C'est lors de sa première chasse à Kumpuzika qu'Ienzo avait compris la chance qu'il avait d'avoir été initié à l'embuscade au plus tôt, les grandes oreilles de la plaine - des lièvres à entendre le reste des Msafara, se révélant aussi vivaces que les poissons de son enfance. De véritables maîtres de la fuite... Mais ça n'était pas impossible de les avoir, seulement difficile. Sur le chemin jusqu'à la grande plaine, Ienzo s'était déjà mis à réfléchir à une solution pour éviter à Theluji de forcer sur la patte qui lui donnerait du fil à retordre lors de cette partie de chasse. Et il avait peut-être une idée.

Marchant à une allure ni trop rapide, ni trop lente pour lui permettre de le rejoindre sans efforts, si jamais il avait encore quelque chose à mentionner au reste du clan, Ienzo garda une oreille tournée vers le jeune étranger, les yeux rivés sur les lointains gîtes des petits mammifères. Quelques silhouettes se découpaient encore dans la brume, mais l'obscurité grandissante risquait très vite de leur rajouter une difficulté supplémentaire. Il faut les surprendre. Murmurant à l'attention de Theluji lorsqu'il fut certain de la présence de ce dernier à ses côtés, il s'assit calmement à la frontière du rideau de brume. Je peux les envoyer dans ta direction, si tu te caches derrière l'un de leurs terriers. Même si le brouillard leur permettait d'avoir un certain camouflage, il se disait que les proies se laisseraient plus facilement diriger - et attraper s'ils leur faisaient miroiter un échappatoire facile. Qu'en penses-tu ? Cette fois-ci, Ienzo tourna la tête dans la direction de son interlocuteur, les oreilles dressées et à l'écoute de la moindre suggestion.

Le jeune lion clair avait quitté l'attroupement des M'safara sans se faire prier en suivant le lion à la petite crinière dont il ne connaissait d'ailleurs toujours pas le nom. Il n'osa cependant pas briser le silence de son bienfaiteur du jour ; ou tout du moins de l'un d'eux. L'adolescent avait le cœur un peu plus léger grace aux interventions de Thulrur et de ce dernier, entre voyant enfin un espoir plus solide que de jolies paroles pour sa survie. Il nota d'ailleurs également que, dès qu'il le pourrait, il faudrait qu'il aille voir le lion sombre pour lui reparler de son projet d'aller dans la jungle. Car sa décision était prise : il ne resterait pas ici. Son instinct lui disait qu'il ne fallait pas qu'il reste avec un clan aussi mal foutu que ce qu'il avait pu voir des M'safara. Et ce qu'il avait vu lui avait suffit. Mais quelle idée saugrenue que de laisser des mâles gérer un clan ! Il ne comprenait pas pourquoi ces lions avaient fait ça et pour lui, un bon clan était un clan dirigé par une femelle.
Ni plus, ni moins.

Marchant comme il le pouvait sur ses trois pattes, Theluji se rendit compte qu'il commençait à comprendre comment faire pour palier à son membre blessé. La chose était loin d'être aisée mais ce n'était pas impossible pour autant. Il fallait juste prendre le temps. Savoir comment poser sa patte avant, balancer le tout avec ses membres postérieurs et puis recommencer. Et ainsi de suite. Prenant le coup de main, il réussit à suivre son guide sans trop de peine.
Prenant son courage à deux pattes, le jeune allait remercier Ienzo lorsque celui-ci murmura quelque chose. Relevant la tête, aux aguets, l'adolescent décela, entre les nappes de brume et les buissons rares, quelques silhouettes de lièvres. Il en avait déjà chassé en montagne et il regretta un peu de s'être autant avancé en clamant pouvoir toujours chasser.
Écoutant l'idée du lion grisâtre, le lion des hauts plateaux hocha doucement la tête.

- C'est une bonne idée, on peut essayer. Il faudra juste veiller à ce que je sois contre le vent pour ne pas les alerter. Surtout que je suis assez odorant...

Même si son sang avait séché, qu'il l'avait nettoyé et que sa truffe ne sentait plus rien, il était pourtant clair pour lui qu'il devait encore sentir l'hémoglobine à des kilomètres. Il avait d'ailleurs hâte de pouvoir faire un brin de toilette dans de l'eau claire mais il n'était pas dupe : il savait que ça ne serait pas pour tout de suite.

