Se déroule quelques jours après la rencontre inattendue n°2.

Les Msafara, autrefois si dispersés et égoïstes, s'étaient soudain découvert un élan de générosité et de bonté. Milo savait pourquoi : les tares qui avaient pourri la Caravane, tous ces étrangers, étaient partis ! La preuve, donc, que c'était bien eux qui avaient semé le trouble depuis le début. Aujourd'hui, il n'en restait plus que deux : la Tombe, dont personne n'approchait, et Naifu, à qui Milo n'accordait aucune confiance. Milo était soulagé – encore plus soulagé, d'ailleurs, depuis qu'il avait mangé.

Car ses camarades Msafara lui avaient ramené de la nourriture. Il avait eu le droit d'en manger autant qu'il voulait et les lionceaux et lui en avaient largement profité. Peut-être même abusé un peu – mais hé, n'était-ce pas justement le but de la manœuvre ? Que les autres se sacrifient pour son bien à lui et, par conséquent, pour le bien de la Caravane toute entière ? Ça, c'était de vrais lions avec de vraies valeurs ! Pas comme ces étrangers et leurs coutumes bancales ! Il était si fier et si reconnaissant envers Kosa, Heka, et les autres qui s'étaient privés pour lui.

Pour la première fois depuis longtemps, il s'était levé et marchait parmi les siens. Il sentait bien des courbatures lui enserrer les muscles, comme autant de vils serpents, et un peu de fièvre au front; mais il se sentait globalement beaucoup mieux. Il avait par ailleurs cessé de vomir; c'était sa plus grande peur, car il avait craint que son corps refuse de profiter du bon repas dont il avait bénéficié. Mais, décidément, tout allait pour le mieux !

Justement, alors qu'il pensait à ses deux bienfaitrices, les lionnes ne tardèrent pas à arriver à ses côtés. Heka d'abord, très vite suivie de Kosa. De très bonne humeur, quoiqu'encore un peu faiblard, il leur adressa à toutes les deux un charmant sourire.

— C'est surtout grâce à vous ! Vous auriez pu garder les meilleurs morceaux de la carcasse pour vous, mais vous vous êtes privées pour moi. Vous êtes vraiment remarquables, toutes les deux. Merci infiniment. Bien sûr, il n'oubliait pas le reste des Msafara : car tout le monde s'était privé pour les plus faibles. Mais il voulait exprimer sa gratitude personnellement aux deux lionnes, car il savait qu'elles avaient joué un grand rôle dans le fameux combat contre les rats.

— Malheureusement, je n'ai pas beaucoup pu suivre ce qu'il se passait, vu mon état... avoua-t-il avec un air désolé au visage. Est-ce que tout le monde va bien ? Personne d'autre n'a été blessé ? Milo ne savait pas s'il était assez remis pour aider ses compagnons, mais il n'oubliait pas ce qu'il éprouvait pour la Caravane : de la loyauté et un véritable sens de la camaraderie. Il voulait reprendre la route et trouver, enfin, leur nouveau chez-soi.

« Est-ce que tout le monde va bien ? Personne d'autre n'a été blessé ? » La question, le mâle fier qu'était Mu'Awiya la prit pour lui. Il venait d'arriver, s'était glisser comme une ombre près d'eux trois. Bien sûr, il n'était pas des plus discret, mais, malade, son pas était devenu lent, il ne clamait plus haut et fort qu'il arrivait, que le grand Mu'Awiya faisait honneur de sa présence aux mortels !... Non. Il n'était plus que l'ombre de lui même. C'est ça, et si Milo s'était remis, marchait, parlait normalement, s'il ne sentait plus le vomit et la mort, ce n'était pas le cas du Leader des Msafaras.

Mu'Awiya fixait Milo, justement. Il le fixait avec colère et envie. Il le jalousait, songeant au fait qu'il aurait put manger cette carcasse, lui aussi, qu'il aurait put revivre, lui aussi. Il priait au fond de lui pour la mort de son camarade parce qu'à cet instant, il haïssait la chance qu'il avait eut autant qu'il haïssait l'orgueil qui l'avait pousser à ne pas s'avouer mourrant.

« Tout le monde ne va pas bien, non... » Souffla-t-il, imperceptiblement, se frayant un passage entre Kosa et Héka, le regard vitreux. Il n'était pas si mal, aujourd'hui, c'était plutôt la rage et ses pensées qui le rendait vide, comme ça. « Mais je suis ravie... Je dirais même, extatique, de te voir de nouveau sur tes quatre pattes, Milo. » Souffla-t-il, souriant, presque mauvais. Il n'y pouvait rien, lui il mourrait et cet... Insignifiant Milo vivait. Comment réagir autrement ?

— C'est étrange, ça n'a pourtant pas vraiment l'air de te faire plaisir... ? douta tout haut Milo, un sourcil arqué pour marquer son interrogation. Mu'Awiya n'essayait même pas de dissimuler son sourire jaune; il aurait fallu être le dernier des crétins pour ne pas le remarquer. Mais Milo était encore assez bon pour ne pas narguer davantage le mort-vivant qui s'était traîné difficilement jusqu'à lui; alors, sans chercher plus loin, il se contenta d'un hochement de tête à l'intention du malade et des deux lionnes, puis se mit en marche pour aller saluer le reste du groupe.