Le clan avait découvert Kupumzika au petit matin; à présent, c'était le soir. Thulrur n'avait pas chômé de la journée: il avait inspecté le point d'eau avec ses deux meilleurs acolytes plus tôt, et avait ensuite découvert un nouveau membre aux Msafara. L'insolent jeune Naifu - un ado de plus, insupportable et sans doute inutile. Nsiese et lui faisaient déjà la paire, et Thulrur supposait que Naifu ne ferait que doubler les maux de tête que Nsiese lui causait régulièrement.
Pourtant, ils n'étaient pas tous comme ça. Certains adolescents étaient plus braves, plus sérieux, et globalement moins chiants. Ou, en tout cas, assez pour que Thulrur les supporte, voire les apprécie.

C'était notamment le cas de la jeune Cerys; une autre rescapée ayant fui son clan d'origine pour se greffer à la caravane. Errant au milieu de la troupe de lions éreintés, Thulrur ne tarda pas à l'apercevoir - là-bas, un peu à l'écart, son pelage doré tranchant net avec la grisaille ambiante. Résolu à se reposer et à socialiser un peu avant sa quête du lendemain, le guerrier s'approcha d'elle d'un pas lent et tranquille.
- Cette plaine est très plate. Mais elle n'est pas si mauvaise, l'aborda-t-il avec un mince sourire fatigué. Il faisait évidemment référence aux origines montagneuses qu'ils avaient tous les deux - il l'avait déjà entendue en parler. Il avait cependant tout de suite compris que les montagnes qu'avait connues Cerys n'avaient rien à voir avec celles qu'il considérait toujours comme sa maison; les siennes étaient grises, emplies d'un très épais brouillard, et entièrement rocailleuses. Celles de Cerys étaient blanches, sans doute plus douces. Mais c'était bien assez pour se trouver un point commun.

Assise au milieu des hautes herbes, la jeune Cerys ne détachait pas son regard de l'horizon. Un peu plus tôt dans la journée, elle avait cru apercevoir de hautes formes arrondies se dresser au-dessus de la plaine. Une vision bien vite enveloppée par un épais manteau de brume, qui depuis lors ne s'était pas dissipé. Etait-ce de petites montagnes qui se dissimulaient au loin ? Ou bien le simple fruit de son imagination en proie à la nostalgie.

La lionne poussa un petit soupire et se laissa doucement glisser au sol. Elle se sentait éreintée. La caravane errait depuis de nombreux jours, ne s'arrêtant que pour chasser ou bien pour se reposer quelques heures avant de poursuivre son voyage. Les adultes, malgré une certaine lassitude, semblaient plutôt bien supporter ce rythme soutenu. Il n'en était cependant pas tout à fait de même pour l'adolescente, qui chaque jour se sentait un peu plus exténuée. C'est donc avec un profond soulagement qu'elle avait accueilli la décision de Mu'Awiya d'établir la troupe dans cette plaine désolée durant quelques temps.

Cerys baissa la tête et passa quelques coups de langues sur le dessus de ses pattes. Une tentative bien dérisoire pour essayer de les délasser un peu après un si long voyage. Tandis qu'elle reportait son attention sur l'horizon toujours brumeux, une voix teintée d'un petit accent désormais bien familier lui fit dresser les oreilles.

- Cette plaine est très plate. Mais elle n'est pas si mauvaise.

L'adolescente tendit le cou et accueillit Thulrur d'un petit sourire fatigué, mais sincère. Elle ne connaissait pas très bien ce grand lion au pelage sombre, mais ses airs bienveillants et son calme avaient le don de la mettre à l'aise. Une qualité peu rependue parmi ses compagnons de voyage que Cerys ne connaissait encore que très peu.

- Salut Thulrur ! Lança la petite d'une voix joyeuse tout en se redressant. En effet, j'ai bien l'impression que nous allons devoir nous y habituer, ... du moins pendant quelques temps. Ce n'est pas pour me déplaire à dire vrai.

