Nsiese.
C'est le nom qu'il se répète intérieurement, comme s'il a peur de l'oublier alors qu'il traverse les ravines à grandes foulées, donnant naissance à une petite traînée de poussière. C'est le visage qu'il cherche parmi les autres, plus étrangers à sa mémoire, plus désagréables à sa vue. Mais ils ne réussissent même pas à s'attirer son dégoût, c'est à peine s'il jette des œillades à ceux qu'il croise rapidement sur le chemin. Ils ne l'intéressent pas, contrairement à elle.

S'il doit partir, ça ne sera pas sans elle.
Enfin, Ienzo aperçoit la silhouette de l'ancienne disparue. Une lueur de joie lui traverse le regard, mais elle meurt aussitôt qu'il pose les yeux sur le présage, interrompant sa marche aussi brusquement qu'elle vient de s'accélérer. Elle a un poignet retourné. La réalisation s'installe difficilement dans l'esprit du caverneux qui fixe la blessée d'un air confus et grave à la fois. Une fracture signifie tellement pour la survie d'un lion ; elle signifie la mort, que trop souvent. Non, non, non, qu'il se répète intérieurement. Son plumeau commence à se balancer de gauche à droite, mais il s'arrête rapidement.

La question finit par s'arracher de sa gueule crispée. Qu'est-ce qui s'est passé ? C'est l'autre qui l'a blessé ? Il a déjà vu le traitement qu'ils réservent aux nouvelles recrues, même de ceux qui refusent de se battre, alors ça ne l'étonnerait pas si c'était le cas. Ces foutus barbares. S'il n'exprime pas la rage qui lui prend le bide à voix haute, elle n'en reste pas moins réelle. D'un signe de tête, il demande à Nsiese de le suivre plus loin, il veut s'éloigner des autres, parler sans craindre qu'une oreille traîne de leur côté.

Depuis mon excursion avec Togotan, ma patte n'allait pas beaucoup mieux. J'étais allé voir les Toubibs, qui m'avaient aussitôt parlé d'amputation. Il était hors de question que l'on me coupe le poignée ! J'avais donc annoncé que je m'occuperais moi même des soins à apporter à ma patte. J'allais donc devoir trouver des plantes, ou n'importe quoi d'autre qui me permettrait de soigner ma patte correctement.

Pour le moment, je devais me contenter de supporter la douleur, et marcher sur trois patte à travers Cidanka, les regards se posant sur moi lorsque je croisais quelqu'un. Certains même s'inquiétèrent de me voir comme ça et vinrent me questionner sur le pourquoi de cette blessure. J'étais restée assez vague sur ce qui s'était passé, préférant éviter aux lions de la forêt de se faire attaquer par des Cidanka énervés.

Ce qui m'importait surtout, c'était d'avoir des nouvelles de Ienzo. Nous avions eu pour ordre de ne pas l'approcher durant un bon moment, et bien que l'envie d'avoir de ses nouvelles me démangeait, j'avais obéit aux ordres donnés, pour éviter de m'attirer des ennuis, ou de lui en attirer à lui.

Le pelage gris rayé du félin se dessina devant moi. Il s'approcha de moi, d'abord ravis, mais son regard chaleureux disparu lorsqu'il posa son regard sur ma patte blessée. Qu'est-ce qui s'est passé ? Demanda t-il en serrant les dents. Sûrement devait-il pensait que les Cidanka m'avaient fait ça, alors, sans perdre une seconde, je lui répondis avec un sourire.

- Je suis tombé d'un arbre ! Pas glorieux comme histoire lorsque l'on racontait que cette partie. Avec Togotan nous sommes allé dans la forêt, pour trouver des lions qui apparemment essayaient de se cacher. Nous sommes tombés dans une embuscade, et pour leur échapper je suis monté dans un arbre, mais ils ont jetés des trucs étranges par terre, et ça nous a endormi. Et du coup je suis tombé.

