tard !... Enfin ! Je ne souhaites pas non plus être indiscrète tu sais ! C'est simplement que je suis curieuse. Ma maman elle dit que c'est mal, mais moi je trouve que c'est hyper utile la curiosité et-... » Il valait mieux pour la lionne fauve qu'elle interrompe la petite rouge, sinon elle était partie pour une logorrhée incessante qu'elle finirait pas stopper d'elle-même pour reprendre son souffle.

Elle s’asseya sans un bruit, Jacayl. Ses prunelles erraient sur le camp silencieux. La plupart des Légionnaires avaient déjà filé aux quatre coins d’Ukungu ; d’autres — une poignée seulement — s’affairaient calmement à rassembler les denrées dont ils avaient besoin au quotidien. Elle aperçut un médecin qui prodiguait les premiers soins à un jeune qui s’était blessé lors de l’entraînement. Elle grimaça dès que l’adolescent pleura. Il fallait être fou pour déclarer ses blessures aux Toubibs ! D’ailleurs, Jacayl était à peu près sûre que l’autre apprenti le regrettait amèrement.

À moins qu’il ait fait preuve de lâcheté… Elle soupçonnait les formateurs de dénoncer les faibles de la Piétaille aux Toubibs pour qu’ils se chargent de les endurcir à grands-coups de soins pénibles. Elle écarquilla les yeux en réprimant un sursaut lorsqu’une espèce de petite bombe roula dans son champ de vision. Elle se força à esquisser un sourire avenant malgré ses prunelles qui erraient régulièrement vers le blessé qu’on abîmait. Un long gémissement s’éleva dans le camp, ignoré par la plupart des Légionnaires. Casaan, le lionceau minuscule, ne sembla pas le remarquer non plus. En réalité, Jacayl n’était pas sûre que l’enfant puisse entendre quoi que ce soit à cause de ses propres babillements. Elle se garda d’abord de la couper, la laissant déballer son flot de paroles à peine articulées en penchant la tête. Elle savait être patiente, Jacayl. Avec les enfants.
Elle le serait sûrement beaucoup moins avec Casaan lorsque celle-ci aurait atteint un âge plus avancé. En fait… Il y avait des chances pour que les rôles évoluent : Jacayl dans la peau du Centurion dur qui envoie ses troupes au Charnier, la petite lionne dans celle de la Jacayl du passé. Celle qui se languissait encore d’un Bleu.

— OK. OK ! C’est d’accord. La femelle couleur sable se redressa nonchalamment. Ses billes se posèrent une dernière fois sur l’adolescent martyrisé par les médecins. Du sang s’échappait des blessures que le Toubib avait insisté pour laver des impuretés glissées à l’intérieur. Elle plissa les paupières, le cœur au bord des lèvres. Elle n’avait pas l’habitude de compatir aux souffrances des autres mais… Ouais. Elle devait reconnaître que la scène était assez épouvantable pour son estomac vide. Elle se reconcentra sur le lionceau. Casaan n’avait pas besoin de voir ces horreurs. Pas dans l’immédiat, du moins — même si Jacayl se demanda une seconde si le fait d’éloigner un futur soldat des vues trop pénibles ne risquait pas de l’affaiblir. La douceur n’avait pas sa place dans la Légion. Viens. Marchons plus loin.

Oh, Jacayl… Pour de vrai ?
Son bide se serra. Était-elle sur le point de devenir faible ? Non. Non, il s’agissait seulement de précautions. Elle haussa un sourcil puis s’enfonça dans Ukungu au pas de sénateur. Elle ne voulait pas fatiguer l’enfant. Fatiguer ? Elle plissa le nez. Il était peut-être temps pour elle de se pencher sur des entraînements plus durs que ceux pratiqués jusque-là ; son cœur n’était plus suffisamment éprouvé pour l’empêcher de ressentir des émotions inutiles. Elle ravala un soupir, s’arrêta contre un gros rocher couvert de mousse qui diffusait une ombre agréable, puis s’affala sans grâce. Elle bâilla, s’étira dans un ronronnement, et se résigna à accorder l’essentiel de son attention au rejeton écarlate. Que puis-je faire pour satisfaire ta curiosité, donc ?

