Jacayl plissa la bouche dans une moue dure. Son visage exprimait une profonde férocité ; une expression que Sipho ne lui connaissait sûrement pas. Une expression qu’il ne lui connaîtrait jamais. La jeune lionne ne le supporterait pas. Il la pensait calme, civilisée. Il la croyait un peu comme lui, comme un membre de la Noblesse. Elle ne pouvait pas lui en vouloir — il n’avait connu que des lions comme lui-même. La seule vision d’un Cidanka qu’il ait jamais eu devait remonter à l’heure de la guerre ; des lions ennemis, flous, dangereux. Il devait la voir différemment, la soupçonner de ne pas être comme eux.
Sauf que Jacayl l’était, comme eux.

Elle essuya la perle de sueur qui coulait le long de sa joue d’un mouvement rageur. Son cœur battait fort. Elle avait le souffle court. Son corps entier était tendu, les muscles bandés. Elle entraînait son endurance. Elle avait tiré un enseignement de la Fête organisée par son Père : un Légionnaire n’était jamais assez endurant, ni assez fort. Elle ne pouvait pas se reposer, quand bien même les aînés se disaient fiers de ses progrès. Elle devait les dépasser. Elle devait les écraser. Elle serait la meilleure. Elle serait le prochain Champion, Jacayl. Cela impliquait de pulvériser du Khomba ; or, aussi maniérés qu’ils soient, ils n’en demeuraient pas moins des combattants. Oui. Sinon, comment expliquer que la guerre gronde sans cesse ? Cidanka aurait facilement eu le dessus sur un ennemi trop faible.
Elle acheva sa “pause” en prenant une profonde inspiration. Le vent claqua contre sa fourrure laissée humide par l’effort ; Jacayl l’ignora. Le froid ne la ferait pas rentrer au camp. Rien ne l’y obligerait. Elle réveilla à nouveau ses muscles encore chauds dans un pas rapide, puis passa à l’allure supérieure, jusqu’à allonger la foulée dans un rythme effréné. Elle dépassa une ravine dans un bond léonin, abandonnant la crevasse dans son sillage. Elle accéléra jusqu’à ne plus pouvoir respirer, jusqu’à sentir ses poumons cramer du manque d’oxygène. Son champ de vision perdit rapidement en netteté, la forçant à revenir à un cheminement moins violent. Elle respira par à-coups étudiés. Son ventre se tordit. Ses oreilles bourdonnaient.
Elle n’en faisait pas trop. On n’en faisait jamais “trop”.

Elle était si concentrée sur le “vide” provoqué par l’ivresse de la course qu’elle n’eut pas le réflexe de s’inquiéter lorsqu’une masse apparut sous ses prunelles plissées. Elle passa au-dessus d’un nouvel abîme au milieu de la végétation, puis pila si violemment en comprenant que la masse était un lion qu’elle dérapa. Elle glissa sur le flanc dans un grognement furieux. La brûlure du frottement contre la mousse ne manqua pas de se pointer au rendez-vous ; Jacayl se redressa d’un coup malgré les ombres qui dansaient sur ses rétines. Elle souffla bruyamment du nez, réduisit ses yeux à l’état de deux fentes menaçantes, et s’avança d’un pas peu amène vers le mâle. Parce que, ouais, il s’agissait d’un mâle.
Togotan.

- Tu pourrais ne pas rester planté là ? Si je n’avais pas freiné, on se serait rentrés dedans ! Je suis sûre que tu n’as aucune envie de savoir ce que ça fait de se prendre une lionne lancée à son pic de vitesse le plus élevé ! Sa voix, aussi excédée qu’exaspérée, claqua comme un fouet dans l’air. Sa queue suivait des mouvements erratiques d’une rare violence. Elle était généralement maîtresse d’elle-même, Jacayl, mais pas aujourd’hui. Pas pendant l’en-traî-ne-ment.
Elle souffla à nouveau du nez. En plus, cela lui faisait mal de l’admettre mais vu le gabarit du lion, Jacayl aurait certainement été broyée par la collision. Pourquoi les mâles devaient-ils être si… énormes à Cidanka ? Sipho ressemblait à un moineau, à côté ! Elle aussi, cela dit.