Au moins, j'étais toujours en vie. Décidément, les rencontres par ici n'avaient rien de joyeuses. Entre mon enrôlement forcé, et cette attaque dans la forêt, il n'était pas raisonnable de se promener seul dans le coin... Mais assez parlé de moi, m'exclamais-je avec un sourire. Comment vas tu ? Les Cidanka te traitent bien ?

Ma question était idiote. Je m'en rendis compte aussitôt après l'avoir posé. Ienzo était affamé, et il semblait beaucoup moins bien nourri que lorsqu'il avait été ramené à Cidanka par Been et Xukun. Je suis désolée que tu te sois fait attrapé. Ajoutais-je, oreilles baissées. Je pensais vraiment que vous auriez quittés les environs lorsque j'ai disparu. Comment vont les autres ? Naifu et Theluji vont bien ?

J'avais tant de questions à poser, mais je laissais le pauvre Ienzo enregistrer ce que je venais déjà de dire. Désolée... Je parle un peu trop, mais je suis très heureuse de te voir !

Je suis tombé d'un arbre !
Oh.

Quoi ?
C'est à peine s'il a le temps de lever un sourcil qu'elle se met à enchaîner les explications, révélant le nom du lion qu'il a soupçonné d'être l'origine de sa blessure, mais il semble que ce n'est qu'un accident et il sait déjà qu'il ne fera pas l'effort de le retenir sans bonne raison. Nous sommes tombés dans une embuscade... Ienzo fronce les sourcils. Nihahsah a mentionné que le rugissement venait d'un membre de la caravane, alors que cette dernière attaque celui à la crinière blanche, il comprend, mais leur disparue ? Mais ils ont jetés des trucs étranges par terre... Et il réalise, d'un seul coup. Les forestiers, ils ont rencontré les forestiers. L'angoisse lui serre la gorge, s'il fait confiance à Nsiese pour garder le silence - elle a été une nouvelle recrue, elle aussi - il imagine déjà l'autre rapporter leur existence au consul.

Merde.
Ienzo n'a toujours pas le temps d'ouvrir la bouche, l'exclamation de son interlocutrice lui arrachant un léger tressaillement. Les Cidanka te traitent bien ? Lentement, il tourne la tête pour la fixer silencieusement, son expression parlant à sa place. Oh, il pète la forme, rien de tel qu'une bonne torture. Mais il ne la tire pas longtemps, cette tronche désespérée. Nsiese et son air penaud adoucissent rapidement les traits de son visage, ses babines s'entrouvrant pour laisser entendre un soupir tout juste audible. Lui aussi, il est désolé.

J'en suis très heureux aussi. Il étire un doux sourire, le premier depuis longtemps. Nous ne savions plus quoi faire après ta disparition. Partir à ta recherche ou nous enfuir vers des terres plus sûres. Ils l'ont envisagé, au moins. On dirait qu'il essaye de se trouver une excuse pour soulager sa conscience, qu'il est pitoyable... Theluji va bien, il s'est remis des blessures des Cidanka. Car il n'y a plus aucun doute maintenant, leurs méthodes ont été les mêmes. Naifu... Je ne sais pas. Il serre les dents et fronce les sourcils, grognant à voix basse. Mu'Awiya est devenu fou, il a même essayé de tuer Theluji. Alors nous avons décidé de nous séparer d'eux, mais Naifu a choisi de rester. Il marque une pause, jetant discrètement un regard autour d'eux. Je crois que les Msafara n'ont pas bouger de place, mais ils ont découvert de l'eau dans la brume. Ça ne doit pas être loin d'ici quand j'y pense... Qu'il murmure, posant un regard sur le rideau de brouillard entourant les terres. En parlant d'eau...

Nsiese. Le caverneux garde sa voix réduite à l'état d'un murmure, mais celle-ci sonne déjà plus grave lorsqu'il prononce son nom. Il faut que nous partions avant qu'ils ne fassent de nous des sacrifices pour leur guerre sans fin.

Je n'en revenais pas. Les Msafaras s'étaient séparés ? Mais... Mu'Awiya avait toujours été un bon chef à mes yeux, pourquoi était-il devenu fou ? Est ce que c'était ma disparition qui l'avait rendu instable ? Ils n'auraient jamais dû se séparer, ils étaient plus en sécurité ensembles...