« OK. OK ! C’est d’accord. » Avait-elle dit avec un certain empressement que Casaan ne remarqua qu'à peine, le sien étant déjà suffisant à gérer. La femelle fauve se leva, son regard se balada sur le côté et, curieuse l'enfant voulu elle aussi voir ce qui attirait l'attention de Jacayl.

« Viens. Marchons plus loin. » Antonna sa comparse, ayant reposer les yeux sur elle. Ainsi, Casaan ne regarda pas ce qui se passait sur le côté, préfera reporter son attention sur le sujet de ses questions. Elle semble néanmoins un instant troublée, mais consciente que le trouble ne sied guère à un visage de princesse, elle reprit son sourire.

Elle suivit la femelle au pas calme, trottinant à peine pour se maintenir à son rythme. Elle n'avait guère l'habitude des lions qui faisait l'effort de marcher à un pas assez lent pour ne pas qu'elle ait à courir et elle ne s'aperçu même pas qu'il s'agissait là d'un acte conscient de la part de Jacayl. Elle se contenta de la suivre.
Elle s'arrêta face à une roche verdâtre et humide, s'y laissa choir avant de bailler sans aucune élégance. Casaan savait que l'élégance n'était guère de mise dans ce coin là des terres de Nchi, mais étrangement, elle y accordait une trop grande importance.

« Que puis-je faire pour satisfaire ta curiosité, donc ? » Demanda-t-elle enfin. Casaan ne tenait plus, sa petite queue s'agitait de droite à gauche sans savoir s'arrêter, comme prise de spasme et elle arborait un regard pétillant d'excitation. Elle prit tout de même la peine de fermer sa gueule qu'elle tenait béa face à la princesse. Elle s'assit dans la poussière et la mousse, élégante et délicate dans ses gestes - du moins pour son âge - et elle arbora une autre forme de sourire : un sourire calme et joueur.
C'est qu'à force de les tenir là, sur ses joues, forçant ses zygomatiques à des exercices inanimal, elle avait finit par en maîtriser une certaine palette. Elle n'était pas encore assez entraînée pour tous les faire paraître vrais, mais elle savait qu'un sourire achetait beaucoup plus de reconnaissance que des mots balancer dans le vent : il convenait donc d'apprendre à maîtriser les deux.

« E-Et bien... » Fit-elle, ne trouvant justement pas ses mots. « J-Je... Tu sais, tout le monde sait que tu as eut une relation avec un Khomba. Tu sais, moi je ne juges pas ! Enfin, je ne suis pas une traître, hein, je ne veux pas aimer de khomba mais-... » Elle songea un instant qu'elle donnait une piètre image de sa loyauté et cela la mit mal à l'aise, alors elle déglutit.

« Je voulais savoir... Comment il était ? » Et à cet instant, peut-être Jacayl verrait la lueur brillant dans les yeux dorés de notre femelle rouge. Elle était pétrit de rêve, la petite, impatiente d'elle aussi découvrir son prince charmant. Elle semblait s'en foutre, sur l'instant, du fait qu'il soit un khomba, le beau de la princesse. C'était simplement de la curiosité de gamine nourrit à l'eau de rose.

Elle observa la môme depuis ses paupières mi-closes. Son bide se serra encore un peu. Trop d’innocence. Les Légionnaires ne feraient qu’une bouchée de ses rêves les plus doux, de ses sourires sages, de sa finesse. Elle ressemblait presque à l’image que Jacayl avait de la Noblesse, Casaan. Douce, habillée de manières réfléchies, calculées. Elle camoufla une verve propre à la marmaille, ce qui arracha un sourire conciliant à l’aînée. Elle aurait presque préféré que Casaan naisse ailleurs.
À Khomba. Là où la descendance ne se voyait pas piétinée au nom du dogme. Elle savait que des pensées pareilles pouvaient passer pour de la traîtrise ; les Cidanka devaient donner des soldats au clan. Des soldats qui avaient été des bébés. Comme Casaan. Des soldats qui avaient sûrement eu des rêves, des envies, des idéaux. Autant de choses ravagées par la Formation.

