Allongée, les quatre pattes en l'air, Inyanga somnolait à l'ombre des arbres, profitant d'une légère brise pour pousser des ronronnement de bonheur. Elle était bien là, à sentir l'herbe caresser son pelage si parfaitement nettoyé. Une feuille vint se poser sur le museau de la lionne, et celle ci n'eu même pas le courage de l'enlever elle même. Elle attendit, 5, ou bien 10 ou peut-être même 15min avant que le vent ne se décide à pousser la petite feuille de lui même. Elle aurait pu rester là des jours et des jours entiers... Oh ! Mais, ce n'était pas déjà ce qu'elle faisait ? Eh bah si, d'ailleurs, elle ne comptait pas changer ses petites habitudes... Mais ça, c'était sans compter sur certains chieurs du clan !

- Lève toi, Inyanga. La réserve est presque vide, il faut aller chasser quelques proies pour nourrir tout le monde.

Inyanga poussa un soupire d'exaspération, avant d'entrouvrir un oeil. Tiens donc, c'était Zuberi, ce faux loyal à Dame Inqaku... Inyanga ne lui parlait pas vraiment. Elle n'avait rien contre lui en particulier, c'est juste que... Il était bien trop sérieux, et donnait des ordres, alors qu'Inyanga n'avait clairement pas envie d'aller chasser.

- Nous allons nous rendre au bord de la rive. A cette heure-ci, il doit y avoir une tonne de proies en train de s’y abreuver.

Inyanga releva la tête, et délaissa sa position si agréable pour s'allonger sur le ventre, observant Zuberi. Comment ça nous ? Demanda la femelle d'une voix grincheuse. Il me semble qu'appart toi, je ne vois personne qui soit décidé d'aller chasser. Elle regarda autour d'elle, effectivement, aucun lion ne semblait motivé à lever son cul. Elle reposa son regard vert sur le mâle avant de dire avec un faux air de surprise. Oh ? Tu t'attendais à ce que je vienne ?

Une patte sur le poitrail, Inyanga affichait un air choqué, faussement désolée de ne pas subvenir à l'envie de Zuberi. Il y'a d'autres lions dans le clan, pourquoi viens-tu m'ennuyer moi ? Demanda t-elle enfin, méprisante. J'ai déjà chassé ce matin. C'était vrai ! Mais elle n'avait chassé que pour elle, et non pour le clan...

Il me semble qu'à part toi, je ne vois personne qui soit décidé d'aller chasser.
Son oreille tique à l'entente de la voix grincheuse, fouettant l'air du bout de son plumeau. Malgré que son visage ne change pas, l'expression toujours taillée dans le marbre, on sent que son agacement est palpable alors qu'il contourne le promontoire offrant gracieusement son ombre aux lions peu disposés à remplir une tâche pourtant essentielle au clan. Même lors des heures les plus ensoleillées, il est rare que le géant se repose, quitte à marcher de longues heures dans leur territoire ; il préfère ça que s'engraisser à l'abri de quelques roches. Les vieilles habitudes d'un temps révolu.

Ses yeux se plantent sur la lionne au ton méprisant, désormais à ses pattes - on pourrait même avoir cru qu'il allait lui marcher dessus pendant un instant - sans remarquer les regards à la lueur nerveuse qui se tournent soudainement vers lui. Debout. Silwe ordonne d'une voix caverneuse, de celle qui gronde dans la gorge, tape contre les roches non loin et résonne sous le promontoire qui a presque du mal à protéger sa masse du grand soleil.

Puis, il détourne son regard d'Inyanga pour le fixer d'un mouvement vif sur les autres dormeurs probablement réveillés en sursaut par sa voix, l'ordre ne s'adresse pas qu'à elle et il est satisfait de voir que certains n'hésitent pas plus longtemps avant de se relever d'un bond. Sûrement ont-ils conscience que Silwe n'est pas le genre à prendre les grognements méprisants et les jérémiades sarcastiques aussi bien que Zuberi, à qui il fait un léger signe de tête, autant pour le saluer que lui indiquer qu'il peut enchaîner.