Nsiese. Continua Ienzo d'une voix plus grave, laissant de côté les problèmes extérieurs. Il faut que nous partions avant qu'ils ne fassent de nous des sacrifices pour leur guerre sans fin.

Quoi ? Mes yeux s'écarquillèrent comme deux billes. Partir ? Il n'était pas sérieux ? Pensait-il vraiment qu'il pourrait quitter Cidanka comme ça ? Et puis... Avais-je réellement envie de partir ? Beaucoup de temps s'était écoulé depuis ma disparition, trop peut-être, et je n'étais plus la petite lionne fragile et stupide que j'avais été auparavant. J'avais des amis ici, une famille, voulais-je vraiment tout quitter pour repartir dans une vie d'errance, sans but précis, avec des lions qui n'arrivent même pas à vivre en harmonie ?

- Tu ne peux pas partir Ienzo, les Cidanka connaissent le territoire sur le bout des griffes, ils te retrouveront en moins de deux, et si tu rejoins les autres, ils seront enrôlés aussi, c'est ça que tu veux ? Mon regard fixait intensément celui du mâle. Il fallait qu'il l'accepte, il était Cidanka maintenant, et le clan n'était pas du genre à laisser filer leurs recrues sans réagir.

- Vous m'avez cherché longtemps ? Demandais-je, voulant savoir depuis si longtemps la réponse. Est ce que tous ses mois passés loin d'eux avait changé quelque chose ? M'avaient-ils regretté ou bien avaient-ils continué leur vie sans se soucier réellement de mon sort ? Tout était si compliqué, et j'avais cette mauvaise sensation d'être déchirée en deux. J'espérais que Ienzo changerait d'avis, qu'il décide de rester. En voulant s'enfuir, il se mettrait lui, et tous les autres Msafara en danger.

Tu ne peux pas partir, Ienzo. Il lâche sèchement un soupir par le nez, l'ombre d'un sourire sarcastique aux babines. Parce qu'elle le connait assez pour savoir de quoi il est capable et incapable, maintenant ? Mais il pardonne la faute, la pauvre n'était qu'une adolescente quand ils l'ont arraché de sa véritable famille. C'est le désespoir des semaines d'isolation qui doit parler à cet instant. Peut-être qu'ils devraient réfléchir à deux fois avant d'enrôler des étrangers dont ils ne savent rien. Qu'il répond à son regard insistant, d'une voix aussi grave qu’énigmatique.

Et ils ne le suivront pas, ils seront trop occupés à faire leurs barbaries de l'autre côté de la rivière. Ce n'est pas comme s'ils pouvaient suivre un enfant des eaux, de toute façon. Ça dépend à qui tu poses la question. L'expression de son visage se fait moins dure, il y a même une lueur douce qui brille dans le fond de son regard. J'ai toujours gardé l'espoir de te retrouver depuis ta disparition. Et maintenant que c'est le cas, je ne t'abandonnerais pas à ces monstres, Nsiese. Il fronce les sourcils, cherchant ses mots dans un esprit fatigué par les semaines d'isolation. Il faut que tu me fasses confiance... Nous retrouverons notre liberté, je te le promets.

- Peut-être qu'ils devraient réfléchir à deux fois avant d'enrôler des étrangers dont ils ne savent rien. Avait répondu Ienzo lorsque je lui avais dis qu'il ne pouvait pas partir. Je ne pu rien répondre à cela, tout simplement car Ienzo venait de dire exactement les mêmes mots que j'avais pensé tant de fois lorsque j'étais arrivé ici.