Elle accorda son attention à la jeune qui bégayait. Elle pencha la tête sur le côté, les prunelles paresseuses, le visage serein. Elle n’avait pas à faire la dure avec les petits. Elle balbutia encore quelques syllabes sans cohérence, puis se délivra de son fardeau. Jacayl songea silencieusement à ce qu’il lui était possible de révéler… En fait, Casaan était une aubaine. Il lui suffisait de dire assez de choses incroyables pour la galvaniser ; après quoi, avec de la chance, sa petite bouche irait les disséminer dans le camp. Des rumeurs qui finiraient par remonter aux oreilles du cher Consul. La lionne sable s’arma d’un air mutin, presque conspirateur. Il était l’heure de faire frémir un gosse.

- Je ne sais pas si je peux en parler… C’est censé être un secret. Elle plongea ses yeux brillants dans ceux de l’enfant. Mais je suis sûre que je peux t’accorder ma confiance. Tu as l’air sage. Jacayl ronronna. Elle pesa soigneusement ses mots. Voyons voir… Déjà, il s’appelle Sipho. C’est le très convoité Prince de la Noblesse. Se souvenir de son ami d’enfance réveilla son propre cœur, en réalité. Elle avait gardé des séquelles de ce béguin idiot. Elle se pencha en avant jusqu’à ce que ses lèvres frôlent l’oreille de la petite lionne. Tu ne le dis à personne, hein ? Je le vois encore ! Je ne vais sûrement pas laissé une vilaine guerre m’empêcher d’être avec le mâle de ma vie. Tu comprends ? Elle recula pour redonner de l'espace à la petite. Jacayl n'était pas une inconditionnelle des caresses. Tu ferais quoi, à ma place ?

Que je sache à quoi m'attendre lorsque tu seras en âge d'avoir un coup de cœur pour le camp d'en-face.

« Je ne sais pas si je peux en parler… C’est censé être un secret. » Dit-elle sur un ton qui donna des frisson à Casaan. « Mais je suis sûre que je peux t’accorder ma confiance. Tu as l’air sage. Voyons voir… Déjà, il s’appelle Sipho. C’est le très convoité Prince de la Noblesse. Tu ne le dis à personne, hein ? Je le vois encore ! Je ne vais sûrement pas laissé une vilaine guerre m’empêcher d’être avec le mâle de ma vie. Tu comprends ? » Alors que le souffle de l'adolescente caressa l'oreille de l'enfant, cette dernière sentit son cœur frémir. Un amour impossible ? C'était tout ce dont rêvait Casaan ! Et cette histoire était si réelle que la petite aurait put verser une larme si elle n'avait pas déjà consciente d'à quel point il était fable de pleurer.
Elle garda le silence dans un calme mal contenu alors que la fille du chef recula.

« Tu ferais quoi, à ma place ? » Demanda-t-elle. Casaan fut bien plus surprise par cette demande que par le simple fait de la relation entre un légionnaire et un noble. D'ailleurs, elle l'afficha sans attendre, penchant même la tête sur le côté dans une expression désarçonnée. Cependant, elle ne refusa pas de répondre. Après tout, elle adorait parler d'elle.

Pourtant, elle ne le fit pas immédiatement, comme si quelque chose en elle lui ronronnait de se montrer méfiante. Il s'agissait tout de même là d'une presque traîtrise et si Casaan n'était qu'une enfant encore naïve et stupide, elle savait prendre la traîtrise au sérieux. Sa mère lui avait assez souvent rappeler à quel point son sang en contenait pour qu'elle ne sache pas d'avance qu'il valait mieux avoir l'air d'être parfaitement fidèle - bien qu'elle le soit déjà.

