Mes yeux commencèrent à s'ouvrir difficilement, étant éblouis par les rayons du soleil qui tapaient directement dans mon visage. Est-ce que j'étais morte ? Je pouvais sentir l'herbe chatouiller ma fourrure, et une légère brise s'écraser délicatement le long de mes poils et mon museau. L'odeur de mort qui flottait dans la forêt avait complètement disparu pour laisser place aux odeurs familières de l'herbe, des arbres et quelques proies qui traînaient non loin.

Je fini enfin par ouvrir les yeux complètement, après plusieurs essais. Relevant la tête, je posais mon regard sur la forêt, qui nous avait recraché. Tous les souvenirs me revinrent en tête comme une véritable claque en pleine face. La recherche des lions, l'attaque des lions étranges, la brune bavarde qui nous avait ordonné de partir... Tout cela me donna des vertiges.

Ou était Togotan ? J'eu un instant d'affolement, avant de tourner mon regard sur le gros félin qui gisait à côté de moi. Je voulu me lever, mais une douleur affreuse me prit dans le poignée lorsque j'appuyais dessus pour prendre appuis. Celui ci était tourné dans un angle bizarre et pas du tout naturel... J'avais dû me tordre le poignée lorsque j'étais tombé de mon arbre... Quelle idée stupide ! Mais au moins, nous étions vivants, tous les deux. Je pouvais voir les flancs de Togotan se soulever, il n'était apparemment pas encore réveillé.

Prenant donc appuis sur mes trois pattes valides, je me rapprochais de Togotan clopin-clopant, pour venir m'asseoir à ses côtés. Togotan... Murmurais-je. Nous sommes vivants, les lions de la forêt nous ont épargnés... Réveilles toi...

Ma voix était douce et l'on pouvait entendre que j'étais rassurée, Je n'avais pas envie de mettre les pattes dans cette forêt une nouvelle fois. Alors que le nounours se réveillait, je posais mon regard sur la forêt, me demandant si les lions étranges nous observaient. Cette forêt était leur domaine, et nous n'avions rien à y faire... Une question me revint alors en tête. Pourquoi se cachaient-ils des Cidanka ? Ces lions semblaient être parfaitement habitués à cette forêt, ils devaient se cacher depuis si longtemps...

Silencieuse, je cru apercevoir une branche bouger dans cette forêt. Peut-être un oiseau ? Peut-être autre chose... Je fixais l'endroit, inclinant la tête, les oreilles en arrière, avant de lâcher d'une voix calme : Merci de ne pas nous avoir tué...

Togotan se réveilla avec difficulté. Heureusement, son éveil fut bien plus doux que son évanouissement : la voix de Nsiese. L'entendre le rassura instantanément.

Il tourna la tête dans sa direction, clignant des yeux à plusieurs reprises pour s'habituer à l'éblouissement du soleil. Humidifia sa bouche avant de répondre à la lionne.

- Apparemment. constata-t-il à son tour avant de diriger son regard dans la même direction que sa camarade : Je savais bien qu'ils n'étaient pas si menaçants qu'ils en avaient l'air. Ils nous auraient déjà tués dès le départ sinon.

Le gros mâle se redressa, non sans tituber un peu. Son immense corps était encore endolorit par les effets des plantes. Ainsi, son arrière train ne suivit pas tout de suite le mouvement. Togotan se secoua les miches, leur lançant un regard mécontent. Ces dernières finirent par se hisser à leur tour et le lion dressa fièrement la queue. Un sourire satisfait s'afficha sur son visage.

- Au moins nous n'avons rien, c'est l'essentiel ! dit-il en tournant à nouveau la tête vers Nsiese… quand soudain, ses yeux repérairent son poignet tordu. Le choc fut instantané. OH ! Mais tu es blessée !! Montre-moi ça, je vais… je vais.. Euh, il faut te ramener à la caserne, les Toubibs pourront vite te soigner !

