Inyanga revenait d'une petite partie de chasse solitaire. Elle avait ramené une jeune biche qui avait eu la malchance de passer en dessous de l'arbre où la femelle s'était perchée. D'un coup de croc, elle lui avait ôté la vie, et maintenant, elle traînait le cadavre à travers la forêt pour le ramener au clan. Elle pouvait se montrer utile parfois, mais il ne fallait pas s'attendre à ce que la femelle face cela tous les jours...

Elle traîna le corps à travers les arbres, galérant parfois lorsqu'une patte se bloquait dans une racine. Ramener sa proie était bien plus fatiguant que de l'avoir tué...

Elle remarqua un pelage blanc et bleuté à travers la forêt... Plissant les yeux, elle reconnu le jeune Nkosana, et sans perdre une seconde, elle l'interpella pour qu'il lui vienne en aide. Il tombait bien celui là !

- Eh toi ! S'exclama t'elle avant que l'adolescent ne soit trop loin pour l'entendre. Viens m'aider, faut ramener ça au clan...

Elle aurait bien dit qu'il était temps pour lui de faire sa part du marché, qu'à son âge, il y'avait autre chose à faire que de se balader tranquillement dans la forêt, mais la femelle n'était pas sa mère, et, quelle ironie ce serait de recevoir une leçon de morale de la part de Inyanga la Fainéante...

— Je ne veux pas y aller, murmure Nkosana. Ses sœurs le dévisagent, un air vide accroché aux cils. Il sait à quoi elles pensent ; ses congénères n’ont plus que cela dans le crâne depuis plusieurs semaines : la guerre. Elles l’imaginent se faire dépecer par un méchant Cidanka. Elles croient qu’il est fichu d’avance avec son corps malingre. Nkosana s’en fout. Nkosana n’ira pas au front. Il a prévu de fuir, de s’enfoncer profondément dans les bois pour échapper au grand départ. Il va passer pour un couard… sauf que c’est ce qu’il est. Il n’en a pas honte. Il n’a jamais eu que de bonnes intentions, n’a jamais aspiré à autre chose qu’à la paix des âmes.
Y aller pour voir ses frères de clan se faire massacrer ne réussira qu’à le faire vomir ; à condition, bien sûr, de survivre plus d’une seconde dans le chaos.

Aussi, Nkosana laisse ses jumelles disparaître au coin d’un fourré. Lui a mieux à faire que s’entraîner à longueur de journées ; à commencer par… Eh ben… Chercher un coin où se cacher jusqu’à ce que le conflit se calme ! Il part d’un pas léger vers le bois environnant, papillonnant entre les arbres en fredonnant une berceuse. Son cœur bat au rythme des mouvements du vent tiède dans les branches, son sang coule doucement dans ses veines. Il est calme, comme souvent lorsqu’il n’y a personne dans le coin. — Eh toi ! Son pouls s’affole.
Nkosana s’immobilise brusquement, les oreilles dressées sur le crâne, les yeux écarquillés. Il cligne rapidement des cils, puis lance un regard horrifié à la lionne qui se tient un peu plus loin. Ses neurones commencent à surchauffer, il essaie de trouver une excuse valable. — Je suis malade, Madame ! Un embarras gastrique… Il ne me permet pas de m’entraîner... Il babille, trépigne.

Au final, ses inquiétudes ne sont pas fondées ; Inyanga — l’une de ses aînées — réclame de l’aide. Nkosana baisse les yeux en rougissant sous ses poils. Il vient vraiment de parler de diarrhée devant une fille du clan ? Il se rapproche cependant en remarquant enfin la biche couchée sur le flanc. Il ouvre de grands yeux admiratifs, le souffle court. — Oh, oui ! Je vais vous aider, pardon. C’est une sacrée prise que vous avez là ! Vous devez être douée. Son plumeau se balance doucement d’excitation. Sans plus de cérémonie, le jeune mâle s’insinue jusqu’à la proie pour prendre les arrières entre ses mâchoires. Il parvient à soulever légèrement l’animal du sol pour leur éviter de traîner un poids mort, puis avance prudemment en faisant des pas amples proprement ridicules.

- Je suis malade, Madame ! Un embarras gastrique… Il ne me permet pas de m’entraîner...

Quoi ? Mais qu'est ce... Inyanga regarde le jeune mâle, les sourcils levés, ne comprenant pas un traître mot de ce qu'il voulait dire. Elle s'en foutait royalement de ses problèmes gastriques là... Ce n'est pas traîner une proie jusqu'au clan qui allait le tuer !

- Oh, oui ! Je vais vous aider, pardon. C’est une sacrée prise que vous avez là ! Vous devez être douée. Se rattrapa t-il en venant finalement donner un coup de main à la femelle. Elle ne répondit même pas à ses compliments, bien trop pressée de ramener son butin. De plus, Inyanga ne supportait pas les mômes, et en soit, Nkosana était un mioche comme tous les autres à ses yeux. Aller dépêches toi ! Ordonna t-elle en reprenant entre ses mâchoires sa proie qui commençait à peser une tonne à force de la traîner.