Pour la première fois de sa vie, Lindiwe avait eu du mal à se lever ce matin. Pas quelle était fatiguée ou flemmarde, non, mais ses articulations l’avaient soudainement lâchée, elles lui faisaient un mal de chien. La grand-mère avait réussi à se traîner jusqu’à une petite aire ensoleillée et elle y avait passé un bon bout de temps, attendant que ça passe.

Elle regarda avec attention la tentative de mettre Inyanga en route de Zuberi, ce lion était trop froid à son goût et de part son ancienne loyauté, elle se méfiait de lui. Après l’ordre de Silwe, Lindiwe regarda les autres se lever, c’est vrai que la mâle en imposait, elle avait presque été tentée de l’écouter. Voyant que la discussion ne menait pas à grand-chose et qu’ils l’avaient tous les trois réveillés, la Khomba décida à se lever à son tour. S’étirant longuement sous le regard des autres, ses douleurs semblaient s’être atténuée.

Elle se dirigea ensuite nonchalamment vers le petit groupe et vint se placer aux côtés de Silwe, surplomba Inyanga.

Bon vous vous décidez ? Je veux bien la remplacer, mais par pitié fermez-la. dit-elle en s’adressant aux trois Khomba.

Ordre de tour:

La femelle s'apprêtait déjà à reprendre sa position initiale. Elle n'était pas décidée à aller chasser, elle avait déjà donné ce matin. Pourquoi fallait-il que l'on vienne l'emmerder elle, après tout, il y'avait d'autres lions dans le clan, et tous profitaient d'un moment de tranquillité, tout comme elle.

Debout. Inyanga allait répondre d'une voix cinglante au lion d'aller se faire voir. Mais elle se ravisa bien vite lorsqu'elle posa ses yeux anis sur le conseillé de Dame Inqaku. Inyanga n'était pas folle. Elle savait à qui se frotter ou non, et Silwe n'était pas le lion qu'elle allait se permettre d'envoyer balader. Elle se leva, secoua son pelage dans lequel quelques brins d'herbe s'étaient immiscés, puis, après avoir levé les yeux aux ciel de contrarié, elle se mit debout prête à suivre le petit groupe de chasse.

Lindiwe arriva à son tour, grincheuse, se proposant pour remplacer Inyanga, qui fut ravie de l'entendre. Mais ce fut sans compter sur Zuberi, qui ne laissa pas à la feignante le choix de venir ou non.

Inyanga poussa un grondement presque inaudible, avant de commencer à suivre le mâle noir. Celui ci demanda à Silwe si il désirait prendre la tête de l'expédition. Inyanga elle, resta silencieuse, boudant dans son coin. Elle n'avait qu'une hâte, que cette chasse se passe rapidement, et qu'elle puisse rentrer pour se reposer...

C'est un grondement d'avertissement qui succède aux paroles de la grincheuse Lindiwe, mais Silwe ne voulant pas gaspiller son énergie à recadrer chaque personne se croyant au dessus des conséquences, il ne fait rien de plus et redirige plutôt son attention sur Zuberi, répondant à son remerciement silencieux d'une légère inclinaison de la tête avant de lui emboîter le pas. Il n'a pas envisagé de partir à la chasse aujourd'hui, mais si la réserve est presque vide, alors qu'il en soit ainsi. Sa carrure ne lui permettant pas d'être aussi discret que ses congénères, il trouve son utilité dans le rabattage de grosses proies et ça tombe bien, puisqu'ils forment un groupe.

Le colosse accepte la proposition du sombre guerrier en opinant du chef, prenant la tête du cortège pour les amener jusqu'à la rive nord. À une certaine distance de la rivière, il baisse l'échine, s'allongeant quasiment afin d'éviter de se faire remarquer des bêtes qui étanchent leur soif par ces chaudes heures ensoleillées. Nous chasserons les plus gros. Au mieux de s'épuiser à collecter les plus maigres. Placez-vous plus bas sur la rive. Je vais les rabattre dans votre direction. Silwe glisse un regard en biais à ses compagnons de chasse, surtout à la plus fainéante qui doit être ravie d'apprendre qu'elle n'aura pas à courir après leurs proies... Mais en réalité, il fait surtout ça pour la plus vieille membre de leur groupe, ayant bien conscience que son corps n'aura peut-être pas la force de supporter les efforts de la course en plus de la mise à mort.