La lionne balaya la plaine du regard. Oui, on ne pouvait faire plus différent de ses chères montagnes, mais Thulrur avait raison, ce n'était pas si mal et toujours bien mieux que de errer de territoire en territoire. Elle lionne se désintéressa cependant bien vite du sujet. L'arrivée soudaine de son compagnon de voyage avait eu raison de son accès de fatigue. Cerys était désormais en proie à l'un de ces accès de vivacité dont pouvaient faire preuve les jeunes lions quand leur curiosité était piquée à vif :

- Qui est cet étranger que toi et les autres avaient ramené avec vous cet après-midi ?! Va t'il nous rejoindre ? L'interrogea t'elle avec une pointe de curiosité qu'elle avait bien du mal à dissimuler.

- Salut Thulrur ! l'accueillit-elle d'une voix pleine de gaieté, malgré sa fatigue évidente. Il alla s'asseoir à côté d'elle, assez soulagé de se faire aussi bien recevoir. En effet, j'ai bien l'impression que nous allons devoir nous y habituer... du moins pendant quelques temps. Ce n'est pas pour me déplaire à dire vrai.

Il observa la plaine en même temps qu'elle, satisfait de tant de quiétude. Pourtant, il n'était pas sûr que le clan ait vraiment le temps de s'y habituer : et s'ils devaient partir précipitamment ? Et si, finalement, d'autres lions venaient les en chasser ? Ou s'ils décidaient simplement de partir très vite, parce qu'après tout... Il se méfiait énormément de leur point d'eau. Si, comme Ienzo, Jiwa et lui l'avaient soupçonné, elle se révélait porteuse de maladies, les Msafara avaient intérêt à déguerpir fissa !

- Qui est cet étranger que toi et les autres avez ramené avec vous cet après-midi ?! Va-t'il nous rejoindre ? le sortit soudain Cerys de ses sombres pensées, avec un regain d'énergie propre à la jeunesse. Non pas qu'il soit beaucoup plus vieux qu'elle; mais il fallait l'avouer, les épreuves de la vie avaient vite eu raison de la joie de vivre de Thulrur. S'il était loin d'être au stade du vieux grincheux, il se montrait souvent très terre-à-terre et pragmatique. Certains s'en désolaient; mais pour lui, c'était une question de survie. Les Msafara avaient besoin de lions comme lui.

Si l'évocation du petit insolent aurait pu le rendre de mauvaise humeur, la bonne volonté de Cerys rééquilibrait la balance; et ce fut donc avec un sourire pincé que Thulrur lui répondit.
- Il s'appelle Naifu. Il doit avoir à peu près ton âge, il me semble. Peut-être même un peu plus jeune, mais il n'en était pas sûr - Thulrur ne connaissait rien à la morphologie et à la croissance des Rougeois. Mais ce gamin-là n'était pas adulte, c'était certain ! De plus, avec ses airs précieux et insolents, il risquait de faire un bien piètre compagnon de jeu à Cerys... Il vient de Mgakundu et apparemment, il nous cherchait. Mgakundu - l'une des dernières terres qu'ils avaient visitées. Thulrur avait justement rejoint la caravane juste avant qu'elle y pénètre ! Il avait l'air de beaucoup tenir à nous rejoindre, et Nsiese l'a présente à Mou-- il tiqua, toujours aussi incapable de sortir l'imprononçable nom du guide Msafara. Il ne réessaya même pas. Enfin, elle le lui a présenté. Je suppose qu'il a accepté qu'il nous rejoigne, mais je ne les ai pas vus depuis.

Mu'Awiya n'était pas du genre à refuser qui que ce soit, après tout. Il était bien trop content de gonfler ses rangs ! Mais ce n'était pas ça, être un leader intelligent - car plus il acceptait que des étrangers rejoignent le groupe et plus certains Msafara pure souche se sentaient lésés. Et adopter un adolescent de plus, c'était surtout une bouche inutile de plus à nourrir. Thulrur le lui aurait sûrement fait remarquer, eût-il été plus concerné par la survie du clan... Malheureusement pour les Msafara, c'était sa survie à lui seul qui l'intéressait - et s'il devait continuer la route en solitaire, alors il le ferait. Il l'avait déjà fait par le passé, après tout.

- Ça a été, le voyage ? s'enquit-il alors de l'état, autant physique qu'émotionnel, de sa cadette. Car s'il n'était nullement loyal aux Msafara, Thulrur n'en restait pas moins un lion juste et compatissant - il s'inquiétait réellement de l'endurance de Cerys. Parce qu'il l'appréciait.

