Tandis que les premières étoiles faisaient leur apparition dans le dégradé du ciel de soirée, Ienzo fendait les grandes herbes de la plaine, gardant ses yeux aux limites de l'océan de verdure pour observer les quelques lions encore réveillés. Instinctivement, il choisissait de nourrir les plus affaiblis et quand son regard tomba sur un lionceau à l'écart de la troupe, il n'hésita pas plus longtemps.

D'un pas tranquille, il s'extirpa de sa couverture pour se rapprocher de la petite silhouette, reposant les deux prises qui lui remplissaient la gueule afin de l'accoster de sa voix habituellement murmurante. Hey. Le mâle pencha la tête, l'ombre d'un sourire au coin des babines. Tu as faim ? Du bout du museau, il poussa l'un des lièvres vers l'enfant. Dans le fond, il espérait presque qu'il lui réponde que non, que ses parents avaient déjà chassé pour lui... Mais il savait aussi que certains adultes étaient trop exténués par le voyage pour ça.

Ou plutôt, c'est la seule raison qui lui venait à l'esprit. Ne pouvant s'imaginer une quelconque négligence de la part de parents, surtout à la vue des cicatrices zébrant les pattes du jeune, il s'assit devant celui-ci.

Muuji observait. à l’écart du clan, le ciel se parer d’étoiles lentement. C’était toujours un moment qu’il appréciait dans la journée, il se souvenait déjà observer la scène avec sa mère à Yetupeponi. Le jeune lion avait de la chance, peu importe où le clan était, le ciel était toujours aussi beau, il l’avait observé pendant leur voyage.

Malgré la voix murmurante du lion, Muuji sursauta légèrement quand le félin se manifesta. Il l'identifia rapidement comme étant un des étrangers qui avaient rejoint les Msafara, ce qui ne le rassura pas.

Euh je… Bonjour… dit-il en se dandinant légèrement pour reculer et s’éloigner un peu du lion.

Le mâle ne semblait pas menaçant, il était très calme et lui proposait même à manger ? Ses parents avaient chassé, mais n'avaient pas pu ramener énormément de proie dû au manque de temps, laissant un peu la famille sur sa faim. Muuji se pencha pour renifler le lapin, un peu méfiant tout de même.

Je, euh…Ça va encore, pas énormément faim…Peut-être quelqu’un en a plus besoin que moi ? Les plus vieux…Je ne sais pas trop… dit-il, assez hésitant face au mâle, préférant regarder la proie pour éviter son regard.

Muuji était surtout gêné par l’attention que lui accordait l’étranger.

La timidité du lionceau radoucit davantage les traits de l'adulte qui écouta ses balbutiements d'une oreille attentive, s'étonnant légèrement de son sens de la solidarité. Ne pas avoir énormément faim voulait dire qu'il avait tout de même un creux dans le ventre et ce n'était pas son regard insistant sur la proie quasiment à ses moustaches qui lui prouverait le contraire, mais il continuait de faire passer les autres avant lui. Gardant l'ombre d'un sourire au coin des babines, il s'allongea lentement sur le sol pour se retrouver un peu plus à la hauteur de son cadet, respectant la distance que le petit avait mis entre eux afin d'éviter de le rendre mal à l'aise.

Ne t'en fais pas, je ne pense pas être le seul à m'occuper de ceux qui en ont besoin. À cette heure-ci, la plupart du clan devait avoir quelque chose sur le ventre, sans compter que les tirer d'un sommeil bien mérité pour le vérifier n'était pas dans les plans du caverneux. Et j'en ai un deuxième, au cas où. Il posa une patte sur le deuxième lièvre, couvrant son interlocuteur d'un regard se voulant rassurant. Alors n'hésite pas à en prendre un morceau. Qui plus est, qu'il mange à sa faim était tout aussi important, les lionceaux étant en pleine croissance.

Le mâle fit une pause, laissant le silence reprendre place durant un moment avant de revenir à l'enfant, toujours aussi tranquille. Je m'appelle Ienzo. Et toi ?

Le lion s'allongea devant lui, permettant à Muuji d'observer ses prunelles vertes. Il le rassura ensuite, lui disant qu'il ne ferait de mal à personne en se remplissant l'estomac encore un peu.

D’accord, merci… lui dit-il en s’étirant le dos.

Le jeune adolescent entreprit alors de manger à petites bouchées le lapin, il s’en lécha les babines. Cela ne valait pas les grosses proies qu’ils mangeaient avant, mais c’était néanmoins comestible et goutteux. Muuji sursauta à nouveau en entendant le lion, il s’attendait à ce que ce dernier parte après lui avoir donné son repas. Il releva la tête et nettoya sa bouche maladroitement avant de lui répondre.

Euh… Enchanté… Je m’appelle Muuji, moi…

Il ne savait pas vraiment s’il voulait faire la conversation avec ce lion, à part son nom, il ne savait pas grand-chose de lui. À part qu’il avait une crinière bizarre. Le petit Msafara se concentra de nouveau sur son lapin et posa ses petites pattes égratignées dessus pour pouvoir arracher un plus gros morceau de viande.