En revanche, elle éprouvait un certain trouble quant à la réponse à donner. Puisqu'elle devait faire montre de fidélité, il faudrait qu'elle dise à Jacayl qu'elle comptait bien évidemment ne pas poursuivre son amour. Mais alors, là, ne risquait-elle pas de se mettre l'adolescente à dos, refuserait-elle de lui parler, à l'avenir ? Casaan se mit soudainement à grimacer, soudainement terrifier.
Elle était incapable de faire un choix raisonner.

« Heu-... J-Je... » Commença-t-elle, à l'image du début de la conversation. Elle ne pouvait pas non plus dire qu'elle ne savait pas, sinon, elle aurait l'air bête.

Bon. Déjà, il lui fallait reprendre son sourire et c'est ce qu'elle fit, se forçant peut-être de manière trop ostentatoire à étirer les lèvres.

« T-Tu sais Jacayl, je ne te juges pas pour ce que tu fais ! » Commença-t-elle, tâchant de calculer ses mots. « L'amour c'est très jolie et si tu penses qu'il est mieux pour toi de le suivre, alors fais le, tant que tu ne blesses personne. » Avait-elle avancer, comme pour préparer le terrain à sa réponse... Ça, ou gagner du temps. Elle prit alors une mine contrite, triste. Elle garda son sourire, mais se donna l'air d'une mélancolie passagère alors qu'elle baissa les yeux - plus parce que Jacayl l'impressionnait, à vrai dire.

« Je penses que moi, je ne serais pas capable d'avoir le courage de le suivre... C'est très jolie, comme histoire, ma ma maman et ma tata me gronderaient et... Et puis tu sais, je ne veux pas quitter mon clan. » Souffla-t-elle, parlant presque à voix basse.

Jacayl ne lâcha pas la môme du regard. Elle haussa un sourcil curieux face au silence de Casaan ; son adorable minois rond semblait presque déformé par la concentration. La lionne couleur sable était persuadée que la rougeaude serait belle, une fois plus âgée. Un luxe pour un Cidanka ; eux privilégiaient les os larges aux jolies bouilles.
Casaan était à la fois Cidanka, et pas du tout. Elle avait le raffinement Khomba, la sensibilité des lionnes de l’Ailleurs — à savoir Nsiese ou Nahama — mais aussi une ébauche de la carrure des femelles d’ici. Jacayl trouvait ce mélange sympathique, tout en nourrissant de la méfiance aussi.

Néanmoins, l’aînée s’ingénia à garder un regard chaleureux. Du moins… Aussi chaleureux qu’il lui était possible d’arborer. Cidanka n’était pas non plus connu pour ses félins qui s’ébattent longuement ensemble en poussant des rires ingénus. Elle demeura patiente, ne pressa pas la gosse. Elle avait vu Casaan arrêter de respirer pendant son récit. L’enfant l’avait aimé. Jacayl plissa un peu les yeux en la voyant réanimer son sourire. Quelque chose sonnait si faux dans le croissant que son bide se serra. Elle mentait ? Elle jouait la comédie ? Quelque chose lui disait que ce n’était pas aussi simple.

Elle balbutia, chercha ses mots à nouveau. La recrue la laissa faire en silence, jaugeant chacune de ses mimiques. Elle haussa à nouveau un sourcil avec surprise face aux murmures presque trop sérieux. À son âge, Jacayl ne pensait qu’à attirer l’attention de son père grâce aux bêtises. Elle se battait, disparaissait dès que les autres avaient le dos tourné, revenait avec des blessures plus ou moins sérieuses. Mais, surtout, revenait avec des contes scabreux. La petite ayant achevé son discours, l’aînée l’obligea à relever doucement le menton en y posant sa grosse paume calleuse. Elle caressa l’oblique de sa joue avec gentillesse. Son visage était neutre mais ses yeux bien vivants exprimaient quelque chose comme de la bienveillance.
C’est assez rare chez la lionne couleur sable pour être mentionné.