Cerys ne détachait pas son regard du visage du grand mâle, avide de l'entendre répondre à sa question. Elle pencha néanmoins légèrement la tête sur le côté, lorsqu'elle constata qu'un petit sourire pincé s'était étiré sur les lèvres de Thulrur. Avait-elle dit quelque chose qu'il ne fallait pas ?

- Il s'appelle Naifu. Il doit avoir à peu près ton âge, il me semble. Il vient de Mgakundu et apparemment, il nous cherchait. Il avait l'air de beaucoup tenir à nous rejoindre, et Nsiese l'a présente à Mou-- Enfin, elle le lui a présenté. Je suppose qu'il a accepté qu'il nous rejoigne, mais je ne les ai pas vus depuis.

- Mgakundu ? Murmura-t-elle en tentant de rassembler ses souvenirs. La caravane avait erré durant tant de jours, et traversé tant de lieux différents, que Cerys en avait perdu le compte. Elle se souvenait néanmoins d'une terre pourpre, dont la souveraineté était déjà revendiquée par une autre troupe. L'adolescente écouta la suite du récit en silence, laissant juste une petite moue bienveillante se dessiner sur ses lèvres lorsque Thulrur écorcha le nom de leur leader. Une nouvelle preuve évidente de ses origines lointaines, et qui étrangement mettait Cerys en confiance. Tous deux n'étaient pas les seuls étrangers au milieu des Msafaras de sang, mais Thulrur était de loin celui avait lequel la jeune lionne avait le plus de points communs.

- Il aurait donc fait tout ce chemin pour nous rejoindre ... ? Sans avoir la certitude de ne pas se faire réduire en miettes lors des présentations ... Elle était songeuse. Le dénommé Naifu avait fait preuve d'un grand courage ... ou alors d'une belle bêtise. Pister une troupe nomade comptant dans ses rangs deux mâles en pleine force de l'âge n'était pas sans danger pour un adolescent. Je me demande ce qui a bien pu le pousser à abandonner les siens ... On ne part pas ainsi sans une bonne raison ... du moins pas à cet âge. Cerys balaya la plaine tout en songeant aux raisons qui pouvaient bien motiver l'étranger. Avait-il vécu les mêmes tourments qu'elle pour ainsi devoir prendre la route ? En y réfléchissant bien, je ne suis pas certaine de vouloir connaitre la réponse. En effet, celle-ci n'était sans doute pas joyeuse et Cerys avait bien assez de ses propres ennuis et états d'âme pour ne pas vouloir perdre son temps à s'apitoyer sur ceux d'un inconnu.

- Ça a été, le voyage ?

Cerys détacha son regard de la plaine pour le poser à nouveau sur Thulrur.

- Oui, ça va. Du moins je crois. C'est la première fois que je parcours une si longue distance. On n'imagine pas à quel point le monde est vaste tant qu'on n'a pas commencé à le découvrir. Pour ce qui est du reste ... La lionne laissa échapper un nouveau petit soupire, mais cette fois-ci, celui-ci était plus bref et plus franc. Comme si elle pensait avec nostalgie à tout ce qu'elle avait déjà appris depuis son départ de Swala. Quitter les siens lui avait brisé le cœur, mais elle commençait à percevoir les nouvelles opportunités que la vie lui donnait peu à peu en échange.

- Et toi Thulrur ? Vas-tu prendre un peu de repos ou bien Mu'Awiya t'a il déjà chargé d'une nouvelle mission ? Il ne faisait nul doute que leur leader n'était pas du genre à laisser ses subalternes bailler aux corneilles et encore moins lorsqu'il s'agissait d'un lion en plein force de l'âge tel que le lion des montagnes.

Cerys était intelligente, pour son âge - si elle avait commencé à se poser des questions sur la vie de Naifu, elle s'était vite ravisée en se disant qu'au fond, il valait mieux ne pas savoir. Thulrur ne pouvait qu'approuver: il n'était pas non plus du genre à se mêler des malheurs d'autrui. Dans l'état actuel des choses, les Msafara n'avaient aucune unité - ce n'était pas un clan à proprement parler, mais un ramassis de réfugiés, de survivants et de solitaires réunis non pas par amitié, par loyauté ou par esprit fraternel, mais bien par un besoin primaire et viscéral de survie. Ils avaient tous leur propre histoire, leurs propres galères qui pesaient encore lourd sur leurs épaules. Inutile d'y rajouter celles des autres.