Faire attention à son odeur, une habitude qui restait encore à prendre chez le caverneux, plus habitué à se préoccuper du sens du courant plutôt que celui du vent. C'est vrai. Redirigeant son attention sur la grande plaine, il patienta un instant afin de reconnaître dans quelle direction venait la brise faisant danser les herbes avant de se mettre à chercher un terrier des yeux, assez conséquent pour cacher son compagnon de chasse. Heureusement pour eux, l'absence de prédateur faisait que les petits mammifères n'avaient plus tout à fait les mêmes habitudes, à prendre leurs aises en creusant des tanières plus imposantes, sûrement pour accueillir leurs familles toujours plus grandes.

De longues secondes passèrent avant qu'Ienzo parvienne à repérer un renfoncement assez profond, au devant d'une petite colline de terre où il lui semblait que Theluji pourrait se cacher sans trop s’aplatir au sol. Celui-là. D'un doigt de la patte, il montra sa trouvaille au jeune étranger tout en continuant de murmurer. Fais moi signe quand tu seras bien placé. Le caverneux n'allait pas bouger de sa place tant qu'il n'aura pas la certitude que son acolyte soit dans une position confortable; il avait écouté assez longtemps sa démarche irrégulière sur le chemin pour savoir qu'il lui faudrait sûrement un instant pour savoir comment il allait capturer leurs proies, leur stratégie risquant de marcher qu'une seule fois.

Même si attraper un lièvre demeurait une victoire, la pitance restait maigre pour un lion, plus encore quand celui-ci était affaibli par une perte de sang. Il ne pouvait qu'espérer une double prise... Et faire de son mieux demain en forêt pour trouver de plus grosses proies au clan.

Restant sans bouger près de son bienfaiteur, Theluji essayait de capter la direction du vent. Depuis qu'il était descendu de sa cime enneigée, il s'était aperçu que trouver le sens du gmvent était bien différent d'un endroit à un autre. S'il avait été abitué à traquer le vent en montagne, il avait encore un peu de mal à s'adapter à la chose en pleine. Même si le principe était le même, il est restait des différences entre les deux. Au bout de quelques secondes, lorsque le jeune eut trouvé le sens du vent, son comparse lui indiqua un endroit où il pourrait se mettre à l'affût. Hochant la tête positivement à sa demande, le lion clair trottina clopin-clopant et se positionna du mieux qu'il pouvait. Prenant appui sur ses trois pattes restantes, faisant comme s'il n'avait pas de quatrième membre, le concevant plaqué contre son thorax, il espérait que ce plan marcherait. Et il espérait qu'il serait capable de surprendre sa pitance. Si ce n'était pas le cas, ça lui mettrait un sacré coup au moral.

Après être sur d'être bien positionné, légèrement accroupit dans le renfoncement de terre, Theluji hocha la tête en direction d'Ienzo pour le prévenir qu'il était prêt. Sans le lâcher du regard, il l'observa faire, essayant de déterminer d'où viendrait le gibier, tout les sens à l'affût.

Au signal de son partenaire de chasse, Ienzo s'accroupit parmi les herbes de la plaine, les oreilles plaquées sur la nuque et la queue sur les talons, rampant dans la direction de leurs proies le plus silencieusement possible. La brise n'allait pas tarder à révéler sa position, mais son léger contour lui permit de s'aligner avec le terrier où se trouvait Theluji et mettre toutes les chances de leur côté.

À l'instant où des oreilles commencèrent à se tendre dans la brume, le caverneux replia ses quatre pattes sous lui et bondit hors de sa cachette, provoquant la fuite des habitants de la plaine. Si certains eurent le bon réflexe de se jeter sur les côtés pour s'écarter de sa trajectoire, d'autres n'eurent pas le temps de suivre le mouvement, se repliant vers la seule issue qui était encore à leur portée : le terrier piégé. Bien qu'à leurs talons, le chasseur prenait soin de se maintenir à une certaine distance. Pour leur donner l'illusion qu'ils lui échappaient, mais surtout pour éviter un quelconque virage serré de ces petits mammifères, sachant déjà qu'il serait incapable d'en faire de même.

Lorsque le terrier ne fut plus qu'à un ou deux mètres, Ienzo agrandit brusquement ses foulées pour tenter de rattraper l'un des lièvres le plus en arrière de la petite bande, celui qui aura le temps de voir le traquenard et qui essayera de s'en échapper, mais sûrement que trop tard. Le caverneux se jetait déjà sur lui au moment où le reste des lièvres entamèrent un plongeon désespéré vers l'entrée du tunnel, l'étreinte mortelle de ses mâchoires prête à se refermer sur son dos fragile.