- On peut aimer beaucoup sans jamais quitter les siens, Casaan. Cidanka est ma famille. Je ne les laisserai jamais derrière moi… mais je ne renoncerai pas à mon amour pour autant. Sa paume caressa l’oreille de l’enfant, puis ébouriffa son petit crâne. Personne ne pourra jamais te forcer à aimer quelqu’un. Les sentiments sont l’une des rares choses qui ne peut pas être contrôlée ; alors, si un jour ceci (Jacayl désigna le cœur de Casaan.) devait battre pour un ennemi, cache-le. Cache-le mais n’en ai pas honte. D’ailleurs, ce n’est pas réellement un crime du moment que tu ne livres pas des informations concernant Cidanka.

Elle haussa les épaules avec nonchalance. Sa paume délaissa le minois d’ange pour se reposer sur la mousse humide. Jacayl savait que ses paroles poussaient à la faute ; les lionnes Cidanka naissaient, grandissaient puis mourraient pour le clan. L’amour était superflu. D’ailleurs, pas sûre qu’une autre personne qu’elle soit pardonnée pour ses écarts. Elle avait la chance d’être la fille du Consul ; personne ne pouvait vraiment se soulever contre elle. Cela étant, Jacayl était à peu près sûre que la haine viscérale entre la Légion et la Noblesse avait déjà créé des couples. Ils s’étaient simplement montrés discrets. Elle pencha la tête sur le côté en observant la môme, dans le cas où elle aurait d’autres questions à lui poser.

« On peut aimer beaucoup sans jamais quitter les siens, Casaan. Cidanka est ma famille. Je ne les laisserai jamais derrière moi… mais je ne renoncerai pas à mon amour pour autant. » La bienveillance que dégageait le regard de la princesse ainsi que ses paroles laissèrent pantoise la petite lionne pourpre. Elle fixa son interlocutrice, l'air stupide. « Personne ne pourra jamais te forcer à aimer quelqu’un. Les sentiments sont l’une des rares choses qui ne peuvent pas être contrôlés ; alors, si un jour ceci devait battre pour un ennemi, cache-le. Cache-le mais n’en ai pas honte. D’ailleurs, ce n’est pas réellement un crime du moment que tu ne livres pas des informations concernant Cidanka. » Casaan baissa les yeux sur sa poitrine, observant un instant à travers la fourrure et la chair le petit muscle battant à tout rompre. Elle grimaça, un instant. Elle ne savait pas vraiment si elle avait le droit, elle. Elle était la fille d'un traitre, après tout et sa mère le lui rappeler un peu tous les jours.

Casaan, ne fait pas ça, on va te prendre pour une traîtresse... Étaient à peu près les seules paroles qu'elle entendait venant de sa génitrice.

« Mais... Mais même moi je peux, alors ? » Elle fronça les sourcils, plissant les yeux, perplexe. Après tout, cet amour impossible la faisait rêver au même titre qu'un conte à base de princesse et de lion fort et courageux. Sa queue s'agita dans son dos, craintive tout de même, autant quant à la réponse de l'adulte, autant quant à l'image qu'elle devait lui renvoyer.

Elle ne lâchait pas le joli visage des yeux, Jacayl. Il lui semblait si expressif, si… vivant. Si ses sourires lui donnaient l’impression d’être un peu forcés, il y avait quand même beaucoup d’autres nuances moins contrôlées — moins calculées — qui se succédaient sur ses traits. D’ailleurs, Casaan grimaça. Elle demanda une confirmation que Jacayl ne se donna pas la peine de lui fournir ; l’aînée haussa simplement les épaules à nouveau. Elle n’avait pas la position pour dire qui avait le droit de quoi. Si ses gènes avaient quelque chose en commun avec le Consul, le lien s’arrêtait plus ou moins là. Elle n’avait aucune autorité, aucun pouvoir.