Aah, la ravine. Ce lieu si paisible et si propice à la tranquillité. Enfin, c'est ce que notre gros molosse croyait jusqu'à ce qu'il manque de se faire percuter par une furie.

Togotan s'en était allé se promener en ce radieu jour. De grands nuages parsemaient le ciel mais, suffisamment pour créer de gigantesques zones d'ombres sur les terres des Cidankas. Et quoi de mieux pour admirer ce beau paysage que d'aller se poster au sommet des ravines ? C'est donc dans ce but que notre pataud s'y était rendu.

Une fois arrivé à destination, il avait été ébloui par le paysage. Il avait ensuite entrepris de siester sur une grande plaque de roche, encore délicatement réchauffée par le soleil, quand, en se couchant, il remarqua quelque chose d'intriguant : un… moineau ?

- Oh ? Ça alors ! s'exclama-t-il doucement.

Le petit oiseau faisait tranquillement sa toilette, posté sur un rocher. Togotan ne pu s'empêcher de l'admirer quelques instants quand, soudain, il fut interrompu par une voix féminine. Il tourna la tête vers elle et cligna des yeux à plusieurs reprises, stupéfait.

- Euuuh.. Désolé, il y avait un moineau, juste là… Il désigna le petit oiseau qui venait alors tout juste de s'envoler en entendant les deux félins dialoguer. ...Ah. Bah il vient de s'envoler. Dommage, c'est la première fois que j'en voyais ici. dit-il, déçu et totalement inconscient de la tension actuelle qui envahissait tout l'être de la lionne. Il se retourna alors vers elle et sa tête pencha sur le côté tandis qu'il s'asseyait.

- Tu t'entraînais ?

Le gros balourd afficha un air benêt. Il est vrai qu'en y regardant de plus près, il fallait être aveugle pour ne pas voir que notre princesse ne semblait pas du tout d'humeur à discuter de la faune et de la flore de leur superbe territoire. Mais vous connaissez Togotan…

Togo. S’il avait montré quelques prédispositions au combat — son corps aidant —, il lui semblait moins effrayant couché sur une fine pellicule de poussière. Elle l’observa, un air dur ancré sur son faciès d’ange. Elle ne comprenait pas qu’il puisse avoir une apparence pareille sans faire les efforts nécessaires à côté. Était-il simplement né avec ? Elle se demanda si les gènes pouvaient jouer à ce point. Si la réponse était oui, Jacayl devrait redoubler de soin pour séduire un bon mâle pour assurer sa descendance. Elle ne pouvait évidemment pas enfanter de jeunes médiocres ; ses mômes seraient des bébés-soldats hors normes. Elle repensa au colosse qui servait de Champion à son père. Dommage qu’il l’ait si mal traitée durant le combat, Jacayl aurait pu considérer la chose avec un œil intéressé.

Le mâle babilla à propos d’un oiseau. Les griffes de la jeune recrue émergèrent de leur cage ; un moineau ? Était-ce d’elle qu’il parlait ? Elle chercha la moindre trace de sarcasme ou de sous-entendu dans sa voix ; ne trouvant rien, Jacayl recommença. Il y avait forcément une chose qui lui échappait. Elle n’avait simplement pas capté la blague, la référence. Ses yeux se plissèrent un peu plus encore.
Le pire, là-dedans, c’est qu’il ne semblait pas conscient de ce qu’il avait fait. Ou alors il s’en foutait. L’idée lui hérissa le poil. Littéralement. Il s’asseya avec indolence. Comment pouvait-il respirer à ce point la paresse ?! Elle le haïssait ! Voilà, la messe était dite. Il avait un corps qu’une lionne comme elle ne pourrait jamais espérer arborer — même pas dans ses rêves — sauf qu’il n’en faisait rien ! Il se contentait d’un peu de soleil pour se dorer la pilule pendant que d’autres se ruinaient à l’entraînement. La Nature était si cruelle.