Elle avança, sans se préoccuper de savoir si l'adolescent suivait le rythme facilement ou non. Après plusieurs dizaines de mètres, elle reposa la biche au sol, avant de s'asseoir. On va faire une pause cinq minutes. Dit-elle sans se soucier si le félin avait autre chose de prévu...

Inyanga le presse, ce qui le pousse à coucher les oreilles sur le crâne. Il baisse les yeux, mal à l’aise. Il n’aime pas qu’on le dépêche ; s’il échappe aux entraînements, ce n’est pas pour se faire écrabouiller comme du poisson pourri par d’autres Khomba ! Les aînés qui supervisent l’enseignement des jeunes sont déjà assez durs comme ça. Il obéit néanmoins. Ce n’est pas Nkosana qui va se rebiffer contre quelqu’un d’autre — encore moins contre un lion plus âgé.
Il se laisse utiliser sans broncher, même si son expression passée de l’admiration à la gêne en dit long sur ce qu’il éprouve. Il essaie de conserver un semblant de dignité en ne faisant pas grand-cas du comportement de la Khomba ; il en connaît beaucoup au camp qui sont comme ça aussi.

Il opine doucement du chef en reposant délicatement la proie sur le sol. Inyanga veut faire une pause. Lui n’est pas fatigué mais se retient de le souligner pour ne pas indisposer la femelle ; après tout, il ne sait pas sur combien de mètres la lionne traîne sa biche. Il observe l’animal abattu. C’est une jolie bestiole, probablement à peine sortie de l’adolescence. Il sent son bide se serrer quand il comprend qu’Inyanga a mis fin à ses jours avant que le cervidé n’ait pu avoir à une descendance. Il n’aime pas trop l’idée. C’est même douloureux pour lui. Il a conscience de leur rôle mais n’y prend pas plaisir pour autant ; réduire au silence d’autres créatures le répugne. Les blessures de la proie font naître de nouvelles questions qui éloignent rapidement sa morosité, cela dit. Vous lui avez sauté sur le dos ? Les morsures semblent indiquer qu’Inyanga a croqué depuis la nuque, pas le cou. Il fronce les sourcils, déconcerté. Une mise à mort pareille paraît difficile à mettre en œuvre. Tenir sur le dos d’une bête apeurée est déjà, en soit, une espèce d’exploit. Il gonfle les joues. Ils ne nous apprennent pas ça, à nous. C’est nul. Qui vous l’a enseigné ? Il la lorgne de ses billes candides en espérant avoir de meilleures réponses que précédemment… Bon, après, Nkosana est un môme intelligent. Il est à peu près sûr qu’il va se faire envoyer sur les roses. Il aura au moins essayé.

Au soulagement d'Inyanga, le jeune mâle était resté silencieux durant tout le temps où ils avaient traîné l'herbivore mort. Elle avait bien remarqué son changement d'expression, mais n'y prêta aucune attention, se moquant royalement des états d'âmes du jeune félin. Une fois assise, la femelle observa les environs, se plongeant dans ses pensées. Elle n'avait pas idée de discuter, et encore moins avec un adolescent un peu trop efféminé à son goût. Mais, c'était sans compté sur l'envie de parler du mioche.

- Vous lui avez sauté sur le dos ? Demanda t-il en observant les blessures causées à la jeune biche. Ils ne nous apprennent pas ça, à nous. C’est nul. Qui vous l’a enseigné ?

Inyanga posa son regard jade sur le félin tacheté de blanc. Il était vrai que la plupart des Khomba chassaient au sol, et Inyanga devait être l'une des rares à préférer utiliser la méthode "léopard".

- Ma mère me l'a apprit. Répondit-elle, d'une voix un peu plus douce qu'auparavant. C'est une bonne grimpeuse, et lorsque j'avais ton âge, j'ai voulu apprendre sa méthode. C'est beaucoup de patience, et je me suis raté plus d'une fois lorsque j'ai commencé.

Elle se rappela toutes ses fois où, par manque de patience ou de concentration, elle manquait sa proie, sautait trop vite, ou ne parvenait pas à se cramponner correctement sur le dos de sa victime, qui parvenait à la repousser sans mal. Les Khomba pourraient utiliser les arbres pour tendre des embuscades aux Cidanka, mais beaucoup rechigneraient à grimper. Ajouta t-elle.

Même son propre père trouvait cela ridicule de chasser de cette façon. Préférant la méthode classique, il reprochait très régulièrement à sa compagne d'avoir enseigné la chasse de cette façon à leur fille. Inyanga elle, était fière d'être une bonne grimpeuse. C'était bien la seule technique qu'elle connaissait dont-elle était fière. Je pourrais t'apprendre si tu veux... Lui proposa t-elle dans élan de bonté qui la surprit elle même. A condition que tu sois concentré, et que tu ne m'ennuis pas.

Le caractère brute de la lionne refit rapidement surface. Elle qui ne supportait pas les jeunes du clan regretta presque sa proposition, mais il fallait bien contribuer un minimum à leurs entraînements, et grimper aux arbres permettait de se muscler les pattes et travailler son équilibre. Et c'était aussi une bonne méthode pour s'écarter d'un danger potentiel, comme un troupeau d'herbivores en pleine charge...