Les nombreux sursauts du lionceau commencèrent à le rendre assez perplexe, se demandant si ça venait de son âge, son comportement ou quelque chose d'autre qui lui échapperait en cet instant. Ce n'était pas la première fois que ce genre de malaise se faisait ressentir en sa présence et pourtant, le caverneux était loin d'être un lion des plus impressionnants, sans compter le timbre de sa voix qui était bien loin d'en imposer... Alors quoi ?

De même... Malgré les nombreuses questions lui traversant l'esprit, Ienzo s'efforça de garder l'ombre d'un sourire et montrer à Muuji qu'il était heureux de faire sa connaissance. Son regard, quant à lui, glissa sur le côté pour éviter de le gêner dans son repas, même s'il avait l'impression que c'était déjà le cas. Au moins, il ne l'était pas assez pour refuser de manger, ça l'aurait grandement attristé.

Tu veux que je te laisse, Muuji ? Toujours d'une voix douce, il enchaîna en redirigeant son attention sur lui. Je te vois sursauter... Je suis désolé si je te fais peur. Ce n'est pas mon intention. Ienzo ne savait pas si peur était vraiment le mot adéquat, mais ce n'était pas loin de l'impression qu'il lui donnait toujours.

Muuji se stoppa dans son repas, réfléchissant à la proposition d’Ienzo. Voulait-il vraiment se retrouver tout seul la nuit tombée ? Et puis, il ne semblait pas si méchant que ça ce lion bizarre, il lui avait même donné à manger… Pour une fois, le jeune Msafara décida de faire preuve d’un peu de courage et s’adressa plus ou moins calmement à son interlocuteur.

Non… Vous pouvez rester. Il va faire nuit et… et il va faire tout noir… dit-il en tripotant un peu son repas d’une patte.

Mouais. On avait vu mieux comme explication. Le jeune lion pris une grande inspiration et releva timidement sa tête vers celle du mâle.

J’ai pas peur de vous Monsieur Ienzo… Fin’ si, un peu… Mais… Il y a beaucoup de nouveaux lions pour le moment… Je ne vous connais pas trop et, vous non plus… Donc ça fait un peu peur… osa-t-il se confier.

Peut-être le lion étrange allait mal le prendre, ou peut-être allait-il se foutre de lui… Muuji attendait sa réaction avec un peu d’appréhension.

D'un hochement de tête, Ienzo accepta l'explication et la demande de Muuji sans poser d'autres questions. Déjà heureux qu'il veuille de sa protection malgré ses précédentes réactions, il ne voulait pas en rajouter une couche avec ce qui pourrait ressembler à un interrogatoire, toutefois, son nouveau protégé lui fit une agréable surprise en continuant la conversation de lui-même.

C'est vrai que ça ne devait pas être facile de grandir parmi des nomades, la vie les mettait constamment à l'épreuve et les pattes du lionceau semblaient en avoir déjà gardé quelques marques. Avec un doux sourire, le caverneux lui répondit. Je comprends. Détournant lentement ses yeux vers l'horizon et le reste du clan, il poursuivit. Ce n'est pas un mal d'avoir peur. Ça nous permet de rester prudent. Essaya-t-il de rassurer Muuji qui lui avait semblé hésitant à lui confier sa crainte. Redirigeant son attention sur ce dernier, il demanda plus curieusement. Mais ça peut aussi être l'occasion d'apprendre de nouvelles choses, tous ces nouveaux lions. Tu as une idée de ce que tu voudrais faire plus tard ? Préférait-il chasser ? Combattre ? Explorer ? Veiller ? Ou aimait-il s'essayer à tout, comme lui à son âge ? L'imagination ne leur avait pas manqué, à lui et ses confrères des cavernes. Des heures de jeux qui avaient dû être épuisantes pour leurs pauvres parents ayant toujours gardé l'oeil sur eux, malgré tout.

Pour être prudent, Muuji l’était ! Peut-être un peu trop. Le lionceau savait que les jeunes de son âge avaient l’habitude d’explorer et d’apprendre le plus possible, mais le Msafara avait beaucoup trop peur de cette terre nouvelle que pour la découvrir.

Il réfléchit ensuite à la question d’Ienzo. Il ne s’était jamais vraiment posé la question. Trop jeune sur son ancien territoire, il était encore trop insouciant à cette époque que pour penser à son avenir. Et maintenant, n’aillant pas de lieu de vie stable, Muuji n’arrivait pas à se projeter.

Je sais pas trop… C’est compliqué d’apprendre pour le moment, aussi et, je connais pas vraiment mes points forts… expliqua-t-il. Vous, vous saviez déjà ce que vous vouliez faire petit ? demanda-t-il prudement, curieux.

Laissant à Muuji le temps de réfléchir à sa question, Ienzo hocha la tête quand celui-ci lui avoua d'avoir du mal à apprendre dans de telles conditions et surtout, ne pas encore savoir ses points forts. C'est vrai qu'ils n'avaient pas grandi dans les mêmes conditions... Et que c'était sûrement tôt pour ce genre de questions, il devait tout juste avoir un an, peut-être un an et demi ? Par là, vu les quelques poils clairsemés qui poussaient sur le haut de sa tête.