Lindiwe coucha simplement ses oreilles lorsque Silwe lui gronda dessus, lui indiquant qu'elle avait compris son avertissement. Elle se permit néanmoins de soutenir son regard, très légèrement. La Khomba avait beau être de mauvaise humeur jusqu'au bout des poils, elle savait à qui se frotter et qui éviter de contrarier.

Le conseiller militaire prit donc les devants de l'expédition et la vieille lionne le suivi, restant proche d'Inyanga, pour s'assurer qu'elle n'allait pas essayer de se faire la malle dans le dos des mâles. Ne sachant pas vraiment comment deux colosses tels que Silwe et Zuberi allaient être assez habile que pour chasser, Lindiwe attendait avec impatience les directives de leur chef de patrouille. Elle opina du chef lorsque ces dernières furent données. Certes ses douleurs avaient disparu, mais elle sentait encore ses membres raides, bien qu'elle fasse son possible pour que cela ne se remarque pas. Ses pattes n'auraient jamais supporté une course effrénée.

Elle se rendit donc en première à l'endroit indiqué, son ventre frôlant l'herbe pour ne pas se faire remarquer. Une fois en place, elle se retourna vers ses deux camarades, elle avait hâte de voir comment Zuberi pourrait bien se montrer "discret" avec sa carrure, cela risquait d'être drôle.

Une patrouille aux abords de la rivière. Voilà l'ordre qui m'avait été donné aujourd'hui. Depuis quelques temps, mon Centurion avait jugé utile de me faire bouger un peu, plutôt que de m'occuper uniquement des soins à apporter. "Tu auras assez de blessés à gérer lorsque la rivière sera au minimum" m'avait-il dit.

C'est donc aux côtés de Nahama et d'autres Cidanka que je m'étais rendu sur la rive. Regardez. Avait dit Nahama tandis qu'elle avait le regard posé sur l'autre rive. Un lion au pelage grisâtre était entrain de chasser un cerf. Sa carrure était vraiment imposante, et je comprenais à présent ce que Togotan avait dit lorsqu'il m'avait sermonné concernant la guerre Cidanka Khomba. Moi qui avait toujours pensé que les Khomba étaient tous comme Lindiwe ou bien Impuku, j'avais la preuve du contraire sous mes yeux.

- Il est gros pour un Khomba, non ? Continua Nahama, tandis que j'avais le regard plongé sur la rive d'en face, observant le mâle musclé qui se trouvait être un ennemi. Ça m'étonnerait qu'il attrape le cerf tout seul, avec sa carrure, il ne doit pas être très rapide. Avais-je ajouté, sans aucune moquerie. Enfin, en tout cas, il a beau être costaud, il ne fait pas le poids face à Horyaal ! Avais-je ajouté, m'attendant à ce que Nahama confirme avec entrain. Togotan, on t'as trouvé un adversaire de taille !

Jacayl progressait calmement à l’arrière du groupe. Il y avait de l’animation, aujourd’hui. À mesure que les semaines s’égrénaient en les rapprochant de l’Heure — celle où le cours d’eau serait à son niveau le plus faible — l’effervescence se propageait. Le camp n’était déjà plus qu’une fourmilière de corps suant sous l’effort ; on faisait plus de rondes, plus d’entraînements, plus de tout. Les recrues jubilaient malgré la pression qui pesait sur leurs épaules.
La promotion de Jacayl, en particulier. Ils seraient tous reçus dans leurs Cohortes au moment de la Guerre. Ils commenceraient leurs vrais combats. On ne les laisserait pas derrière, ne minimiserait pas leur exposition au sang. Ils seraient lâchés comme la bande de lions qu’ils étaient. Et la princesse faisait parti des excités, des impatients qui souffraient en silence de l’attente ; les secondes s’éternisaient.

Ce jour-là ne lui sembla pas différent des autres : on les somma de se lever avant l’aube, on les exerça sans pitié pendant des heures jusqu’à ce que leurs muscles s’enfièvrent, puis on les lâcha avec des ordres précis ; ils devaient se rendre utiles, ils devaient se montrer dignes. Jacayl s’était greffée sur un groupe de patrouille sur le départ. Ils avaient, semblait-il, la mission d’observer les berges de la rivière. Elle demeura silencieuse en prêtant une oreille peu concernée aux conversations. Ils n’étaient ni là pour bavarder, ni là pour s’amuser. Aussi, les murmures lui semblaient inappropriés. L’absence du brouillard ne leur fournissait pas de planque convenable ; ils n’avaient pas besoin de signaler — en plus — leur présence aux Khomba des environs.