Totalement affolé, le gros balourd avait amené son museau à la hauteur de la patte blessée. Il louchait dessus, les yeux écarquillés, puis avait relevé la tête, cherchant une issue à la situation. La bougeotte s'était emparée de son corps tout entier. Il fallait qu'ils rentrent au plus vite ou sa blessure pourrait s'agraver !

Togotan se leva difficilement, mais il semblait ne pas être blessé. Il tituba, encore endormi par les plantes. Dommage que cette rencontre se soit mal passé, les pétales blanches auraient pu être utiles pour beaucoup de choses, comme soulager les patients amputés... Peut-être que je pourrais avoir l'occasion d'en récupérer un jour.

- Au moins nous n'avons rien, c'est l'essentiel ! Avait répondu Togotan qui était maintenant un peu mieux réveillé. Mais son regard changea bien rapidement lorsqu'il posa ses yeux bleus océan sur ma patte. OH ! Mais tu es blessée !! Montre-moi ça, je vais… je vais.. Euh, il faut te ramener à la caserne, les Toubibs pourront vite te soigner !

Je me mis à rigoler devant l'inquiétude du molosse. Il était complètement affolé, bien plus que moi d'ailleurs. Il approcha son museau, toucha mon pogné qui me lança alors jusqu'à l'épaule. Il allait falloir du temps pour que celui ci se soigne...Ne t'inquiètes pas ! Avais-je répondu, me voulant rassurante. Je suis Toubib, n'oublies pas !

Je lançais un clin d'oeil à mon ami avant de me remettre debout sur trois pattes. La douleur devenait vraiment désagréable, et j'allais devoir faire attention et éviter de m'appuyer sur ma patte durant un long moment. Peut-être que je pourrais trouver des plantes ou autre chose pour me soulager lorsque nous serions rentré à Cidanka.

- Tu avais déjà entendu parler de ces lions de la forêt ? Demandais-je. A ton avis, pourquoi se cachent-ils des Cidanka ?

Un dernier regard vers l'immensité des arbres, et me me mis en route pour Cidanka. Clopin-clopant, je trottinais aux côtés de Togotan, pressée de rentrer. La brune trop bavarde me revenait en tête. Bien qu'elle s'était montré hostile envers nous, elle ne nous avait pas tué, et pour cela, je lui en étais reconnaissante. Ils auraient pu nous trancher la gorge facilement, mais ils avaient simplement traînés nos corps endormis hors de chez eux. Tu comptes parler au Grand Consul de cette rencontre ?

- Aucune idée. Mais évidemment que je vais en parler au Consul ! répondit-il tout en marchant auprès d'elle. Puis ses oreilles se baissèrent et ses sourcils se froncèrent d'incompréhension et de déception face à la réaction que Ksanaksan avait eu lorsque Togotan l'avait alerté du hurlement de Godka. ... en espérant qu'il y prêtera au moins attention.

Sa moue se fit limite vexée et ses pas devinrent un brin plus agressifs. Il martelait le sol à chaque paluche qu'il y posait en faisant des petits pas et regardait ailleurs, comme un lionceau qui faisait la moue.

- Je ne comprends pas pourquoi il a réagit comme ça. On aurait dit qu'il ne portait aucun intérêt à pour Godka… et cet ordre qu'il m'a donné ensuite… Il tourna la tête vers Nsiese, l'air soudain soulagé mais désolé. Heureusement que tu n'as pas tenté quoique ce soit. Je ne sais pas comment j'aurais réagis après avoir dû tuer l'un des miens…

Son regard emplit de tristesse s'était plongé dans les prunelles violacées de la femelle mais les avaient vite fuies. Même s'il s'en serait voulu, il venait officiellement de lui confirmer qu'il n'aurait pas hésité à exécuter les ordres s'il l'avait fallu.

- Aucune idée. Mais évidemment que je vais en parler au Consul. Avait répondu Togotan. Sa réponse ne me convenait pas. Etait-il vraiment nécessaire de balancer au chef des Cidanka que des lions vivaient dans la forêt, et se cachaient des Cidanka ? Non, il valait peut-être mieux laisser la vérité là où elle était, après tout, ils les avaient épargner, ils méritaient bien un geste de reconnaissance... ... en espérant qu'il y prêtera au moins attention.