Bien qu'il avait essayé de le suivre du regard, Theluji avait vite perdu Ienzo de vue lorsqu'il avait commencer à rabattre les lièvres. En soit il n'avait pas forcément besoin de le voir pour savoir d'où vie drait le gibier mais il aurait tout de même bien voulu voir comment il chassait. Il se doutait que les techniques de chasse différaient d'un endroit à un autre et d'un individu à l'autre alors forcément, il était curieux de découvrir de nouvelles choses. Mais tampis, ça ne serait pas pour cette fois visiblement !

Se reconcentrant sur l'instant présent, le jeune se mit à l'affût du moindre bruit. Il distilla les sons avec patience : le souffle du vent dans les herbes, le piallement d'un oiseau loin et, soudain, un petit bruit de cavalcade se rapprochant. Les petites pattes sur le sol frappaient de plus en plus fort et, au rythme battant allant crechendo, le corps de l'adolescent se tendait de plus en plus.
Jusqu'au moment fatidique.
Le premier lièvre qui entra fut écrasé sous sa patte valide, le clouant au sol d'une poigne de fer, il enfonça rapidement ses crocs dans sa nuque, le tuant sur le coup. Emportés par leur élan, deux autres lièvres arrivèrent à leur tour, tentant de faire désespérément machine arrière en sentant le danger. Mais trop tard. Theluji en chopa un à la tête, la broyant sans problème entre ses mâchoires. Quand au dernier, il lui lacéra la patte arrière et, alors qu'il tentait de fuir dans un ultime bond, ses mâchoires se refermèrent sur son arrière-train.

Fier de lui, le jeune s'extirpa du trou avec ses trois lapins entre les dents. Il découvrit Ienzo à quelques mètres qui avait réussit à prendre un lièvre. Se dirigeant vers le lion sans crinière, I'll déposa devant lui une de ses proies ; chacun d'eux pourraient ainsi manger 2 lièvres. C'était la moindre des choses pour le remercier, sans compter qu'il se serait sentit mal de se goinfrer alors que son bon samaritain n'aurait pas mangé grand chose.

C'est pour te remercier pour l'aide ! Je n'y serais pas arrivé seul je pense... Vraiment, merci beaucoup.

Il se sentait toujours un peu pataud dans ces moments là et, pour reprendre un peu contenance, il se dirigea vers ses propres lièvres et se mit à table. Ce ne fut d'ailleurs qu'à cet instant qu'il se rendit vraiment compte qu'il avait faim et il se mit à dévorer le petit animal avec un délice sincère.

La surprise traversa le visage d'Ienzo lorsque celui-ci découvrit son partenaire de chasse avec la gueule remplie de trois lièvres. C'était déjà bien assez pour qu'il reprenne des forces ! Peut-être qu'il aurait été mieux qu'il laisse filer le quatrième, finalement... Alors que le caverneux commençait à regretter sa prise de trop, le geste de Theluji le sortit de ses pensées. Baissant les yeux sur la proie à ses pattes, il les releva dans la direction du lion qui le remerciait chaleureusement pour son aide, lui décrochant un petit sourire - presque caché derrière son lièvre.

D'un hochement de tête, il accepta ses remerciements avant de s'allonger à ses côtés, gardant une certaine distance pour éviter de le déranger dans son repas. Il déposa sa prise avec celle qu'on lui avait offerte, les entourant de ses pattes, puis recueillit le sang sur ses babines d'un coup de langue avant de reprendre le parole. J'ai déjà chassé aujourd'hui. En revenant de l'inspection du point d'eau, termina-t-il dans ses pensées. Même si sa première chasse ici n'avait pas donné un tel résultat, les quelques semaines qu'il avait passé à errer sans but avant de rencontrer les Msafara lui avaient appris à se contenter de peu. Mais je suis certain que nos prises raviront d'autres estomacs. Il détourna une oreille dans la direction par laquelle ils étaient arrivés.