Puis, j'en vins à lui demander si mon ancienne famille m'avait cherché longtemps ou non. La réponse que me donna Ienzo ne fut pas celle que j'attendais. Ça dépend à qui tu poses la question. Avait-il dit. J'ai toujours gardé l'espoir de te retrouver depuis ta disparition. Et maintenant que c'est le cas, je ne t'abandonnerais pas à ces monstres, Nsiese

Je fixais le mâle gris en silence, ne sachant pas vraiment quoi répondre. Je comprenais son point de vue, car j'étais moi même passé par là, mais à présent, j'avais une famille ici, et aux dires de Ienzo, certains Msafara n'avaient même pas daigné me chercher. Togotan lui, m'avait protégé face aux lions de la forêt, et Nahama ainsi que Jacayl étaient à présent mes amies, et elles s'étaient inquiétées de mon état lorsque Togotan et moi étions rentrés de notre excursion foireuse. Ils ne sont pas des montres, avais-je répondu calmement. Ils m'ont bien traité depuis que je suis arrivé ici, et j'ai des amis chez Cidanka.

Malgré mon envie d'être sincère, je me dandinais du place, gênée. Revoir Ienzo, faisait remonter en moi les souvenirs de notre long voyage pour arriver jusqu'ici. Nous avions vécu tellement de choses ensembles, et voilà que tout remontait à la surface. J'avais, depuis plusieurs mois, tout mis de côté pour me concentrer sur ma nouvelle vie, et voilà que le passait me sautait tout droit dans la figure.

- Il faut que tu me fasses confiance... Nous retrouverons notre liberté, je te le promets. Je plongeais mes yeux dans le regard vert de l'ancien Msafara. Devais-je vraiment lui faire confiance ? Ne valait-il mieux pas rester ici, vivre en sécurité, plutôt de devoir errer sur un territoire inconnu, où chacun pouvait disparaître du jour au lendemain ?

- Pourquoi est ce que je te suivrais ? Tu m'as dis que certains ne m'ont même pas cherché, et puis, si tu ne te serais pas retrouvé là, tu ne serais jamais venu me libéré toi non plus...

Je faisais les cent pas devant le mâle tigré, perdue. J'avais envie de partir, mais en même temps, je voulais rester. Pourquoi avait-il fallut que Ienzo se fasse attraper ? Pourquoi n'avaient-ils pas reprit leur chemin, plutôt que de rester dans les environs... Tout cela était bien trop compliqué pour moi.

Ils ne sont pas des montres.

Quoi ?
Il a les yeux écarquillés, les mâchoires crispées et les entrailles retournées. C'est impossible de penser que ces barbares n'en sont pas lorsqu'on porte les marques de leur cruauté. Ses pupilles tremblantes longent les cicatrices sur le corps de la jeune lionne, revenant à son visage pour le fixer d'un air éberlué. Comme s'il refusait de répondre à ces bêtises, il essaye de lui insuffler un nouvel espoir, mais elle le rejette plus violemment que jamais. Il redresse la tête, suivant les cent pas de son interlocutrice d'un regard à la fois blessé, colérique, désespéré.

Tu n'aurais pas cherché non plus, si ça avait été quelqu'un d'autre. Se jeter à ta poursuite tenait du suicide, tu le sais autant que moi. Il a du mal à empêcher sa voix de casser sous l'émotion, son coeur martelant sa poitrine déjà compressée par le poids de ses mots. Ils t'ont bien traité ? Et c'est quoi, ça ? Du museau, il montre les cicatrices de Nsiese. Puis d'un coup de queue, il frappe ses propres côtes renfoncées par la faim. Ta vie ne tient qu'à ta docilité, Nsiese. Tant que tu es obéissante, ils t'épargneront, mais une erreur de ta part et ils n'hésiteront pas à t'ouvrir la gorge comme ils l'ont fait à ceux du charnier. C'est difficile de murmurer dans une telle situation, ça devient étouffant et il doit forcer pour formuler ses pensées. Ils t'ont arraché à ta famille pour te lancer dans un bain de sang. Tu vas devenir une meurtrière pour une guerre qui n'en finira jamais. Tu vas détruire des vies et elles reviendront te détruire la tienne, parce que c'est ça, la guerre, Nsiese.

