Cerys avait du mal à progresser dans cette immense "lac" aux nuances vertes et violacées. L'adolescente n'aimait pas beaucoup ne pas voir où elle posait les pattes, et malheureusement, c'était pour le moment le cas. La végétation de la lande était abondante, de fait qu'il était quasiment impossible de distinguer le sol à certains endroits. Priant à chacun de ses pas pour ne pas s'écorcher les coussinets sur le tranchant d'un rocher ou pire encore, Cerys progressait aux côtés de ses deux compagnons du jour la douce Nihahsah et le leader incontesté des Msafaras Mu'awiya.

Après bien des jours d'errance, la caravane avait finalement décidé de prendre un peu de repos sur les terres de Nchi. Un territoire vraisemblablement accueillant, du moins pour l'instant, mais qui restait une énigme complète pour la troupe. S'ils voulaient assurer leur survie et leur sécurité au sein de ce nouveau territoire, les Msafaras devaient s'organiser au plus vite. Grâce aux vaillants explorateurs qui avaient déjà sillonné les alentours, l'eau et la nourriture n'étaient plus un problème. En revanche, il était important pour les nouveaux maîtres des lieux de s'assurer de la sécurité des terres avoisinant la plaine. Tel était le but de l'exploration du jour. Du moins, c'est ce que la jeune Cerys en avait déduit lorsque les deux adultes lui avaient demandé de les suivre. Sentant qu'elle avait là l'occasion de faire ses preuves face à Mu'awiya et de mériter sa place au sein du clan, la jeune lionne avait immédiatement saisi sa chance et suivi les adultes vers les landes.

- On n'y voit rien ..., grommela t-elle à mi-voix en manquant une nouvelle fois de se tordre la patte dans un trou que la brume et la végétation lui avaient dissimulé. Au moins dans les montagnes on voit où on pose les pattes ...

Du mauve dans la brume
Ft. Cerys & Mu'Awiya

T'as menti.

Ouais. C'est, semble-t-il, une chose que ses proches ont souvent fait jusque-là. Mentir.

T'as dit que je n'aurais rien à craindre. T'as menti.

Ouais. C'est ce qu'il lui a promis, son grand-père. Avant d'être avalé par les vapeurs. Sauf qu'il a menti.

« On s'retrouvera » c'est c'que t'as prédit. T'as menti.

Ouais. À moins qu'il l'ait juré en pensant au jour où ils se reverraient dans le monde d'après.

[...]

Elle a un peu de route à faire, Niha, pour en arriver là. Probablement. Ce serait vraiment fâcheux s'ils rendaient l'âme ici, quand même ; ils ne seraient pas bien chanceux si ça devait se produire à ce moment précis.

Ouais, on va dire qu'elle a pas mal de chemin devant elle, Niha. Parce que ce serait con de mourir, surtout si la dernière chose à voir c'est Mu'Awiya ; vous ne pensez pas ? Elle, si. Alors Niha avance. Elle slalome savamment dans la bruyère, les yeux baissés obstinément. Elle ne sait pas si c'est de la prudence de sa part — pour ne pas se vautrer, par exemple — ou si c'est un simple stratagème pour esquiver un regard en particulier.

Courage, fuyons.

C'est d'ailleurs pour fuir que Niha a proposé d'emmener Cerys ; parce qu'il n'y a rien qui la repousse plus que l'idée d'être seule avec lui ; parce qu'il n'y a rien de plus effrayant, aussi, que l'idée qu'il parte seul avec une autre jeune femelle aussi. Ouais. Elle en vie il sera obligé de faire avec le consentement de ses proies.

Elle relève brièvement les yeux pour fusiller le seul mâle de la procession d'une œillade assassine. Elle pose prudemment ses pattes sur les prises qui lui semblent assurées, écrasant au passage le feuillage craquant des buissons. Elle esquive soigneusement ceux qui sont armés de ronces, ce qui l'amène à danser d'un fourré à l'autre. Encore, encore. Finalement, c'est Cerys qui rompt le silence qui s'est installé entre eux. Elle lui balance un sourire, Niha. Sans vraiment y réfléchir.

Elle ralentit un peu, Niha. Elle réfléchit, aussi. Se dit que ce n'est peut-être pas malin de se frayer trois chemins différents. Ouais. Qui surveille les environs pendant qu'ils sont concentrés sur le confort de leurs coussinets ? Personne. Elle se redresse plus franchement pour s'étirer, la nuque raide. Finalement, Niha se décide à répondre en observant l'adolescente.

- Viens. Marche dans mes pas, ce sera moins pénible. Ça nous évitera de nous fatiguer tous les trois. Si tu t'en sens capable, tu pourrais peut-être surveiller nos arrières ? Enfin... Sans vouloir te commander, évidemment.

Elle hausse les épaules pour marquer la fin de sa diatribe, puis reprend sa progression hasardeuse. Elle cherche des billes le moindre signe du pseudo-mâle adulte qui leur sert de leader. Il n'a rien à leur dire ? Pas un ordre à leur donner ? Foutu despote.

Le chef des Msafaras enrageait.

Il avait laissé cette foutue adolescente traîner dans ses pattes alors que cette exploration n'avait qu'un seul but. S'il avait réellement voulu se rendre utile, aujourd'hui, il serait aller en forêt, c'était bien plus rassurant pour le mâle aux membres tigrés. En tout cas, il y avait au moins une chose qui rendait sa colère moins grande, Nihahsah avait peur de lui. C'était une sensation assez agréable, de l'avoir ainsi en son pouvoir, pour qu'il n'explose pas immédiatement.