Ienzo s'était replongé dans un silence habituel quand un souvenir lui revint en tête, attisant sa curiosité d'aventurier tout juste née. C'est comment, la neige ? Il tourna la tête vers Theluji, les oreilles redressées et les yeux bien ouverts. Celui-ci leur avait parlé de montagnes enneigées dans son récit, mais si le natif des cavernes se figurait bien les montagnes désormais, la neige restait encore un mystère pour lui.

Se délectant du sang et de la chair de ses proies, mangeant avec plaisir, il écoutait le lion gris, hochant la tête de façon affirmative sous ses dires. Terminant le premier lapin, il commença à manger le second, plus lentement et moins goulument avant que la question de son compagnon du jour ne lui fasse relever le museau. Se léchant les babines, il se mit à réflechir comment il pourrait expliquer la neige à ce lion qui n'en avait jamais vu.
Une vague de nostalgie s'empara du jeune lorsqu'il se souvient des montagnes enneigées dont il était natif et il répondit avec un air doux et presque rêveur sur le visage.

C'est blanc et froid. Ça tombe du ciel comme la pluie mais c'est plus dense et ça recouvre le sol. Et quand tu essaies de la mordre, elle se change en eau dans ta gueule. C'est amusant et ça fait un bon substitue à l'eau quand il n'y en a pas.

Coulant un regard vers l'adulte, il étudia son pelage d'un œil de connaisseur avant d'hocher la tête.

Mais je pense que tu aurais froid dans la neige, ton pelage à l'air moins épais que le mien... Et il ne faut surtout pas avoir froid dans la neige sinon, ça peut te tuer.

Sa dernier phrase avait été dite avec une pointe d'amertume dans la voix et son air s'était fait alors plus sombre. Il en avait vu des plus faibles que lui mourir de froid dans la neige et c'était des souvenirs qu'il préférait ne pas se remémorer.
Se raclant la gorge pour se reprendre, il reprit avec une voix plus légère, coulant un regard à Ienzo.

Si on arrive à traverser le brouillard et que je retrouve mes marques, je pourrais te mener jusqu'à de la neige si tu veux !

Soudain, une idée lui traversa l'esprit et il enchaîna rapidement.

D'ailleurs, le grand brun à la crinière ébourriffée, Thulrur, il a dit qu'il voulait aller dans la jungle, tu en sais plus ?

Le jeune ne cachait pas son impatience ni son envie d' aller dans la jungle. À ses yeux, il valait mieux bouger plutôt que de rester là, dans cette terre ridiculement aride.

La nostalgie du montagnard redonna un petit sourire au caverneux qui avait levé la tête vers les cieux, essayant de s'imaginer une pluie blanche. Ça devait être impressionnant, surtout si elle finissait par tapisser le sol au point où on pouvait mordre dedans. Un autre phénomène dont il n'avait jamais connu l'existence jusqu'ici... C'est qu'il allait vraiment finir par avoir l'impression d'être un extraterrestre.

À la remarque de Theluji sur la courtesse de son pelage, il finit par détacher son regard du ciel pour le reposer sur lui, observant à son tour le poil de son interlocuteur. C'est vrai qu'il avait l'air plus fourni que celui de la plupart des lions ici... Sans parler de sa crinière. Mais les profondeurs de l'océan étaient aussi gelées et justement, son pelage à ras lui permettait de sécher rapidement pour éviter l'hypothermie. Peut-être que ce n'était pas le même froid ? Ou tout simplement, peut-être que les natifs des montagnes n'avaient pas le choix que rester dans la neige. Voilà qui amenait une autre question ; neigeait-il toujours dans les hauteurs ?

Son moment de réflexion fut écourté par la sombre mine de Theluji. Penchant lentement sa tête sur le côté, Ienzo l'observa silencieusement, attendant de savoir s'il continuerait ou s'il s'arrêterait là ; quoi qu'il en soit, le caverneux ne cesserait pas de l'écouter.
Après un raclement de gorge, le montagnard se reprit pour lui proposer une future expédition jusqu'à la neige, faisant immédiatement redresser ses oreilles avec intérêt. J'en serais ravi. Il avait répondu du tac au tac et heureusement, car Theluji ne tarda pas à enchaîner avec une autre question, et Ienzo n'arriva pas à retenir un souffle amusé à l'entente du grand brun à la crinière ébouriffée.

Oui. Thulrur, Jiwa et moi allons partir explorer la forêt demain matin. Nous chercherons une source d'eau pure avant tout, de plus grosses proies aussi... Et de quoi te soigner. Il étira l'ombre d'un sourire, puis tourna la tête en direction du fameux bois. En espérant que nous n'aurons pas des surprises pareilles à la tienne sur le chemin.