Les conversations se concentrèrent rapidement sur un mâle logé de l’autre côté. Jacayl l’observa. Il était imposant mais la recrue n’était pas surprise. Sipho aussi était massif. Il avait des os larges, ses pattes étaient puissantes. Elle l’avait senti lors de leurs étreintes ; déjà jeune, il aurait pu pulvériser la petite fille qu’il était à l’époque. Elle plissa les yeux. Les paroles de ses comparses lui donnaient des sueurs froides. S’ils manquaient si peu de méfiance — de discernement, même — lors des combats en pensant leurs adversaires si faibles, ils seraient peu de Cidanka à rentrer au camp. À moins d’avoir beaucoup de chance. Elle posa des billes claires sur les lionnes que Jacayl pensait pouvoir appeler ses amies. Sa voix caressante frappa l’air chaud comme une gifle. Vous devriez vous méfier des impressions. Ce n’est pas parce qu’il est lourd en apparence qu’il n’est pas agile, endurant ou rapide. Il a très bien pu se concentrer durant ses premières années de vie à développer sa masse, puis travailler depuis à compenser ses faiblesses par un entraînement assidu. Je connais des Cidanka qui pourraient paraître patauds mais qui, en réalité, peuvent vous arracher la tête sans que vous ayez eu le temps de les voir venir.

Elle haussa les épaules. Il n’y avait aucun reproche dans ses inflexions maîtrisées mais son cœur n’en désapprouvait pas moins les conclusions tirées à la hâte. Elle lorgna les courbes du mâle. Il allait clairement faire des ravages pendant la guerre. Son estomac se serra. Personne ne fait le poids contre Horyaal, Nsiese. Pour cause, personne ici ou là-bas est Horyaal. Par contre, il fait le poids contre nous. Il fait le poids contre beaucoup de Cidanka. Horyaal ne pourra pas nous servir de bouclier à tous ; il sera sûrement lancé sur les plus colossaux des Khomba. Qui nous dit qu’il n’y en a pas des plus massifs que celui-ci ?

Ils devaient s’entraîner plus. Beaucoup plus.

Notre bon gros Togotan avait suivi la troupe avec peu de convictions, ce jour-là. En effet, ce lieu qui était censé devenir son nouveau "terrain de jeu" ne lui avait laissé que d'aussi bons que troublants souvenirs. Et, évidemment, en arrivant sur le bord de la rive, le mâle n'avait pas pas pu empêcher l'image de la douce lionne bleue de ressurgir dans son esprit.

- Togotan, on t'a trouvé un adversaire de taille !

La phrase de Nsiese le fit instantanément redescendre sur terre. Il secoua vivement son énorme crinière. Satanée tête ! pensa-t-il, chassant le souvenir de ses pensées.

- Oh, ça tu l'as dit... murmura-t-il, les yeux rivés sur le mâle d'en face.

Alors tandis que Jacayl terminait de gentiment informer ses deux camarades, Togotan s'approcha doucement du bord de l'eau. Ses pas se voulaient le plus lent possible histoire de n'attirer ni l'attention du Khomba, ni celle des cervidés. Et c'est alors qu'une fois arrivé à quelques centimètres de la rivière, le gros balourd bondit sur ses quatres, gonfla la poitrine comme s'il tentait d'aspirer tout l'air de l'univers, et poussa son plus assourdissant de tous les rugissements qu'il avait pu faire avant cela.

Sans surprise, les herbivores cabriolèrent comme des bambis affolés et détalèrent au fin fond bois qui protégeait les terres Khombas de la vue de leurs ennemis Cidankas.

Quoi de mieux que de troubler les parties de chasse de lions ennemis pour affaiblir leur clan tout entier ? Se servir d'un Togotan pour le faire tout en s'amusant, peut-être ?