Il posa une question qui n’appelait aucune réponse. Elle le jaugea, laissa échapper un soupir passablement impatient, puis se sentit peu à peu calmée par une idée qui mûrissait dans son crâne. Elle força ses muscles à se dénouer, ses poils à descendre le long de son épine dorsale. Elle dessina une ébauche de sourire sur ses lèvres, quoi qu’il n’arrive jamais jusqu’à ses yeux pâles animés d’une lueur froide.
Elle avait encore l’humiliation de la fête sur le cœur. Une souffrance qui pesait lourd sur son âme. Le Champion avait préféré se battre avec lui plutôt qu’avec Elle. Elle qui s’était pourtant donnée pleinement durant son combat… Elle réprima la rage qui grondait dans son bas-ventre.

- Oui, je m’entraînais. Tu es intéressé ? Tu t’es bien débrouillé à la soirée, contre le Champion. Tu pourrais peut-être m’apprendre quelques coups. Ce serait sympa. C’est ce que sont censés faire les aînés, après tout.

Jacayl essaya de prendre son air le plus innocent, le plus mignon. Après tout, s’il se laissait prendre au jeu, la lionne aurait l’occasion de lui mettre une bonne branlée. Son amour-propre avait besoin d’être réparé.

Togotan redressa la tête, clignant plusieurs fois des yeux, l'air ahuri.

- Moi ? Bien entendu, lui. À qui d'autre voulait-il qu'elle s'adresse ? Euh… Je ne suis pas certain de pouvoir t'apprendre quoi que ce soit… dit-il, confus, avant d'enchaîner : Tu m'avais l'air d'user d'une telle réflexion lors du combat. Et tu étais si déterminée ! J'ai vraiment admiré ta rage de vaincre ! Je ne me sens vraiment pas capable d'avoir une telle hargne un jour. Tu as vraiment l'âme d'une meneuse ! Et moi… Je ne suis qu'un gros tas de muscles sans cervelle ! termina-t-il enfin, sur un ton léger. Il adorait utiliser l'autodérision. En fait, il le faisait même sans le vouloir et ne pouvait jamais s'empêcher d'en rire. Comme s'il parlait de quelqu'un d'autre que lui. Ah, sacré Togo.

Ses louanges avaient été si sincères qu'on lui aurait mis d'immenses étoiles dans les yeux si on avait dû illustrer la scène. Mais pourquoi une guerrière comme elle voulait qu'il lui montre des techniques ? Il avait beau être son aîné, il ne l'était que de quelques mois à peine. Et elle risquait d'être une bien meilleure légionnaire que lui une fois sa propre cohorte officiellement rejoint. Et puis… elle restait tout de même la fille du Grand Consul ! Si elle voulait demander des conseils à quelqu'un elle devrait plutôt se tourner vers son père. Ou tout simplement vers l'un de ses mentors. Mais surtout pas vers un gros balourd comme lui !

Il ne manqua pas de la surprendre, avec ses gros yeux écarquillés. Leur jolie couleur bleue lui donnait un air naïf au milieu de ses poils blonds. Elle ne comprenait pas Mère Nature. Pourquoi donner un corps pareil à quelqu’un qui ne saurait jamais s’en servir convenablement ? Il n’arrivait même pas à aligner deux syllabes sans que l’effort se lise sur son visage.
Pourquoi ?
Néanmoins, Jacayl se garda de faire le moindre commentaire. Elle n’avait pas envie de se montrer aussi conne que les médisants. Elle ne jugeait ses congénères qu’au fond de son crâne conditionné. Elle ne voyait pas l’intérêt de blesser quelqu’un qui pourrait — du coup — hésiter à lui venir en aide au cours de la Guerre.
Parce qu’elle était à peu près sûre qu’une poignée de morts Cidanka auraient pu être évitées mais que des conflits entre les alliés avaient eu raison de ces maigres chances.

Elle écarquilla les yeux alors qu’il enchaînait les compliments. Il paraissait si… simple. La belle machine qu’était son cœur se désaccorda. Pourquoi était-il… gentil ? Avait-il remarqué son cinéma ? Il jouait sûrement un jeu. Un jeu dangereux, si vous vouliez son avis. Si Jacayl n’avait pas sa carrure, il n’était pas forcément conseillé pour autant de s’en faire une ennemie ou de se payer ouvertement sa tête. Elle faillit exploser, lui hurler de cesser sa mascarade. Elle veilla cependant à enfouir sa colère dans les tréfonds de son bide ; il n’était pas encore l’heure de perdre la tête. Elle ressortirait sa rancœur quand ils marcheraient face aux Khomba. Ils paieraient pour les autres. Ils subiraient les coups pour chacun des affronts lui ayant été faits depuis sa naissance.
Et Dieu seul savait combien il y en avait eu. Simplement, Khomba s’en boufferait les doigts.