À propos de ça... Il revint à son interlocuteur. Que t'ont-ils dit, exactement ? Thulrur pense qu'ils n'ont fait que protéger leurs frontières, mais ça me parait étrange qu'ils ne t'aient pas chassé tout de suite si c'était le cas. Pourraient-ils l'avoir confondu avec l'un des leurs s'ils avaient tous une crinière claire ? Pourtant, l'odeur et la voix sûrement étrangères de Theluji auraient dû leur permettre de ne pas se tromper...

Il était contant de la réponse positive du lion et déjà, le jeune baroudeur se demandait quelle tête il pourrait faire quand il verrait la neige pour la première fois. Il ne s'y pencha pas trop cependant car son acolyte lui expliqua que leur petit trio partait demain pour la jungle. Trop tard pour s'y greffer et Theluji doutait de toutes façons que Ienzo le laissa faire, vu sa patte. Il reprit momentanément son air d'enfant incertain en l'entendant dire qu'ils chercheraient possiblement de quoi le soigner et, l'air un peu penaud, grattant le sol les oreilles basses, le jeune lâcha un timide :

- Merci beaucoup...

Puis, l'adulte reprit ses questions mais sur le groupe des lions qui l'avaient attaqué cette fois. Replongeant dans ses souvenirs, en fronçant un peu les sourcils, Theluji mit un temps avant de répondre pour être sur de bien donner les bonnes paroles à son interlocuteur.

- Ils n'avaient pas l'air de lions protégeant leurs frontières. Je les ai croisé dans le brouillard et j'avais eut un peu de mal à les voir avec leurs crinières blanches. Ils ont été très gentils au début, s'intéressant à ce que je faisais là sans avoir du tout l'air agressifs. Mais ils ont dit un truc qui m'a fait tiquer : « Tu es l'un de nos fils ! ». Sauf que non, je ne viens pas de leur clan du tout !... Même si on a la crinière de la même couleur...
Et partant de là, ils ont essayé de m’emmener avec eux, d’abord poliment et, quand j'ai refusé, c'est là qu'ils m'ont attaqué sans que je ne m'y attende...

Le vagabond laissa le silence retomber sur eux, regardant tristement sa patte. Si ses blessures à la croupe le préoccupait moins, il espérait cependant très fort que ces connards n'eussent pas cassés sa patte...

Pas l'air de lions protégeant leurs frontières... À première vue, non. Mais quand Theluji mentionna qu'il avait tardé à les remarquer à cause de leurs crinières, le doute s'installa dans l'esprit d'Ienzo. Et si ça avait été pareil de leurs côtés ? Peut-être que l'humidité de la brume les avait empêché de bien sentir l'odeur du voyageur et pour sa voix, il fallait avouer que ce n'était pas le premier détail auquel on faisait attention quand on avait déjà quelqu'un en visuel. Attaquer aussi violemment un solitaire reste une réaction disproportionnée pour moi... Il fronça les sourcils, restant silencieux avant de reprendre d'une voix moins sombre. Mais tu ne penses pas qu'ils pourraient t'avoir confondu avec l'un des leurs ?

Le caverneux se tut pour laisser au montagnard le temps de lui répondre. Honnêtement, j'aurais préféré ça qu'un clan qui essaye d'attirer des voyageurs dans leur territoire avec on ne sait quelles intentions... Il tira une petite grimace tandis qu'un ou deux scénarios lui vinrent à l'esprit. Qui plus est, un simple malentendu aurait donné bien plus de chances à Nsiese d'être encore vivante. Enfin. Il se racla la gorge tout en reprenant un air neutre, glissant un regard à son interlocuteur en même temps qu'il se remit debout, reprenant en gueule les deux lièvres à ses pattes. Je ne vais pas t'embêter avec ça plus longtemps, il faut que tu te reposes. Prit-il le temps d'articuler.

Et ça valait pour lui aussi ; après tout, il avait une forêt à explorer demain.

Theluji hocha la tête pensivement. Il essayait de se repasser en boucle les évènements dans sa tête pour voir s'il n'avait rien oublié de dire par mégarde. Mais non, il avait tout raconté et, plus il ressassait ce qui c'était passé, plus il se disait que ces lions avaient définitivement tentés de l'embarquer quelque part. Mais pourquoi faire ? Cette question tournoyait dans sa tête sans qu'il n'en eut la moindre réponse et cette simple perspective le frustrait. Et puis, une nouvelle question d'Ienzo le tira de ses pensées.