Je priais pour que le contraire se passe. Je n'avais vraiment pas envie que le Grand Consul décide de déclarer la guerre aux lions de la forêt. Togotan reprit la parole, tandis que moi, je m'étais stoppé pour reposer ma patte endolorie. Je ne comprends pas pourquoi il a réagit comme ça. On aurait dit qu'il ne portait aucun intérêt pour Godka… et cet ordre qu'il m'a donné ensuite… Les poils se dressèrent sur mon échine en repensant aux aveux de Togotan. Heureusement que tu n'as pas tenté quoique ce soit. Je ne sais pas comment j'aurais réagis après avoir dû tuer l'un des miens…

Je fixais Togotan, oubliant un instant la douleur de mon poignée. Les oreilles dressées sur le haut de mon crâne, je restais bouche bée lorsque le mâle s'était tut. Comment ça, après avoir tué l'un des miens ? Demandais-je, choquée. Tu aurais vraiment été capable de me tuer ?

Je m'étais approché de Togotan, pour venir me placer en face de lui, le fixant droit dans les yeux sans ciller. Je n'en revenais pas. Notre amitié ne signifiait-elle donc rien aux yeux de Togotan ? Et si ça aurait été un véritable Cidanka, tu l'aurais tué lui aussi ?

Les oreilles à présent plaqué sur mon crâne, je sentais mon coeur se mettre à battre de plus en plus vite. Les Cidanka n'avaient-ils d'estime que pour leur Grand Consul qui au final n'en avait rien à faire d'eux ?

- Mais tu es une vraie Cidanka ! Seulement, les ordres sont les ordres. Je ne peux pas me permettre de les discuter…

Il s'était arrêté lorsqu'elle s'était interposée entre leur destination et lui. Ses oreilles s'étaient instinctivement couchées sur son crâne et il avait baissé la nuque. Comme si la petite sauterelle était devenue une imposante mère tigresse à laquelle ont ne pouvait échapper. Le gros lard se ratatina -se retrouvant donc à la hauteur de la femelle au vu de sa carrure-.

- Enfin je crois ?...

Après tout, ce n'était pas sa faute. Il avait mené toute sa vie en tant que maillon de l'indestructible chaîne Cidanka. Et Ksankasan en étant le premier, le leader, le Grand Consul, notre pauvre petit canonnier n'avait d'autre choix que de suivre ses directives les yeux fermés. Même s'il devait faire des choses épouvantables. Même s'il se faisait souffrir lui-même en les faisant.

Togotan se ratatina tel un lionceau qui se faisait gronder devant moi. Mais tu es une vraie Cidanka ! Seulement, les ordres sont les ordres. Je ne peux pas me permettre de les discuter…

Non, je n'étais pas une vraie Cidanka, car moi, je serais incapable de tuer un ami même si l'on me l'ordonnait. Voilà ce qui faisait toute la différence entre Togotan et moi. Enfin je crois ?... Reprit-il tel le plus vulnérable des chatons.

S'en était trop, je repris ma marche sans attendre le molosse, qui allait sûrement me rattraper rapidement vu ma patte blessée. Je restais silencieuse un moment, mouronnant dans mon coin en repensant aux paroles du nounours. Lui qui était si gentil, pourquoi devait-il être corrompu de la sorte, c'était les Khomba les ennemis, pas moi, et pas les autres recrues...

- Je ne tuerais jamais mes amis moi... Avais-je fini par dire, penaude. Même les lions de la forêt ne nous ont pas tués, alors que le Grand Consul n'hésiterait pas à faire tuer quelqu'un qui désobéirait aux ordres. Il était même capable de laisser Godka mourir...

Je lâchais un soupir de fatigue. Cette façon de faire du chef Cidanka ne me plaisait pas du tout. Si, sur certains points, je me sentais devenir une Cidanka, il y'avait beaucoup de choses que je n'aimais pas dans le clan, et le Grand Consul en faisait parti...