Inyanga, cachée dans les broussailles, fixait le cerf, s'apprêtant à lui sauter dessus si il échappait aux autres. Elle n'était pas d'humeur à chasser, mais quitte à être là, autant que tout se déroule vite et bien, pour pouvoir rejoindre le clan au plus vite et reprendre sa place à l'Ombre pour dormir.

Mais un rugissement assourdissant résonna, faisant fuir la potentielle proie des Khomba. Mais quel était le crétin qui avait fait ça ? La femelle fronça les sourcils, posant son regard vert jade sur la rive d'en face. Des Cidanka... Bah voyons, ce n'était même pas étonnant, apparemment, ces abrutis n'avaient rien d'autre à faire que de gâcher la chasse de leurs voisins. La femelle sorti de son buisson, posant son regard sur chaque Cidanka présent.

- Espèce de gros lard écervelé ! C’est dans le sang des Cidanka d’être aussi stupides, ou bien c’est ta mère qui t’a laissé tomber un peu trop souvent par terre ?!

Zuberi hurlait de rage, en donnant des coups de pattes dans le vide. Inyanga elle, s'était assis sous un arbre au bord de l'eau, sans rien dire. Elle fixait, jugeant, observant chaque félin ennemi. Deux d'entre eux attirèrent particulièrement son attention. Une rouquine, et une femelle bien chétive, - autant qu'Impuku - toutes deux avec les crins foncés. Curieux pour des Cidanka... De plus, elles étaient beaucoup moins musclées que les autres. Les Cidanka avaient-ils diminué leurs entraînements ?

Le soudain rugissement lui traverse les tympans, mais c'est à peine s'il réussit à lui faire tiquer une oreille. Il n'y a pas un mouvement dans les traits de son visage, ses yeux sont les seuls à encore bouger, mais ils ne font que suivre la débandade de leurs proies, disparaissant dans le bois. Il n'a pas besoin de tourner la tête pour savoir que ça vient de l'autre rive. Quelle surprise... Toutefois, il remarque un détail. Plutôt que profiter de l'aubaine pour observer leurs adversaires, la patrouille se dévoile immédiatement à leurs yeux. La discipline de Ksanaksan manque de sévérité ; on peut en apprendre beaucoup rien qu'à regarder les autres en pleine chasse, mais ils viennent de gâcher leur chance.

Le colosse se redresse de toute sa hauteur, faisant rouler ses muscles dans un mouvement lent, même tranquille. Lui ne compte pas gâcher cette occasion, il plante son regard sur chacun des lions de l'autre côté de la rivière, décortiquant silencieusement leurs physiques d'un regard toujours analyseur. Et il ne manque certainement pas de remarquer que deux lionnes n'ont pas le plumeau clair, ni la carrure habituelle des cidanka. Intéressant. Il reconnait, évidemment, la fameuse lionne dont le prince s'est entiché, la fille du consul et son portrait craché. Le conseiller marque une pause lorsque son regard tombe sur elle, la fente de ses yeux s'affinant comme s'il cherche à l'en transpercer, avant de s'en désintéresser brusquement.

Gare à tes mots. Le souffle, trop bas pour arriver jusqu'aux oreilles adverses, s'adresse à Zuberi qui frappe dans le vide, alors que Silwe passe à côté de lui. Il se fiche bien qu'il soit frustré par les agissements de la patrouille, qu'il fasse attention à ce qu'il dit. Sur le coup de la colère, les langues ont tendance à vite déraper.

Après avoir observé Zuberi se camoufler comme il pouvait, Lindiwe était restée concentrée sur le groupe de cerf, attendant patiemment qu’ils se jettent dans ses griffes. Elle entendit soudain un puissant rugissement, venant de l’autre rive. Son instinct de chasseuse la poussa néanmoins à poursuivre les derniers du groupe dans la forêt sur quelques mètres. Elle se stoppa vite, se rendant compte qu’elle était seule et qu’elle ne pourrait rien faire sans ses camarades.

Une fois de retour près de l’eau, elle entendit leur général mettre en garde l’autre mâle du groupe. Il venait certainement d’insulter l’ennemi. La vieille lionne avait bien envie de faire de même, mais ayant déjà un peu énervé leur chef plus tôt, elle préféra respecter son ordre. Lindiwe se coucha à côté des autres Khomba, la tête droite, avec prestance, affirmant ainsi aux Cidanka que leurs présences ne l’effrayaient nullement.