- C'est ce que je pensais au début aussi... Mais même quand je leur ai expliqué que je ne venais pas d'ici, qu'ils faisaient erreur, ils ont tout de même tentés de me faire venir avec eux.

Le jeune soupira en levant le museau vers le ciel : ça ne servait à rien de se torturer l'esprit après tout. Ce qui était fait, était fait et il n'aurait sans doute jamais les réponses qu'il souhaitait. Autant passer à autre chose, tout du moins, pour le moment.
L'adolescent ne répondit rien à son bon samaritain quand il lui dit ce qu'il préférait. Il ne voulait pas lui avouer que, pour lui, ces types n'étaient rien d'autres que des kidnappeurs. D'ailleurs, il était sans doute probable qu'ils aient emmenés avec eux la pauvre Nsiese. Si tel était le cas, le petit montagnard espérait très sincèrement qu'il ne lui soit arrivé de grave...

Accrochant momentanément le regard de Ienzo de ses yeux clairs alors que celui-ci se relevait, il suivit le mouvement, l'imitant avant de se mettre à bailler. Il avait raison : il fallait qu'il se repose. La journée avait été longue et rude et il ne s’apercevait que maintenant qu'il ne serait pas contre une nuit de sommeil. Au loin, le soleil commençait à décliner et berçait de ces derniers rayons la plaine aux lièvres.

- Si tu as d'autres questions, n'hésites pas mais j'avoue que je ne serais pas contre un peu de sommeil. D'ailleurs, vous avez un endroit spécifique où l'on peut dormir ?

La dernière précision de Theluji n'avait pas laissé de place au moindre doute et Ienzo s'était retenu de grimacer à nouveau, de plus en plus frustré par son inutilité. Il avait beau ne plus être un débutant en combat, contre une bande de lions comme celle que le montagnard avait rencontré, il ne ferait jamais le poids et il doutait que beaucoup dans le clan risqueraient leur peau... Même leur meneur avait préféré abandonner l'idée. S'il avait réellement eu l'intention de sauver Nsiese, du moins.

La voix de son interlocuteur le tira de ses pensées et aussitôt, il étira un petit sourire. Merci. Le caverneux ne devait pas être le premier à le questionner sur cette douloureuse rencontre, aussi il était reconnaissant que l'adolescent soit aussi disposé à écouter ses (nombreuses) interrogations. Non. Tu peux te mettre là où tu te sens le mieux, tant que tu restes avec le groupe. Par sécurité, il aurait été une bonne chose d'instaurer des tours de garde, mais il ne fallait pas compter sur Mu'Awiya pour ça ; lui ronflait déjà sûrement à cette heure-ci !

Réprimant un long soupir qui aurait témoigné d'un agacement incompréhensible pour le pauvre Theluji, il tourna la tête dans la direction du clan, espérant au moins qu'un certain grand brun à la crinière ébouriffée allait tenir parole et ne pas essayer de faire toute la nuit à lui seul.

Repose-toi bien. Finit-il par souhaiter au jeune voyageur, le saluant d'un dernier signe de tête avant de repartir vers la plaine ; il avait encore deux estomacs à soulager avant de penser à dormir, lui aussi.

Il écouta l'explication du lion à la petite crinière avant de lui souhaiter bonne nuit en le regardant repartir. Il n'avait pas franchement envie d'aller dormir prêt des autres, il aurait préféré rester là, seul sous la voûte céleste. Et puis, l'idée de dormir dehors le gênait un peu. Lui qui était abitué à dormir dans des grottes et autres renfoncements naturels, il avait toujours du mal à dormir à la belle étoile même s'il devait bien avouer que ça avait quelque chose de magique. Mais bon, vu son état, il valait mieux ne pas prendre de risque et rester prêt du groupe.

Terminant son repas et le laissant sur place pour les éventuels charognards, le jeune lion resta encore un peu dans cette plaine devenue silencieuse. L'astre solaire avait maintenant complètement disparu et avait laissé place à la lune qui jouait à cache-cache avec les nuages. Se perdant dans la contemplation des étoiles naissantes, il finit par prendre congé à son tour, retournant vers le groupe pour chercher un endroit où dormir.