- Tu as forcément quelque chose de plus. Il t’a choisi. Il m’a tourné le dos, à moi. Il t’a préféré. Elle l’observa en se mettant en mouvement. Elle décrivit des cercles larges autour de lui, se plaçant de fait hors de portée de ses coups ; une précaution spontanée que son corps avait adopté sans que le cerveau y pense. Elle avait été trop bien formée pour s’abaisser à faire confiance à sa propre famille. Elle plissa les yeux. Je veux me battre contre toi pour devenir plus forte. Un jour, j’affronterai à nouveau Horyaal seule dans l’arène. Et je gagnerai.

Le poil sur sa nuque se hérissa d’anticipation. Elle avait hâte. Une flamme brillait dans les flaques claires que formaient ses yeux. Le feu la rongeait de l’intérieur. Elle s’immobilisa soudainement, revenue à son point de départ. Elle le jaugea en bombant la poitrine, le regardant de haut. En garde. Sa voix n’était qu’un murmure mais il y résidait tant d’énergie qu’il ressemblait à un cri.

- Hahahaha ! rit-il à gorge déployée. Tu as beaucoup d'ambition ! C'est agréable à entendre. Moi, je ne pourrais pas en dire autant !

Il avait dit ces derniers mots en se frottant la tête avec sa grosse paluche. Son expression était joyeuse mais il semblait un brin gêné. Une goutte perla sur son front. Il venait clairement de faire comprendre à la princesse qu'il ne serait jamais, ô grand jamais plus qu'un simple suiveur jusqu'à la fin de ses jours. Et qu'il s'en contentait. Mais cela faisait peut-être mauvais genre de dire une telle chose devant la fille du Consul.

Quoique, cela aurait bien étonné Togotan que Ksanaksan veuille être détrôné. Notre gros bêta réfléchit à cette question un instant, frottant son menton de sa patte tandis que Jacayl lui tournait autour. Ses sourcils étaient froncés, comme si cette réflexion lui demandait tous les efforts incommensurables. Puis il réussit finalement à aboutir à une conclusion : Ksanaksan ne pourrait jamais être mécontent qu'il soit un docile soldat.

- Bon, je veux bien te montrer comment je me bats. Je ne sais pas si tu vas vraiment en tirer une grande leçon mais si tu insistes... dit-il, après s'être vigoureusement ébroué.

Le gros balourd se leva alors d'un bond et banda ses muscles, les quatres pattes bien ancrées au sol. Il banda ses muscles et, un grand sourire aux babines, planta un regard taquin dans celui de Jacayl :

- Viens me chercher, Princesse ! Et il claqua des crocs, prêt à en découdre dans un combat amical.

Elle ronronna presque contre son gré lorsqu’il souligna à quel point Jacayl était butée. Elle était coriace, pleine d’ambitions démesurées, de désirs qui flamboyaient dans son bide. Le murmure sourd qui faisait vibrer la cage d’os qui emprisonnait son cœur résonna doucement dans l’air. Il était à peine audible, ce ronronnement ; surtout, il n’était que la manifestation un peu perverse du plaisir de se savoir supérieure à ses congénères. Togo l’avait reconnu lui-même.
Mais Togo pouvait mentir. Elle savait entretenir les façades avec une habileté qui lui laissait croire que d’autres en étaient capables aussi. Elle se força à garder la sage méfiance dans un coin de son crâne fier ; Jacayl ne sous-estimait jamais ses frères d’armes, ce n’était pas pour rien.