Elle regarda ensuite avec attention les quatre lions en face. Le grand mâle devait certainement être celui qui avait rugit. Comme Silwe, Lindiwe ne manqua pas reconnaître les traits du Consul dans une des femelles.

La traîtresse… pensa-t-elle.

Elle fronça soudain ses sourcils en reconnaissant Nsiese et ne put empêcher un léger grondement de monter de sa gorge. Elle voulait fuir les Cidanka, pourquoi se mêlait-elle ainsi à eux, alors ? Lindiwe vit ensuite la dernière lionne, elle ne portait pas non plus un plumeau clair. Se pourrait-il qu'elle soit aussi une recrue ? La Khomba reporta finalement son attention sur la lionne sable plus si en détresse que ça, la regardant ouvertement de travers.

Saleté… ronchonna-t-elle juste assez fort pour que les Cidanka ne l’entendent pas.

Lindiwe attendait la suite.

j'étais restée silencieuse, non pas car les remarques de Jacayl m'avaient blessé, mais car j'avais reconnu Lindiwe, celle avec qui j'avais discuté au début de mon arrivée à Cidanka. La vieille grise 'avait apparemment bien reconnu aussi, puisqu'elle me dévisagea un bon moment avant de reporter son attention sur les autres.

Nous avions donc en face de nous quatre Khomba, dont deux bien musclés. La seconde femelle était plus grande que moi et Nahama, mais restait assez fine. Comme quoi, les Cidanka et les Khomba n'étaient pas si différents.

- Oh ça va ! S'exclama Nahama qui prenait à coeur joie de se moquer de nos ennemis. Si on peut plus rigoler. Vous avez pas le sens de l’humour chez vous, bleusaille.

Si j'avais souris en entendant les paroles de mon amie rousse, je n'avais rien ajouté, préférant me faire discrète, et trouvant la situation assez ridicule. Les Khomba étaient en pleine chasse, et la réaction de Togotan à faire fuir le gibier pour emmerder les ennemis m'avait paru simplement puérile et stupide. Pas étonnant qu'il n'y avait aucune amélioration au niveau de l'entente des deux clans si ils s'amusaient chacun à se chercher lorsque l'occasion se présentait...

Je remarquais par ailleurs que la rivière avait déjà bien diminué, et que bientôt, la guerre ferait rage. Si pour le moment, chacun faisait son malin en insultant les autres d'en face, bientôt, il y'aurait ici même un bain de sang, et rien que d'y penser me faisait froid dans le dos. Si je me sentais un peu plus à mon aise chez Cidanka, j'avais toujours beaucoup de mal à accepter de participer à cette guerre imminente.

Jacayl était si concentrée à se rincer l’œil sur le bleu que le rugissement la fit pousser un juron fleuri. Elle lança un regard atterré sur Togo, bondit jusqu’à lui, puis réclama qu’il la ferme d’un coup de paluche — sans les griffes — entre les deux oreilles. Elle donnait l’impression d’un chaton essayant de malmener un peu un individu plus âgé. Plus grand, surtout. C’était ridicule.
Elle lâcha un grognement exaspéré en lorgnant son camarade de clan d’un œil plissé. Elle s’apprêtait à lui adresser un bon mot mais un Khomba la devança. Elle haussa un sourcil dédaigneux en reniflant face aux agissements d’en-face. Le mâle venait réellement d’insulter une mère ? Son sang ne fit qu’un tour dans ses veines. Tu ne serais pas là à ouvrir ton énorme sac à crottes, enfoiré, si une femelle ne t’avait pas donné la vie.