Elle avait raison. Mille fois raison, même. C'était certain. Mais on avait sous les yeux la preuve que les lavages de cerveau, qui plus est depuis sa plus tendre enfance, si ce n'est dans le ventre même de sa génitrice, avaient été efficaces. Peut-être même trop. Du moins jusqu'à ce qu'il rencontre Nsiese. Et Impuku -dont il ne connaissait par ailleurs toujours pas le nom-.

À force de faire ce genre de remarques, la lionne sablée réussissait peu à peu à ouvrir les yeux du grand mâle sur son aveuglement peut-être un brin trop excessif. Mais probablement pas assez au goût de la femelle qui ne cessait de lui en vouloir à chaque mot qu'il rétorquait. Le pauvre et naïf Togo… que pouvait-il bien faire ou dire pour se faire pardonner ?

- Je.. commença-t-il, hésitant. Mais il se ravisa dans la foulée. Le moindre de ses dires ne ferait qu'aggraver la situation. Il vallait mieux pour lui qu'il se taise.

Le gros mâle fit alors la seule chose qu'il était capable de faire correctement : user de sa force pour tenter de régler -ou du moins apaiser- la situation.

Il rattrapa Nsiese à pas cadancés et, sans même la prévenir, passa son énorme tête puis sa nuque entre les jambes de la sauterelle. Le corps de la maigrichonne n'eut alors d'autre choix que de se laisser soulever par la masse qui venait de lui passer au dessous. Togotan releva la nuque et fit légèrement bondir Nsiese sur son dos pour qu'elle soit bien ancrée sur lui et il traça en direction de la caserne, sans un bruit.

Du moins jusqu'à ce "Désolé." qu'il lança tristement tout en continuant sa marche.

Je continuais d'avancer, entendant un simple "Je" de la part de Togotan, qui se tut immédiatement après. Tant mieux, je n'avais plus envie d'entendre le nounours parler, tout ce que je voulais c'était rentrer.

J'entendis Togotan me rattraper d'un pas rapide, mais alors que je m'attendais à le voir se positionner à mes côtés, je sentis sa tête passer sous mon corps, et bientôt, je me retrouvais à cheval sur le dos du molosse, poussant un petit cri de surprise alors que celui ci m'aidait à me stabiliser.

La situation était vraiment gênante... Mais en même temps, j'étais bien soulagée de ne plus avoir à clopiner bêtement sur trois pattes. Le silence continua sur plusieurs mètres, avant que Togotan ne sorte un "Désolé" timide.

- C'est pas ta faute... Avais-je simplement répondu, avant de me murer dans un nouveau silence. Ce n'était pas à Togotan que j'en voulais. Comme tous Cidanka, il avait été endoctriné depuis sa plus tendre enfance à suivre les règles, contrairement à moi qui n'étais qu'une recrue obligée de m'adapter du mieux possible. Merci. Avais-je enfin dit à Togotan qui s'était porté volontaire à me porter jusqu'à Cidanka. Rentrons, on a eu assez d'émotions pour la journée.

Je me laissais porter sur le dos du molosse, pour qui je devais être un véritable poids plume. Sans un mot de plus, je réfléchissais à ma place au sein du clan. Chaque jour, je me sentais un peu plus proche de mes amis Cidanka, m'attachant également de plus en plus à Togotan. Mais en même temps, je savais qu'au moindre faux pas, je pouvais être tuée, et rien que de penser à ça, je sentais mon ventre se nouer un peu plus. Tout aurait été si simple, si je ne m'étais pas sacrifiée pour sauver Naifu et Theluji six mois plus tôt...

Le "Merci" lui décrocha un soupire rassuré. Et ce que la femelle ajouta ensuite le conforta dans cette idée ; elle ne lui en voulait pas. Heureusement.

- Tu as raison, rentrons à la maison. lâcha-il doucement.

Il accéléra alors le pas, trottinant désormais. Bientôt, ils arriveraient à la caserne. Togotan redéposerait Nsiese à terre une fois à proximité de leur destination pour éviter de trop alarmer leurs congénères à leur retour.

FIN
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Direction "Étreinte fraternelle".