Il se releva enfin, lui concédant ce que la Cidanka réclamait à corps plutôt qu’à cris. Elle plissa les paupières dans une mimique de jubilation. Son sang ne fit qu’un bond dans ses veines avant d’accélérer sa cadence, calquant son rythme sur celui — devenu irrégulier — de son cœur. Son invitation l’excita un peu plus. Ses oreilles frémirent, dansant sur le haut de son casque alors que sa queue se balançait paisiblement. Elle avait l’impression de renaître à chaque fois qu’on lui proposait un combat. Le sang l’exaltait. Un sourire féroce illumina ses traits angéliques. Elle chargea par-devant sans plus de cérémonie. Elle réfléchirait à une stratégie de combat au fil de leurs échanges, lorsque les faiblesses de Togo se dessineraient sur la carte de sa logique impeccable. Elle rugit d’allégresse en plongeant ses crocs dans la fourrure claire du mâle, visant le cou. Ses pattes avant reposaient sur les épaules de son adversaire pour lui servir d’ancre. Elle s’abstint causer le moindre dégât, se contentant de pincer la chair pour voir où lui posait les limites. S’il répondait brutalement à son baiser dangereux, Jacayl ne retiendrait plus ses coups.

Lorsque la jeune lionne se jeta à son cou et le lui pinça, Togotan ne put s'empêcher de pouffer un petit rire. Il se tortilla en gloussant comme un gros asticot tout ridicule puis tenta enfin de dégager sa camarade : il pressa son dos de son imposante paluche pour la bloquer contre lui puis se laissa tomber sur elle de toute sa masse.

Le félin ronronna, encore tout émoustillé par les "chatouilles" que Jacayl venait de lui faire et dit, yeux clos et avec un grand sourire :

- Depuis quand tu fais des guilis à tes adversaires, Princesse ? Je croyais que tu voulais t'entraîner. Il afficha une moue perplexe, regardant dans le vide. À moins que ce soit une de tes nouvelles techniques de déstabilisation… ? Et ses yeux s'écarquillèrent dans un hochement de tête qui voulait clairement dire "Oooh, pas cooon !"

La fameuse princesse était à ce moment encore coincée sous le gros balourd, son visage très probablement engouffrée dans le doux mais épais amas de crinière du gentil mâle. Ce dernier tourna les yeux vers le sol, cherchant la féline. Il afficha à nouveau une mine perplexe, balayant alors les environs du regard :

- Jacayl ? appela-t-il, haussant les sourcils et tendant les oreilles, attentif.

Elle n'avait tout de même pas pu disparaître ainsi !

Il se marra.
Jacayl écarquilla les yeux en le sentant onduler comme s’il essuyait les assauts d’un moucheron querelleur. Il riait. Il se moquait d’elle. Il rigolait d’elle. La Cidanka se braqua sans procès, sans réfléchir. Elle ne pesa pas le pour ou le contre, ne chercha pas d’excuses vaines au mâle ; il n’en avait aucune.

Elle pensait avoir atteint le comble de l’humiliation mais Togo se chargea à nouveau de la prendre au dépourvu. Il l’écrasa, le plus simplement du monde. Il le fit comme si Jacayl ne pesait rien. Son faciès d’ange se déforma d’une rage viscérale alors qu’il s’immobilisait, là. Il la prenait pour un coussin ? Elle feula sourdement. Il parla, lui demanda où elle était passée. Elle crut dur comme fer qu’il se foutait encore d’elle ; alors, sans saisir la portée de ce qui allait suivre, Jacayl referma durement les mâchoires sur le coude de Togo. Elle mordit jusqu’à se faire mal aux mâchoires.
Mais pas à cause de la rage, non.
À cause de la peur. Elle était piégée, là, sous une masse qu’elle était incapable de soulever. Elle se sentait à l’étroit. Ses poumons peinaient à se remplir d’air. Son visage vira au cramoisi sous la mer de poils sables. Son pouls battait à tout rompre. BOUGE ! que la recrue hurla si fort que ses cordes vocales la brûlèrent. Elle lâcha le coude, puis s’y accrocha de nouveau. Ses griffes labourèrent le ventre de Togo. Elle chercha à le pousser de toutes ses forces en crachant, le minois ravagé par un savant mélange de haine et d’horreur.

Elle n’aurait jamais dû retenir ses coups.

Et alors que notre gros Togo cherchait encore sa camarade du regard, il sentit soudain une puissante mâchoire se refermer sur son coude. Il tiqua soudain, ses yeux ronds comme deux billes.