- Oui, ça va. Du moins je crois. C'est la première fois que je parcours une si longue distance. On n'imagine pas à quel point le monde est vaste tant qu'on n'a pas commencé à le découvrir. Pour ce qui est du reste... Elle laissa sa phrase en suspens, mais Thulrur comprenait; il avait ressenti la même chose, la première fois qu'il était descendu de ses Montagnes. Mais lui avait eu la chance de les quitter avec sa famille, avec son véritable clan - le voyage avait donc été moins pénible et la douleur de quitter ainsi ses terres natales, moins oppressante. Le monde sous la Montagne était incroyablement grand... Thulrur partageait la nostalgie de sa cadette: lui-même n'aspirait qu'à retrouver d'autres montagnes où s'installer, pour ne plus jamais en descendre.

- Et toi Thulrur ? Vas-tu prendre un peu de repos ou bien Mu'Awiya t'a-t-il déjà chargé d'une nouvelle mission ?
- HA ! pouffa notre lion. Mu'Awiya, lui donner des ordres ? Et puis quoi encore ?! Le prétendu leader avait au moins l'intelligence d'éviter Thulrur autant que lui-même l'évitait; il était très rare de les voir proches l'un de l'autre, et c'était pour le bien de tout le monde. Les deux mâles réunis risquaient à coup sûr de finir par déclencher un combat. Et si Mu' adorait jouer les petits chefs, il n'en restait pas moins incapable de donner des indications utiles à sa troupe. Donner des missions, être stratège et assurer la survie de la caravane ? Mu'Awiya ne savait pas faire.

- Mu'Awiya n'est pas foutu de servir à quoi que ce soit, répondit-il enfin, dans un murmure grave - histoire de ne pas se faire entendre par le groupe, plus loin. Si tout le monde pouvait voir que ce n'était pas l'amour fou entre les deux mâles, rares étaient ceux qui avaient réellement attrapé Thulrur en train de médire sur leur chef. Le montagnard était, après tout, d'un naturel discret et à éviter les conflits. Mais je vais en effet partir à la première lueur du jour, demain matin. Ienzo, Jiwa et moi allons nous chercher un autre point d'eau, décréta-t-il d'un ton qui voulait bien dire "et nous faisons ça de notre propre chef". Nous avons inspecté l'espèce de... mare boueuse, là-bas -il désigna l'endroit d'un geste du menton- et je te déconseille d'y boire trop. Bois juste assez pour ne pas te déshydrater, mais sinon... évite. Il fronça les sourcils. Ienzo et Jiwa connaissent très bien l'eau -tout comme Thulrur et Cerys connaissaient très bien l'altitude- et ils n'ont pas confiance en celle-ci, alors moi non plus.

Encore un point auquel Mu'Awiya avait failli. C'était le fameux trio qui avait pris l'initiative de vérifier la pureté du point d'eau et celle d'aller en chercher un autre. Le chef... Il n'avait rien fait du tout, à part aller jouer avec Nsiese. A ce rythme-là, les Msafara allaient tous bêtement mourir d'avoir bu une eau non potable!

- HA ! Mu'Awiya n'est pas foutu de servir à quoi que ce soit.

Sous le coup de la surprise, Cerys écarquilla les yeux un bref instant. Elle ne s'attendait pas à entendre une telle exclamation de dédain de la part de Thulrur. L'adolescente connaissait l'aversion de son ainé pour leur leader. Lorsque ces deux là étaient réunis la tension montait généralement d'un cran. Toutefois, elle ne l'avait jusqu'alors jamais entendu énoncer aussi clairement le fond de sa pensée. C'était également la première fois que le lion des montagnes prononçait correctement le nom de Mu'Awiya en sa présence. A croire que la colère avait bel et bien le pouvoir de délier les langues.

- Il n'en est pas moins celui qui nous a menés jusqu'à Nchi, répondit-elle d'une voix mal assurée. Elle craignait un peu que ses paroles mettent fin à sa conversation avec Thulrur, mais la confiance que l'adulte avait réussie à faire naitre en elle l'encouragea à poursuivre. Après avoir dégluti, elle reprit donc d'une voix un peu plus hardie. Et même si ses façons de diriger laissent quelque peu à désirer, nous avons besoin d'un leader et personne mise à part lui ne semble vouloir endosser ce rôle. Non ?

