Ses blessures commençaient à se refermer. Les plaies rosâtres ornaient encore son ventre moucheté de bleu et certaines étaient toujours couvertes de croûtes, mais au moins Impuku n'avait plus mal. C'était à peine si la peau lui tirait à cet endroit; une bonne chose, car l'Ukrebe ne l'avait pas ratée. Il aurait pu l'éventrer mais, grâce à Silwe, il n'avait pu que lui arracher les poils et percer légèrement la chair. A vrai dire, c'était surtout l'attaque des piranhas qui avait suivi qui avait aggravé les blessures causées par le monstre...

Alors, forcément, la Souris avait revu son avis sur le conseiller militaire. Lui qui lui faisait autrefois si peur commençait presque à la rassurer – d'un naturel peut-être trop doux et optimiste, elle supposait qu'il cachait un cœur tout tendre derrière ses muscles et ses cicatrices. En fait, c'était la Cour toute entière qui lui semblait soudain plus agréable...

Mais ça, c'était jusqu'à ce qu'elle reçoive une convocation. Et là, tous les beaux espoirs d'Impuku disparurent : c'était la première fois de sa vie qu'on l'y appelait et, forcément, ça allait être pour lui donner un blâme ! Ils allaient la gronder et la punir ! Elle n'était même pas sûre de savoir pourquoi, mais elle savait surtout qu'ils étaient capables de trouver n'importe quelle raison – mais, ne pouvant se dérober à une convocation directe, elle avait été contrainte de se glisser dans la cavité où on l'avait appelée.

La première surprise fut de n'y voir que sa Dame. Pas d'entourage, pas de garde du corps bourru et patibulaire. La seconde fut les mots qui la saluèrent. Pas de blâme, pas de reproche. Mais... une mission ?!

— Qu'est-ce que je peux faire ? répondit-elle d'une voix tremblotante. Cette question était évidemment une offre de service, du style "que puis-je faire pour vous ?" et pourtant, à l'entendre, elle sonnait plutôt comme "mais pourquoi moi ?? qu'est-ce que je peux faire ??".

L'inquiétude d'Impuku s'amenuisa au fil des paroles de sa Dame. Finalement, il ne s'agissait réellement pas de la punir, mais bien de lui donner une réelle mission... et pas une mission du style "entraîne-toi à la guerre". Elle était contente de savoir qu'Inqaku avait pris ses informations au sérieux et qu'elle avait su les approfondir, bien qu'elle ignorât comment elle s'y était prise. Un doux sourire vint même étirer ses babines devant la bienveillance de son aînée, et la Souris se mit à acquiescer doucement, soudain beaucoup plus enjouée et volontaire qu'à son arrivée.

— Oh, je vois ! fit-elle en laissant son souffle lui échapper dans un soupir soulagé. Il n'y a pas de souci, je peux faire ça ! Et elle y croyait vraiment : s'il était question de se faire une amie, alors Impuku était la mieux placée pour ça ! Et, pour ce genre de mission, elle avait tout à fait confiance en elle. Mais encore faudrait-il qu'elle ait la chance de trouver Nsiese sur la rive... parce qu'elle n'allait décemment pas faire tout le tour du territoire ennemi pour espérer trouver la jeune lionne.

— Quand est-ce que je dois faire ça ? Le plus vite possible ? Vous voulez que je reste sur la rive jusqu'à ce que je la voie ?

Guetter la rive, ne pas se faire repérer... Tout ça, c'était faisable ! La mention de Zuberi l'inquiéta au premier abord – tout simplement parce que le gros lion bourru l'inquiétait de manière générale – mais elle crut finalement comprendre qu'il était là pour la protéger alors, elle décida de ne pas s'en angoisser. Après tout, si Silwe avait pu lui prouver qu'il était prêt à la protéger, même elle, la petite Souris, alors peut-être Zuberi était-il fait du même honneur ? Elle pouvait lui faire confiance, si Inqaku décidait que c'était la meilleure décision à prendre.

Mais voici qu'Inqaku prenait encore plus de sérieux : à la mention de torture psychologique et d'une Nsiese brisée, Impuku se rendit compte de toute l'ampleur de sa mission. Il ne s'agissait pas simplement de se faire une amie : il fallait sauver une vie, comme le disait la Dame. Évidemment, Impuku buvait ses paroles et acquiesça gravement quand elle eut fini. Oui, elle comprenait. Ce n'était pas un jeu, ni même un entraînement – c'était la vraie vie et pour la première fois depuis sa naissance, son clan et quelqu'un d'autre avaient réellement besoin d'elle.

— Je vais tout faire pour la sauver, assura-t-elle d'une voix plus sérieuse qu'à l'accoutumée, mais toujours aussi douce. Et je serai prudente. Je ne me mettrai pas inutilement en danger, et Zuberi non plus. Son cœur avait beau tambouriner dans sa poitrine sous le coup du stress et de la pression, Impuku était bel et bien prête à servir son clan : elle n'avait jamais demandé mieux. Recevoir une mission de la bouche même d'Inqaku était, pour elle, le plus grand des honneurs.

Elle se tenait droite à présent, et avait le regard dur – un côté d'elle insoupçonné, mais était-il si surprenant que ça ? Impuku était, après tout, du même sang que Lindiwe, qui avait toute sa vie prouvé sa dévotion aux Khomba.
Elle attendit, incertaine. Y avait-il d'autres ordres ? D'autres conseils, d'autres indications ?

Inqaku la gratifia d'une dernière consigne; une parole qui emplit le cœur d'Impuku de joie. Et si son regard si pur et si innocent témoignait sans mal de toute l'ampleur de son soulagement et de sa gratitude, elle réussit miraculeusement à rester digne et à ne pas se jeter aux pattes de sa Dame pour lui embrasser les coussinets.

Impuku était exemptée de la guerre. Enfin, c'était le prétexte qu'elle était censée donner, mais... ça voulait dire que c'était vrai, non ? Il serait étrange qu'elle le dise aux autres pour que, finalement, Inqaku ait l'air de revenir sur sa décision. Alors, rassurée au centuple, Impuku inclina respectueusement la tête.
— Merci beaucoup, fut tout ce qu'elle réussit à dire tant elle avait peur de trop en faire, mais sa voix émue semblait crier toute sa reconnaissance.

D'un autre côté, elle avait compris qu'avoir cette excuse signifiait ne révéler à personne l'existence de sa mission. Si Impuku n'avait jusque-là parlé de Nsiese à personne, respectant ainsi le premier ordre d'Inqaku, celui-ci lui paraissait à présent désuet; si Nsiese devait les rejoindre, il faudrait bien que les autres l'accueillent correctement, non ? La pauvre ressemblait tout de même aux Cidanka, du moins par la couleur de son pelage, et la méprise serait vite faite... auquel cas, Impuku ne pourrait rien faire pour la protéger. Oh, mais peut-être était-ce pour ça que Zuberi devait l'accompagner ?
Décidant finalement qu'Inqaku savait ce qu'elle faisait, Impuku n'y réfléchit pas plus que ça et accepta sans mal de garder le silence – c'était, après tout, sa première nature. Elle s'inclina donc une dernière fois devant sa dirigeante et quitta la caverne, le cœur battant toujours aussi fort mais l'âme prête et déterminée à faire le Bien.

FIN