- AOUTCHEUH ! rugit-il, avant que la lionne ne lâche la prise avant d'y revenir de plus belle, lui labourant son gros bidou en bonus. EH MAIS ARRÊTE ÇA !!

Et il se redressa d'un bond, le poil hérissé et le dos rond comme un énorme chaton mécontent. Par réflexe, il mit même de petites tapes sur la tête de Jacayl avec son énorme paluche, griffes rentrées. Ce n'était pas une attaque ; simplement son système d'auto-défense qui s'était déclenché. Et il avait Vraiment l'air d'un petit chat tétanisé devant un effrayant concombre.

Elle accueillit le moment où il se déplaça comme l’heure de sa libération. Elle se releva d’un bond agrémenté de feulements fous, les yeux hagards — embués de ce liquide traître appelé larme —, les babines retroussées sur ses crocs blancs. Elle recula vivement, manquant de trébucher dans sa précipitation ; lui râla, la gratifiant au passage de quelques coups-réflexes auxquels Jacayl répondit par les mêmes. Les oreilles couchées sur le crâne, la jeune recrue frappait rapidement. Elle avait rentré les griffes — quoi que celles-ci revenaient à la charge parfois — alors que son bide serré rampait presque sur le sol. Elle feula à nouveau, folle de rage. Ne fais plus jamais ça ! que la jeune lionne hurla en tremblant. Elle lui adressa un regard plein de rancœur. Je te déteste ! Je te déteste tellement ! Au final, la môme se redressa sur ses quatre membres en espérant avoir l’air digne, bombant la poitrine. Une larme de rage coula sur sa joue. Elle n’en revenait pas qu’il l’ait humilié ainsi ! Pire, il l’avait mise hors-combat si rapidement… Elle fit brutalement volte-face, la queue agitée de mouvements erratiques incontrôlés. Elle respirait fort. Elle s’élança pour mettre le plus de distance possible entre eux ; mais, se sachant encore à portée de voix, décida d’en rajouter une couche pour sortir la douleur qui la hantait : TU ES LE PIRE, TOGOTAN !
Le cri résonna dans les ravines, rebondissant sur les parois rocheuses.

La réaction de la Princesse ne fit qu'enthousiasmer encore plus le gros mâle. Alors il s'élança sans attendre à sa poursuite. La mousse amortissait le claquement de ses énormes paluches sur le sol mais son corps, lui trahissait le gros poid-lourd qu'il était. Son ventre se balançait, chacun de ses pas agitait la graisse qui parcourait son corps et, vous vous en doutez, un immense sourire s'était dessiné sur son visage. Et sa langue pendait au coin de sa gueule.

- Et bah ! Tu veux plus jouer ?! lança-t-il de sa puissante voix dans un ronron amusé.
Sa puissance n'avait d'égal que la vitesse et l'agilité de Jacayl. Ainsi, il savait bien qu'il ne la rattraperait pas en lui courant après. Mais la récréation n'était pas terminée.

- Allez, Jacayl, reviens ! Promis je t'embêterai plus !

Les ombres des nuages parcouraient les plaines des hauteurs sur lesquelles ils étaient. C'était réellement une radieuse journée pour s'amuser entre amis ! Du moins, c'était ainsi que Togotan le voyait.