Je n'en étais pas non plus encore certain à ton âge, mais je me rappelle que j'aimais beaucoup les jeux de chasse. Le défi de ne pas se faire remarquer par la bête qu'on traquait, le suspens quand le bon moment se présente, l'adrénaline de la poursuite et plus tard, la satisfaction d'avoir une belle prise. Commencer par des sardines idéalement coincées dans une mare de mer et finir par des bêtes qui enchantaient les estomacs de plus d'un membre de la famille. Oui, il aimait la chasse, presque autant la nage. Et maintenant, je crois que c'est ce que je fais de mieux. Il acheva sa phrase par un petit rire, doux et détendu.

Tu as encore le temps pour tout ça, ne t'en fais pas. Ienzo glissa un sourire se voulant rassurant au petit lion, puis détourna son regard vers l'horizon d'herbes, marquant une pause avant de réaliser que la nuit était presque entièrement tombée. Tes parents ont l'air occupés. Sa voix s'imprégna d'un timbre curieux, le caverneux se demandant s'ils étaient partis loin ou encore, si tout allait bien pour eux.

J’ai jamais essayé de chasser… Traquer oui… Mais pas attraper… avoua-t-il.

Certes il avait déjà suivis des petites proies, des insectes ou ce genre de choses, mais jamais il n'avait essayé de les attraper, même pour s'amuser. Il ne trouvait rien de drôle là-dedans. Ces animaux avaient aussi une vie. Muuji se sentait l'égale de ses petites bêtes, lui aussi était sans défense et il ne voulait pas que son histoire s'arrête aussi vite. Un peu trop sensible peut-être un bon chasseur.

Ils essayent tous les deux d’aider le clan comme ils peuvent. il se retourna et désigna deux masses sombres dormant paisiblement côte à côté plusieurs mètres derrière lui. Je voudrais aider les autres comme eux... Plus tard. confia-t-il.

Il regarda ensuite Ienzo plus en détail. Son physique était tellement… étrange.

Ils faisaient quoi tes parents ? osa-t-il demander.

Il hocha doucement la tête à la réponse du lionceau, comprenant le sentiment derrière cette hésitation à capturer. Depuis qu'il était nomade, Ienzo avait compris que la chasse n'était pas le point fort de tout le monde, ou même, une "bonne" expérience pour certains et il le comprenait parfaitement, après tout, ils ne faisaient pas moins qu'ôter des vies. Mais la chasse restait une nécessité, qu'ils le voulaient ou non.

Les babines du caverneux s'arrondirent en "o" lorsque son jeune interlocuteur lui montra ses parents, dormant à quelques mètres de là. Lui qui croyait qu'ils n'étaient pas encore rentrés... Voilà qui était beaucoup plus rassurant. Se remettant de son instant de surprise, il laissa un doux sourire fendre ses babines quand Muuji lui confia qu'il voudrait aider la caravane plus tard, comme eux. Je suis certain que tu y arriveras. Lui répondit-il, chuchotant presque. Puis, un soupçon de mélancolie se mélangea à la douceur du moment. Ses parents ? Ils... Ienzo marqua une pause, mais elle ne dura qu'une fraction de seconde, juste le temps que leurs visages retournent dans les tréfonds de sa mémoire.

Ils étaient des chasseurs, aussi. L'emploi du passé ne laissait aucun doute. Il étira un nouveau sourire, toujours aussi doux et pourtant, avec une pointe de tristesse. C'est sûrement d'eux que je tiens mon attrait pour la chasse. Sa phrase fut ponctuée d'un autre rire, si discret, presque intérieur.

Il commence à se faire tard. Tu devrais rejoindre les tiens pour être en pleine forme demain. Reprit-il d'une voix plus enjouée, bien que basse pour éviter de troubler le sommeil des endormis. Glissant un dernier sourire au lionceau, il se pencha et ramassa le deuxième lièvre, prêt à repartir à la recherche d'un second ventre plus ou moins vide.

Bonne nuit Muuji. Souffla-t-il à l'attention du petit, s'en détournant doucement pour s'en aller vers les autres membres de la troupe.

Ienzo croyait en lui ? Muuji savait que c’était un lion doué, comme en témoignait les deux prises entre eux. Le petit lionceau était content que le brillant chasseur croit en lui. Le Msafara fut ensuite un peu gêné en entendant la réponse du félin, il n’avait pas spécialement voulu toucher un point sensible, mais cela ne semblait pas trop déranger le mâle.

Si Seyf et Astou étaient doués pour protéger les leurs comme les parents de Ienzo savaient chasser, Muuji se dit que cela devrait être héréditaire et qu’il aurait peut-être des facilités dans le futur.

Bonne nuit, monsieur Ienzo. Et merci pour le lapin ! dit-il pendant que son aîné partait à la recherche d’un nouveau ventre à nourrir.

Le jeune lion se leva ensuite et tira ce qui restait de son repas jusqu’à ses parents, faisant attention à ne pas les réveiller. Il se coucha contre le ventre de son père avant de terminer de manger, s’endormant profondément ensuite.