Il pince ses babines, si fort. Il secoue la tête d'une côté à l'autre, lentement, alors qu'une larme se détache de la commissure de son oeil, se faufile dans son poil et termine sa course dans les herbes à ses pattes. Pitié... Ouvre les yeux... Tu n'as pas a te sacrifier comme ça. Il force ses pattes à ne pas trembler, mais la vérité, c'est qu'il a l'impression d'être à deux doigts de l'inconscience. L'accumulation de ces dernières semaines, de ces derniers mois. C'est trop.

Il doit p a r t i r.
Mais il a un foutu coeur qui l'empêche de ne penser qu'à lui.

- Tu n'aurais pas cherché non plus, si ça avait été quelqu'un d'autre. Se jeter à ta poursuite tenait du suicide, tu le sais autant que moi.

Pourtant, je m'étais bien sacrifiée pour laisser une chance à Naifu et Theluji de s'enfuir. Et voilà que j'étais là, chez Cidanka. Personne n'aurait fait pareil pour moi apparemment.

Je continuais de faire les cent pas devant Ienzo qui me suivait du regard, n'ajoutant rien aux paroles de ce dernier. Ils t'ont bien traité ? Et c'est quoi, ça ? Celui ci pointa mes cicatrices, puis ses côtes visibles à l'oeil nu. Mon coeur se serra, de pitié pour Ienzo, mais également de tristesse pour ma nouvelle famille. Je ne savais plus quoi penser. [...] mais une erreur de ta part et ils n'hésiteront pas à t'ouvrir la gorge...

Ma discussion avec Togotan me revint alors à l'esprit. Le Grand Consul avait ordonné au nounours de me tuer au moindre faux pas. Il ne me considérait pas comme l'une des leur, et peut-être que ce ne serait jamais le cas, malgré tous les efforts que je pourrais apporter. Est ce que Togotan aurait vraiment été capable de me tuer ? La question me trottait souvent dans la tête, et honnêtement, je craignais la réponse.

Ienzo continua de parler, mais ses mots ressortirent aussi rapidement qu'ils étaient entré dans mes oreilles. Je fixais le sol, ayant stoppé mes vas et viens devant le mâle. Étais-je réellement une Cidanka ? Tous ces lions étaient-ils sincères avec moi ? Devais-je écouter Ienzo, ou, comme tous les autres, essayait-il de me manipuler ?

- Pitié... Ouvre les yeux... Tu n'as pas a te sacrifier comme ça. Continua t-il. Une nouvelle fois, je plongeais mon regard dans celui de mon ancien compagnon de voyage. Cette fois ci, il n'y avait ni la tristesse, ni aucune émotion, excepté la colère. Contre qui réellement étais-je si énervée ? Je l'ignorais, mais le pauvre Ienzo devait voir des flammes danser dans mes yeux violacés.

- Et si je te suis ? Demandais-je d'une voix sèche. Il va arriver quoi hein ? On est même pas sûr de pouvoir partir ! Et on reprendra notre vie de déserteur comme ci rien ne s'était passé ?

Je fixais Ienzo d'un regard noir, alors que celui ci ne souhaitait que m'aider. Mais les choses étaient bien trop compliquées pour que je puisse garder mon calme. Tu comptes partir quand ? Demandais-je.

Tu comptes partir quand ?
Dans la nuit.

Ienzo a l'impression que la colère de ses yeux lui brûle la peau comme les rayons du soleil pendant les grands jours ensoleillés, que la sécheresse de sa voix lui jette du sel dans les plaies à vif. Mais il supporte comme il a toujours supporté ses déceptions, dans le plus grand des silences. J'ai un moyen, mais il faut qu'on l'atteigne sans nous faire repérer. Une fois que nous serons là-bas, ils ne pourront plus nous suivre. Mais il faut qu'elle lui fasse confiance. Qu'elle ouvre les yeux.
Pitié.

Il s'approche de Nsiese, les oreilles baissées et l'échine courbée. Nous rejoindrons les autres, une fois que nous serons libres. Ils seront si heureux de te revoir, surtout Theluji. Oui, il imagine déjà leurs têtes à la vue de leur ancienne disparue. Thulrur, Nihahsah, Cerys, Theluji, Nguvu. Ils doivent attendre son retour. Ils le doivent, pas vrai ? Nous n'avons peut-être pas encore de terres, mais tu n'auras plus à te battre et souffrir tous les jours avec nous. Il fronce les sourcils, redressant la tête pour donner un poids à ses prochains mots. Je préfère tenter ma chance pour rejoindre ceux qui m'aiment vraiment plutôt qu'attendre de mourir pour des barbares qui me traitent comme de la chair à griffes. *

* Chair à canon.