Elle n’eut qu’à prêter un peu l’oreille à son environnement pour comprendre qu’il la suivait. Son pouls — déjà aux abois — accéléra encore plus. Elle sentit son sang se figer dans ses veines, puis y bouillir jusqu’à faire exploser ses artères. La peur suinta le long de sa colonne vertébrale ; une angoisse viscérale qui la prenait aux tripes. Elle avait peur, Jacayl. Peur d’être à nouveau piégée. Elle ne comprenait même pas comment les choses avaient pu finir ainsi ; ses professeurs s’accordaient pourtant sur le fait que la princesse était une élève exemplaire. Elle avait de l’avenir, lui avait-on assuré.
Où avait-elle échoué ? Qu’avait-elle loupé ?
Bordel ! Qu’elle était énervée ! Ce lion-ci avait un don pour la foutre dans des situations impossibles. À croire qu’il le faisait exprès ? Elle commençait sérieusement à envisager l’option. Il n’était peut-être pas vraiment idiot. Il l’interpella bruyamment. Elle pila brutalement, excédée, à sa question naïve en apparence. Ouh, oui. Il se payait sa tête. Elle se campa sur ses quatre membres, l’air à la fois fière et farouche, en le jugeant. Ses petits yeux olivâtres lançaient des éclairs. Oh, ce qu’elle avait envie de lui arracher ses jolis yeux bleus pour s’en faire un jeu de billes. Elle sentit sa gorge se serrer comme un poing autour d’un grondement sourd. Le bruit résonna dans sa cage thoracique. Jacayl dévora la distance qui les séparait en vives foulées pleines de rage. À la fin, la lionne accéléra la foulée jusqu’à courir sur lui. La furie lui rentra dedans en poussant un cri rageur.

Non, Jacayl n’avait pas oublié ses leçons militaires.
Ou peut-être que si, en fait. Mais vous n’iriez pas le répéter, hein ?

En voyant sa camarade foncer sur lui, il ne put s'empêcher de faire de même. Le mâle atteint rapidement sa vitesse de pointe -qui n'égalait clairement pas celle de Jacayl- et, sans même prévenir, il bondit sur la lionne, paluches ouvertes et grand sourire.

Togotan engouffra la Princesse dans un roulé-boulé infernal comme il savait si bien les faire. Le gros lion entourait la femelle entre ses puissantes pattes, l'empêchant de se blesser mais mettant son ventre dans une position extrêmement vulnérable

- Profite des faiblesses de ton adversaire ! dit-il tandis qu'ils se heurta à un rocher qui les stoppa net dans leur élan.

Heureusement, Togotan était bien assez résistant pour ne pas s'être blessé en se cognant. Ainsi, il n'y prêta pas attention et resserra son étreinte sur Jacayl avant de happer son cou entre ses immenses crocs.

- Libèhe-'oi 'ainche'an ! Il 'aut que chu y ahhives ! tenta-t-il d'articuler tant bien que mal.

Il fallait absolument qu'elle apprenne à rivaliser contre des adversaires de comme lui. Certains Khombas ne feraient qu'une bouchée d'elle si elle réagissait comme elle l'avait fait quelques minutes auparavant, lorsque Togo l'avait étouffée sous tout son poids.

P.S. :

Elle aurait préféré qu’il ne mente pas, Jacayl. Parce qu’il avait menti. Il avait menti. Il avait promis de ne plus faire l’imbécile, de ne plus la malmener ; sauf qu’il s’élança vers elle à la seconde où la lionne prit de l’élan. Aussi jura-t-elle en silence de lui faire payer. Un jour. Elle haïssait le mensonge. Il faisait attendre, il faisait espérer, il faisait rêver. Mais un mensonge n’était rien de plus qu’une chimère, l’illusion d’une rivière au milieu du désert ; arrivé à la ”rivière", on réalisait que ça n’avait été qu’un mirage.

Son mirage à elle l’entraîna dans un roulé-boulé si brutal qu’il lui coupa le souffle. Elle cracha la poussière mêlée aux poils que l’épreuve lui avait fait avaler. Son visage était déformé par la fureur. Ses mâchoires craquèrent alors qu’elle les serrait, faisant grincer ses dents au passage. Un son à mourir cinglé, si vous vouliez son avis. Ses prunelles acides lançaient des éclairs ; heureusement pour Togo qu’une paire d’yeux ne pouvait pas tuer, il aurait été foudroyé sur le coup. Ça aussi, Jacayl l’avait hérité de son père. Ils avaient la même expression dangereuse dans les billes, ce qui les rendait inquiétants lorsqu’ils cédaient à la colère.