Le bout de sa queue s’agita frénétiquement sous le coup de la colère. Elle s’assit dignement, un air supérieur greffé sur le visage alors que ses yeux allaient — puis venaient — sur les corps agglutinés sur la rive voisine. Elle avisa une femelle peu intéressée par les échanges, avant d’observer un second mâle qui, lui, respirait l’autorité. Il ne s’abaissait pas au jeu des imbécilités, se contentant de les regarder, et de parler à voix basse. Elle pouvait presque entendre les rouages de son cerveau se mettre en route de là où Jacayl se tenait. Voilà son rival. Il avait l’air plus intéressant et plus intelligent que son compagnon décérébré, en tout cas. Elle approuva silencieusement en sentant son attention se fixer sur lui. Au final, le bal des injures se poursuivit. Il y eut des bribes de conversations échangées de l’autre côté sans que les sons ne lui parviennent ; Jacayl voyait les lèvres bouger, ce qui la frustrait. Lorsque le regard d’une lionne — déjà assez âgée, semblait-il — s’accrocha à Nsiese avec un peu trop d’insistance, la princesse eut le réflexe de se mettre devant. Un geste irréfléchi. Elle ne se rendit pas immédiatement compte de la portée de ce qu’elle avait fait ; à savoir, se mettre devant Nsiese pour la ”protéger”. Pourtant, lorsque le constat s’insinua dans son esprit, Jacayl ne put s’empêcher de se demander pourquoi. Se jeter au-devant du danger n’était pas dans ses habitudes. Elle laissait généralement ce rôle aux impulsifs, ce qui lui ouvrait la voie pour une contre-attaque plus silencieuse.

Elle repoussa ses inquiétudes en veillant à maintenir en place un masque de calme, d’assurance. Elle s’assit à nouveau, demeurant néanmoins devant Nsiese à cause d’un foutu besoin incompréhensible, puis se décida à prendre la suite de Nahama qui redevenait muette. Sa voix résonna dans l’air comme une claque sur une joue ; il n’y avait aucun écho de sa colère dedans. C’était seulement une explication, froide, jetée sur le tard. Ses prunelles épousèrent les courbes de la cible de ses paroles, l’expression neutre. Si la sienne l’a bercé trop près des murs, la tienne a vraisemblablement oublié de t’apprendre qu’il n’y a qu’une chose sacrée sur Terre : les mères. Calomnier sur la sienne fait de toi un gros lard au moins aussi écervelé que lui. Elle haussa les épaules, cligna des paupières, avant de se détourner de lui. Son camarade au pelage tirant dans le prune avait sa faveur. Au moins pour le moment. Je suis désolée que mon ami se soit montré si taquin.

Allez, sois gentil, bonhomme. Vous pouvez bien nous filer quelques informations, non ?
Non, Jacayl ne perdait jamais le Nord.

Et Toc ! Jacayl venait encore une fois de faire sa Jacayl ; la langue bien pendue mais parfaitement maîtrisée. On sentait que son intelligence surpassait de loin celle de notre gros tas de muscles écervelé. Ce dernier afficha alors un air extrêmement fier. Gonflant le poitrail, il se sentait béni des dieux d'avoir une telle alliée à ses côtés.

Pourtant, son expression déchanta bien rapidement lorsqu'il entendit la princesse... s'excuser ?! Mais quelle mouche venait de la piquer ? Elle avait perdu l'esprit ? Venait-elle de se faire déstabiliser par la prestence d'un de ces mâles ? Comme elle l'avait certainement été avec Sipho ? Ou encore comme notre blondinet avec cette lionne lunaire qu'il avait rencontré la dernière fois ? Togotan ouvrit la gueule pour protester. Puis se ravisa.

"Non, impossible." Jacayl n'était pas idiote comme lui. Elle n'aurait pas été si facilement distraite. Encore moins devant un groupe de Khombas. Elle devait certainement avoir une idée derrière la tête. Tout ça devait être mûrement réfléchit.

Togotan fit une moue -excessivement- convaincue et hocha la tête en signe d'approbation. Quelle jugeote. Il l'admirait beaucoup pour cela, la Princesse. Mais quelque chose lui trotta dans la tête : rugir ainsi avait vraiment été une attitude si stupide ?
Le mâle abaissa la tête au niveau de celle de la leader :

- Je pensais bien faire en faisant fuir leur nourriture. C'est bien, non ? S'ils n'ont pas de quoi manger, ils seront affaiblis pour la bataille, non ? dit-il à voix basse, assez fortement pour que Nahama et Nsiese l'entendent mais trop peu pour que cela atteigne les oreilles des Khombas.

Sa question avait comme destinataire officielle Jacayl mais il l'adressait plus généralement aux trois femelles, tentant de rassurer son petit coeur tout mou de gros bêta sur l'efficacité de ses stratégies en général plutôt… Approximatives.