- Dans la nuit.

Quoi ? Si vite ? Je restais bouche bée devant l'annonce de Ienzo. Comment pouvait-il être si sûr de son plan, comment pouvait-il pensait qu'il pourrait s'enfuir, alors que les Cidanka surveillaient jour et nuit leur territoire... J'ai un moyen, mais il faut qu'on l'atteigne sans nous faire repérer. Une fois que nous serons là-bas, ils ne pourront plus nous suivre.

Quel était ce moyen ? Le plan de Ienzo attira ma curiosité, mais je ne montrais aucune émotion, hésitant beaucoup trop pour réellement me réjouir des paroles de l'ex Msafara. J'ignorais ce que je devais faire, j'avais besoin de temps pour réfléchir, et Ienzo ne m'en laissait pas l'occasion. Je n'avais que quelques heures pour me décider, avant de le voir filer, ou se faire tuer...

Ienzo m'informa que les lions qui avaient quitté Mu'Awiya seraient sûrement ravis de me voir. Mais avais-je réellement envie de retourner à mon ancienne vie ? Je préfère tenter ma chance pour rejoindre ceux qui m'aiment vraiment plutôt qu'attendre de mourir pour des barbares qui me traitent comme de la chair à griffes.

Peut-être Ienzo était-il aimé par mes anciens camarades, mais moi, ils m'avaient abandonné chez les Cidanka puis six mois maintenant. J'avais une chance de m'échapper, mais l'ignorais si je voulais la saisir. Nahama, Jacayl et même Togotan, tous les trois me manqueraient énormément si je partais. Mais d'un autre côté, les Msafara m'avaient manqué eux aussi, et j'avais réussi à tourner la page, je pouvais donc faire pareil en sens inverse ?

- Je vais réfléchir... avais-je répondu au félin gris. Mais si je pars avec toi, je ne suis pas certaine de rester avec vous ensuite. Trop de choses se sont passées depuis ces derniers mois. Nous avons tous changés.

Mon ventre se serra. Aurais-je vraiment le courage d'accompagner Ienzo ? Ou allais-je choisir de rester ici, dans ma nouvelle famille, en sachant malgré tout que le Grand Consul avait ordonné ma mort au moindre faux pas ? Où dois-je te retrouver si je viens ?

Je vais réfléchir. Il y a une lueur d'espoir qui vient illuminer le regard sombre du caverneux, mais elle meurt aussitôt que la sableuse lui révèle de ne pas être certaine de poursuivre son chemin à leurs côtés. Les mots transpercent sa poitrine, fendant son coeur d'une souffrance qu'il cache difficilement. Ses pupilles tremblent à nouveau, ses crocs pincent l'intérieur de ses babines tant il serre les mâchoires et ses yeux retombent en direction du sol, mais il trouve la force de lui répondre dans un souffle.

D'accord.

Ienzo accepte son choix, parce qu'il ne peut pas faire autrement. Il n'est pas comme ces barbares, qu'importe combien la décision peut lui faire mal. La rive. Qu'il répond, finalement. Fais attention à toi. S'ils les attrapent, ils les tueront sur le champs, il n'y a pas le moindre doute. Alors qu'il s'égare dans ses pensées, il tombe sur le poignet retourné de Nsiese. Un présage ? L'angoisse lui compresse la poitrine, Ienzo sent une nausée lui remonter dans la gorge, mais il s'efforce de ne rien laisser paraître.

Il n'a pas le droit à l'erreur.
Glissant un dernier coup d'oeil à la jeune lionne, il reprend lentement sa marche. Elle a probablement envie d'être seule pour songer à la discussion et faire son choix... Lui aussi, il en a un à prendre.

FIN