- Cela étant, encore faut-il trouver un Étranger — qu’il soit Khomba ou non — plus intéressant qu’un Cidanka. J’ai passé suffisamment de temps au bord de la rivière pour savoir que la plupart des Nobles sont ennuyeux à mourir. Ce fut à son tour de grimacer. Elle arbora une moue dégoûtée pendant quelques instants. Je ne serais pas surprise d’apprendre qu’ils sont tous plus ou moins fous et consanguins.

Non, Jacayl ne portait pas Khomba dans son cœur. Sipho était une exception. En fait… Pas sûre que Sipho aurait occupé la même place s’ils s’étaient rencontrés plus récemment, alors que l’entraînement commençait déjà à changer l’innocente petite lionne qu’elle avait été enfant. Elle se perdit un moment dans ses pensées, puis déclara d’une voix calme : Quoi qu’il arrive, il faut faire ses preuves avant d’espérer un peu de liberté. La confiance des siens se gagne par le travail. Montre-toi à la hauteur et personne ne pourra jamais rien te reprocher.

Même pas tes origines.

- Autre chose ?

« Cela étant, encore faut-il trouver un Étranger — qu’il soit Khomba ou non — plus intéressant qu’un Cidanka. J’ai passé suffisamment de temps au bord de la rivière pour savoir que la plupart des Nobles sont ennuyeux à mourir. Je ne serais pas surprise d’apprendre qu’ils sont tous plus ou moins fous et consanguins. » Casaan fut quelque peu surprise par les paroles de son aînée. Mais, amusée, elle lâcha un petit gloussement. Innocente, elle posa sa patte sur sa bouche, comme gênée d'avoir ainsi rit devant une femelle plus âgée qu'elle.

« Quoi qu’il arrive, il faut faire ses preuves avant d’espérer un peu de liberté. La confiance des siens se gagne par le travail. Montre-toi à la hauteur et personne ne pourra jamais rien te reprocher. » Et elle hocha la tête, la rouge, consciente que les paroles de Jacayl seraient de précieux conseils pour plus tard. Elle n'avait rien à y redire, sinon qu'elle comptait dors et déjà donner le meilleur d'elle-même dans ses entraînements futurs.

« Autre chose ?
- Non ! Merci. » Répondit la petite lionne du tac au tac, se levant du même coup. Elle avait eut les réponses qu'elle voulait, de la matière pour ses rêves d'enfants. Son ambition n'était pas bien élevée, mais au moins, elle savait ce qu'elle avait à faire pour gagner l'estime des autres Cidankas.

Elle s'inclina respectueusement face à son aîné, abaissant la tête. Elle était peut-être trop appliquée, trop polie pour une guerrière de la Légion, mais elle n'en avait guère conscience.

« Merci beaucoup pour tes réponses, Jacayl... C'est très gentil ! » Ajouta-t-elle sur un ton plus naïf encore que son âge ne lui permettait. Puis, elle n'attendit pas d'autorisation pour faire volte-face. Elle avait une journée de jeu et d'oisiveté qui l'attendait, tant qu'elle pouvait encore meubler ses journées par du vide, elle comptait en profiter.

- Non ! Merci. Un sourire vague flotta sur ses lèvres closes. Elle observa la jeune aux yeux dorés, la laissa prendre congé sans savoir quoi lui dire pour la saluer. Les quelques propositions qui remontèrent le courant de ses pensées ne lui paraissaient pas appropriées. Elle haussa un sourcil, puis une épaule en jetant l’éponge. La môme partait déjà. Son corps menu aux nuances du cuivre disparaissait presque dans la végétation lorsque ses neurones décidèrent de se réveiller dans un sursaut ; si bien que Jacayl se retrouva à crier : Reviens me voir à l’occasion, si tu veux !
Pas sûre pour un sou que l’enfant l’avait entendu, Jacayl soupira en s’ébrouant. La voilà qui faisait dans le social ! Quelle drôle d’idée. Elle chassa les réminiscences de leur conversation dans un coin de crâne pour se remettre en marche. Elle allait retourner s’entraîner ; là-bas, au moins, la recrue sable avait le contrôle sur tout.