Il ouvre de grands yeux surpris quand la lionne consent à répondre. Son pouls s’accélère. Sa voix, devenue plus douce, lui fait l’effet d’une caresse ; à des milliers de kilomètres des inflexions bourrues laissées échapper plus tôt. Il pose son petit cul sur le sol, ramenant sa queue sur ses antérieurs en gonflant les poumons. Il essaie d’avoir l’air digne comme il a vu faire les grands. Il se sent un peu jaloux, lui, de ne pas avoir une mère aussi impliquée. Il l’écoute attentivement alors que ses lèvres se parent d’un sourire timide. Il a l’impression de la voir s’ouvrir comme une fleur sous les rayons du soleil ; ce qui lui donne à croire qu’Inyanga aime la lionne qui l’a mise au monde.
C’est une idée qui lui réchauffe le cœur, à Nkosana.

Il s’enivre de son récit, émerveillé. Il ne manque jamais d’être impressionné par les spécialités de ses congénères. Surtout, Nkosana se rêve souvent en train de faire la même chose ; s’il est un lâche, son âme, elle, aspire à réaliser quelques prouesses. Il lève les prunelles vers les branches. Sa bouche forme un “o” médusé. Oh, oui, il faut que les Khomba apprennent. Il ne sait même pas pourquoi ce n’est pas encore au programme des jeunes ; du coup, quand Inyanga lui propose d’apprendre, l’enfant se sent privilégié. Il ronronne d’enthousiasme, les billes illuminées par la reconnaissance. Il se force cependant à prendre une profonde inspiration pour répondre calmement à son aînée : Je serais très honoré d’apprendre de vous. Merci beaucoup. Il se plie avec grâce dans une révérence pleine de respect. Lui, au moins, sait ce qu’il doit aux générations précédentes. Je suis surpris que notre Mère ne mette pas à profit vos capacités. Ce serait un tel atout… Et puis… Quel Cidanka penserait à regarder dans les arbres si un Khomba ne s’y cache pas pour espionner ! Il serait peut-être plus aisé de récupérer des informations provenant de la rive. Surtout que le changement de point de vue pourrait nous être bénéfique.

Il opine du chef alors que ses yeux se perdent dans le vague. La griffe de son index vient délicatement pianoter sur sa lèvre supérieure. Quoi qu’il en soit, n’hésitez pas à me faire savoir quand vous n’êtes pas trop occupée pour m’accorder un petit moment. Je ne voudrais pas vous en prendre trop, bien sûr. Je m’entraînerai de mon côté pour m’améliorer à chaque fois ! Son plumeau remue paresseusement de gauche à droite alors qu’il se redresse en désignant la proie, proposant en silence de reprendre le chemin.

Inyanga fut surprise d'entendre l'adolescent accepter sa proposition. Peut-être aurait-il mieux valu qu'il la refuse, après tout, grimper aux arbres n'était pas donné à tout le monde. Il continua ensuite en se demande pourquoi les Khomba ne prenaient pas exemple sur elle. Une bonne question, mais qui, aux yeux de la femelle ne servait à rien, puisqu'elle était persuadée que les Khomba étaient trop habitué à leur façon de faire pour essayer de prendre la peine à s'entraîner pour la grimpette. Il n'y avait qu'à voir la réaction de son propre père lorsqu'elle chassait de cette façon.

- Quoi qu’il en soit, n’hésitez pas à me faire savoir quand vous n’êtes pas trop occupée pour m’accorder un petit moment. Je ne voudrais pas vous en prendre trop, bien sûr. Je m’entraînerai de mon côté pour m’améliorer à chaque fois !

Il lui faisait bonne impression, ce petit moucheron. Inyanga eu même un petit sourire qui s'afficha sur son visage, chose qui était très rare ! Nkosana pouvait se sentir chanceux d'avoir assisté à un tel spectacle. Mais le sourire de la femelle disparu aussi rapidement qu'il était apparu, et son air neutre habituel refit surface.

- Si tu es un bon élève, alors soit, je t'apprendrais à grimper aux arbres. Mais pour l'instant, il faut ramener cette proie.

Inyanga enfonça donc ses crocs dans la peau de la jeune biche, et une fois que Nkosana en fit de même, elle reparti, à moins vive allure cette fois ci, histoire de laisser l'adolescent avancer à son rythme, en direction du clan.

Une fois leur objectif atteint, Inyanga se dirigea vers la réserve, posa sa proie, et prit un animal de bien plus petite taille pour se rassasier un peu. Elle alla se mettre dans un coin à l'abris de la pluie qui commençait à tomber. Un éclair zébra même le ciel, suivit d'un grondement qui résonna à travers le paysage. Nous sommes arrivés au bon moment. Dit-elle, comme pour elle même.

- Comment se passent très entraînement Nkosana ? Elle était curieuse tout d'un coup, non pas qu'elle s'intéressait réellement à la vie du jeune lion, mais elle voulait savoir pour qui elle allait consacrer son précieux temps...