La petite laissa la phrase en suspend. Bien des rumeurs planaient sur les réelles intentions de Thulrur, nourries par certaines langues plus bavardes et acérées que d'autres. Cerys ne savait qu'en penser. Ce dont elle était certaine néanmoins, c'est que la situation actuelle semblait plus ou moins convenir à tout le monde. Tant qu'aucun élément perturbateur ne viendrait troubler la vie quotidienne des Msafaras, il y avait fort à parier que les choses resteraient tel qu'elles étaient. Et après tout, n'était-ce pas grâce à Mu'Awiya qu'elle-même était à ce jour saine et sauve ? S'il ne l'avait pas autorisé à suivre la caravane, les Dieux seuls savent ce qu'il serait advenu d'elle.

- Je vais en effet partir à la première lueur du jour, demain matin. Ienzo, Jiwa et moi allons nous chercher un autre point d'eau. Nous avons inspecté l'espèce de... mare boueuse, là-bas et je te déconseille d'y boire trop. Bois juste assez pour ne pas te déshydrater, mais sinon... évite. Ienzo et Jiwa connaissent très bien l'eau et ils n'ont pas confiance en celle-ci, alors moi non plus.

Cerys jeta un coup d'œil dans la direction indiquée par Thulrur. Le point d'eau était donc impur ? Encore une chose que la petite n'aurait pas soupçonnée un seul instant si les adultes ne lui en avait pas soufflé mot. Ou plus exactement si le lion des montagnes ne lui en avait pas soufflé mot. Apparemment, il n'était pas le seul à connaitre ce fait, mais avait été le premier à lui en faire part. Une nouvelle marque de bienveillance que Cerys n'oublierait pas.

- Merci Thul', je ferai attention. J'espère que toi et les autres vous trouverez un autre point d'eau. Sinon, ... et bien je crois que notre groupe pourra de nouveau revendiquer le titre de caravane. La petite laissa échapper un petit rire cristallin. Après tout, la situation n'était pas dramatique. Il y avait sans nul doute d'autres points d'eux dans les environs. Il suffisait d'avoir assez de flaire pour les trouver. Si Thulrur et les autres arrivaient à pister du gibier, leurs empreintes les mèneraient sans aucun doute vers une source d'eau potable.

- Dis, tu m'emmèneras avec toi lors de ta prochaine expédition ? Les yeux brillants d'excitation, Cerys tentait néanmoins de canaliser sa soif d'aventure. Ces nouvelles terres étaient une source infinie de découvertes et d'émerveillement pour elle. Il aurait été mal venu de s'inviter à l'exploration du lendemain. En revanche, elle avait peut-être une petite chance de participer à la prochaine.

Cerys avait raison sur un point: si Mu'Awiya était toléré en tant que prétendu leader, c'était surtout parce que personne d'autre ne voulait porter cette responsabilité - Thulrur le premier. Il n'était pas un Msafara et ne se considérait aucunement comme tel - c'était un lion des Montagnes, un fier membre du clan Zigil. Il n'était en Pays de Nchi que pour eux. Et il laisserait les Msafara à leur triste survie et à leur triste chef à la première occasion venue. Thulrur n'était là que pour lui-même et pour les siens, il n'avait que faire de la survie globale de la caravane. Tant que lui survivait, c'était tout ce qui lui importait, et il n'avait aucune soif de pouvoir. Il savait très bien qu'il était trop jeune et pas assez sage pour diriger qui que ce soit.

Et pourtant, Mu'Awiya se sentait menacé par sa simple présence - la preuve ultime, s'il en fallait, que le tigré connaissait ses lacunes. Quant aux rumeurs du prétendu Coup d'État tout proche de Thulrur, il n'y avait que les ados écervelées comme Nsiese pour les propager... Les membres du groupe plus avisés savaient qu'il en était autrement et même Jiwa, pourtant proche de Mu', savait que Thulrur ne représentait pas une menace.