Il eut néanmoins la très mauvaise idée d’en rajouter une couche en resserrant ses crocs autour de sa gorge. Son sang bouillant se figea dans ses veines. Bientôt, un hiver polaire s’abattit sur son esprit, mettant en fuite les émotions tordues qui empêchaient la concentration. Jusqu’à ce qu’il ne reste que le vide. Ce vide d’une plaine sauvage, enneigée, stérile. Elle sentit la chose si nécessaire en combat s’éveiller ; ses sens s’affinèrent, son corps se détendit. Sa finesse — comparée à la carrure du colosse — lui permit de s’insinuer doucement entre ses paluches. Elle ne chercha pas à se libérer, préférant utiliser la situation à son avantage. Togo était adossé à la roche qui avait arrêté leur course. Il était bloqué. Elle fit remonter sa patte jusqu’au visage du mâle en veillant à ne pas trop gesticuler pour que ses crocs n’abîment pas sa gorge. Cela dit, Jacayl était sûre qu’il faisait attention à elle. Sa peau ne la picotait même pas. Il ne voulait pas la blesser. Ce constat l’aida à s’ancrer dans la réalité, à ne pas céder à la peur d’être piégée à nouveau. Elle déposa les phalanges sur l’arcade sourcilière du lion. Elle l’obligea à sentir ses griffes labourer la peau sans jamais la percer, en exerçant un mouvement descendant. Elle pouvait lui crever l’œil, là, maintenant. Elle voulut s’assurer qu’il avait compris, donc recommença. Après quoi, jugeant que cela n’avait pas duré assez longtemps — et qu’en situation réelle, son adversaire n’en aurait pas grand-chose à foutre de se faire arracher un orbe —, Jacayl posa l’un de ses pieds armé de lames fines comme celle d’un rasoir sur l’entrejambe lourd du mâle. Elle exerça une pression très douce pour ne pas le châtrer. Elle voulait devenir Champion. Or, Horyaal n’avait blessé aucun d’eux sérieusement. Elle devait savoir se contrôler, elle aussi. Lâche-moi, annonça-t-elle avec une voix presque trop calme.

HRP:

Notre gros idiot s’exécuta instantanément : il lâcha la gorge de son amie. Togotan n’avait jamais eu de contacts aussi “rapprochés” avec une femelle, alors une telle proximité avec elle, qui plus est la Princesse ! Le gros balourd ne put s’empêcher de rougir sous son épaisse fourrure. Mais il se ressaisit vite. C’était un soldat, après tout. Il ne pouvait pas se laisser déstabiliser par de telles pensées une fois en face d’un réel adversaire.

Ainsi, notre tas de muscles repoussa vivement sa compagne d’entraînement. Gardant ses paluches sur les épaules de la femelle, il les fit tous deux basculer pour la plaquer au sol. Il exerça alors une pression assez puissante sur le corps de Jacayl pour la maintenir contre la mousse. Et là. Il lui asséna une énorme léchouille sur la joue avant d’afficher un grand sourire satisfait.

- Bien joué ! Très bonne technique… pour une future Barzouze ! et il éclata d’un rire à gorge déployée, baissant totalement sa garde.

Se faire obéir a quelque chose de vraiment agréable. Le voir se décomposer doucement en réalisant ce qu’il se passe la fait jubiler… Jusqu’à ce qu’il renverse à nouveau la situation en profitant que Jacayl ne se soit pas écartée suffisamment vite de lui. Un soupir exaspéré s’enfuit de ses lèvres. Le jeu a assez duré, si vous voulez son avis. Il lâche une blague de mauvais goût, ce qui lui fait lever les yeux au ciel. Sans plus de cérémonie, la jeune fille utilise ses griffes pour labourer l’intérieur de la cuisse du lion penché au-dessus d’elle. Elle le fait avec suffisamment de force pour percer la chair mais sans dommages réels ; au pire, le sang va simplement se concentrer au creux de la blessure. Les bords gonfleront peut-être un peu, mais ça s’arrêtera là. Jacayl pousse en même temps sous les aisselles de Togo pour le forcer à s’écarter. C’est bon.

La jeune fille roule férocement sur le côté pour se dégager, puis se redresse. Son visage exprime un calme plat, un masque lisse. Merci bien, j’ai vu ce que je voulais. Je vais rentrer, l’entraînement va reprendre Enfin, sans attendre une quelconque réponse, la princesse reprend le chemin de la caserne.

Hrp : Le Rp est fini de mon côté. À toi de voir si tu veux faire une dernière réponse ou non. Merci pour ce moment ~

HRP :