- Ce n'est pas une excursion, tu sais, répondit-il à sa question d'un ton un peu bourru. Il ne voulait pas avoir l'air de la rejeter, mais il devait la protéger - à ses yeux, elle était bien trop jeune pour partir à la rencontre de l'inconnu, même avec lui à ses côtés. Elle semblait trop heureuse, trop optimiste; comme si elle ne se rendait pas compte du réel danger dans lequel les Msafara s'étaient fourrés... et c'était sans doute le cas, en vérité. Cerys devait être trop jeune pour voir au-delà du bout de sa truffe. Comme quand elle défendait Mu' - elle était sans doute trop inexpérimentée pour se douter des réelles intentions du petit chef. Et c'était très bien comme ça; qu'elle demeure encore un peu dans la félicité de l'enfance, si elle le pouvait! Elle n'avait pas à apprendre les horreurs de la vie à un si jeune âge. Et pourtant... Thulrur s'inquiétait de sa naïveté. Il savait que Mu'Awiya était un réel danger pour les jeunes femelles du clan, et il ressentait une forte angoisse à chaque fois qu'il voyait Nsiese partir seule avec lui. Il priait tous ses ancêtres pour que rien ne lui arrive, ni à elle ni à Cerys.

- Mais si tu veux absolument partir, alors il vaudrait mieux que ce soit avec moi, en effet. Ou avec Ienzo, ou avec Jiwa - avec n'importe quel adulte, en fait ! N'importe qui sauf Mu'Awiya. Je t'emmènerai. Je pourrai peut-être t'apprendre une chose ou deux sur le brouillard, conclut-il en souriant. Il était né dans le brouillard, il avait vécu toute sa vie dans le brouillard - alors, en retrouver ici, ça le faisait se sentir maître de la situation. Un peu plus que sur Sable-Rouge, en tout cas.

- Ce n'est pas une excursion, tu sais.

Les oreilles de la petite femelle, jusqu'alors fièrement dressées, s'affaissèrent légèrement, tandis que son sourire perdait par la même occasion un peu de son authenticité. Une façon polie de refuser sa requête ... La réaction du lion des montagnes était à prévoir néanmoins. Pourquoi s'encombrerait-il d'une adolescente inexpérimentée comme elle après tout ? Mais comment allait-elle réussir à progresser et à faire ses preuves si personne ne lui donnait sa chance ?

- Mais si tu veux absolument partir, alors il vaudrait mieux que ce soit avec moi, en effet. Ou avec Ienzo, ou avec Jiwa. Je t'emmènerai. Je pourrai peut-être t'apprendre une chose ou deux sur le brouillard.

Le sentiment d'être incomprise qui s'était peu à peu immiscé dans ses pensées s'estompa aussitôt et la lueur d'excitation qui s'était éteinte dans le regard de l'adolescente se raviva instantanément. Ho bien sûr ils n'étaient pas encore partis. Mais Thulrur lui apparaissait comme un lion de parole.

- Cela me plairait beaucoup! Plus nous voyageons et découvrons de nouvelles terres et plus je prends conscience de mes ... lacunes. Je tiens vraiment à progresser et à me rendre utile auprès de la caravane. Merci Thulrur!

Elle était encore jeune, mais Cerys avait à cœur de bien faire. Un jour, elle saurait leur montrer à tous qu'elle était capable d'endosser les mêmes responsabilités que les adultes et peut-être même plus. Ce temps viendrait, mais avant cela un long apprentissage restait encore à venir.

Si la joie avait commencé à s'éteindre au fond des yeux pétillant de Cerys, la demoiselle reprit très vite du poil de la bête suite à la proposition de son aîné. Celui-ci l'observa s'agiter avec un sourire bienveillant, assez heureux de la voir si enthousiaste à l'idée de se rendre utile et d'apprendre des choses.
- Ne me remercie pas, c'est normal. Oh oui, elle allait apprendre, la petite Cerys. Elle allait apprendre très vite, et sans Thulrur pour la protéger... Mais à ce moment-là, aucun des deux ne le savait encore. Mais tu sais, nous apprenons tous de nos voyages, même les adultes. Même moi. On ne doit rien prendre pour acquis, et tu n'as pas à te sentir moins importante qu'un autre au sein de la caravane. Il voulait la rassurer et, surtout, qu'elle ne ne se diminue pas. S'il voulait la protéger de part sa jeunesse, c'était surtout dû à son manque de robustesse physique - il préférait la garder à l'abri, le temps qu'elle termine sa croissance et qu'elle soit assez forte pour ne plus craindre les dangers propres aux lions plus jeunes... Mais il ne remettait aucunement en cause ses capacités. Certains adultes étaient bien moins aptes à la survie que Cerys !