" Viens. Marche dans mes pas, ce sera moins pénible. Ça nous évitera de nous fatiguer tous les trois. Si tu t'en sens capable, tu pourrais peut-être surveiller nos arrières ? Enfin... Sans vouloir te commander, évidemment. " Elle haussa les épaules sous le regard quasi indifférent du mâle brun. Ce dernier avançait à ses côtés, à un mètre de distance et il ponctuait sa marche pas des regards tout sauf discret sur la lionne à ses côtés. La présence de Cerys l'empêchait d'agir et il devait constamment faire attention à où il mettait les pattes.
Cependant, il sentit qu'il devait jouer son rôle de chef. Aussi, vint-il se placer en tête de groupe, sans demander l'avis des deux femelles. Il se tourna vers elles, leur lançant un regard par dessus son épaule.

" J'ouvre la marche, Cerys, derrière. " Ainsi, elle ne craindrait pas les diverses roches pointues masquées par les buissons bien trop épais. " Surveille ce qu'il y a autours, on se charge de te frayer un passage. " Et il reprit son avancée, sans en dire ni en attendre plus. Il reposa ses yeux orangés sur le sol, agacé par le travail que cela lui demandait, d'avancer dans cette mer de broussailles violette et verte.

" On ignore tout de cet endroit... Peut-être est-il habité. " Même s'il semblait désert, pour le moment.

Cerys continuait à avancer tant bien que mal aux côtés de ses compagnons. L'ambiance était de plus en plus pesante, mais l'adolescente était trop concentrée sur ses pattes pour y prêter grande attention. Une fois encore, elle regrettait de ne pas encore avoir la stature et la musculature d'une adulte. Quelques mois de plus l'auraient sans aucun doute aidé à affronter cette mer végétale avec plus d'aisance. C'est alors que la voix de Nihahsah résonna à ses oreilles.

- Viens. Marche dans mes pas, ce sera moins pénible. Ça nous évitera de nous fatiguer tous les trois. Si tu t'en sens capable, tu pourrais peut-être surveiller nos arrières ? Enfin... Sans vouloir te commander, évidemment.

Cette proposition apparut comme une évidence maintenant que la lionne l'avait formulée à voix haute. Pourquoi n'y avait-elle pas pensé ? Elle ou Mu'awiya d'ailleurs ? Cerys ouvrit la bouche pour formuler quelques paroles de gratitude, quand la voix tonitruante de leader Msafara retentit dans son dos, la coupant dans son élan.

- J'ouvre la marche, Cerys, derrière. Surveille ce qu'il y a autour, on se charge de te frayer un passage.

Les oreilles de l'adolescente se couchèrent malgré elle sur le sommet de sa tête. Autant les paroles de la lionne lui avaient parue bienveillantes, autant celles du leader avaient quant à elles éveillé un sentiment léger d'insurrection. L'idée des deux adultes étaient cependant la même en tout point. Seul le phrasé était différent. Affable et courtois d'un côté, impérieux et autoritaire de l'autre. Cerys ne releva cependant pas. Il aurait été stupide de jouer les têtes brulées en de pareilles circonstances. L'adolescente se contenta donc d'obéir docilement, laissant les deux adultes la dépasser, avant de rejoindre le sillage tracé par la lionne.

- Merci, Niha ... murmura-t-elle à voix basse, cela permettra en plus de dissimuler notre nombre si jamais quelqu'un suit notre piste et ...

Cerys n'eut pas le temps de terminer sa phrase. Un cri strident s'éleva au-dessus d'elle. La petite eut juste le temps de relever la tête pour voir une ombre imposante la survoler. Un frisson lui secoua l'échine tandis qu'elle ouvrait la bouche dans une expression d'inquiétude et de surprise. A mesure que les secondes passaient, Cerys avait la désagréable impression que le rapace tournoyait en un cercle dont elle était le centre.

- Qu'est-ce que c'est ?! Lança-t-elle d'une voix mal assurée à l'adresse de Mu'awiya.

Avant même d'attendre une réponse à sa question, l'adolescente bondissant en avant pour se mettre au même niveau que Niha'. Lorsqu'elle sentit son flan frôler celui de la lionne, Cerys se sentit un peu moins vulnérable face à la menace qui planait au-dessus du groupe d'explorateurs. Voilà qui n'était pas très brave certes, mais il était certain que l'effet de groupe des trois lions réunis pouvait dissuader le rapace de s'approcher trop près d'eux. Il aurait été bien sot de la part de Cerys de rester isolée en retrait des adultes en de pareilles circonstances.

Elle l'observe, Niha. C'est presque une manie, presque une obsession. On dira que c'est sa manière de voir la menace arriver ; on répondra que c'est de la prudence, qu'elle est mère de sûreté. Il faut ce méfier, avec ces animaux-là. Vous les appelez « amis » ou « alliés » la veille, ils vous poignardent le lendemain.
Mais pas à mort, non. Pas à mort, ce serait trop simple. Ils vous laissent plutôt là, dans le sang qui coule doucement, réfléchir à l'erreur ; ils vous donnent le temps de remonter plus loin dans vos souvenirs d'enfance, vous demander si c'est votre faute, si vous auriez pu deviner qu'ils vous trahiraient.

C'est un traître, c'est gravé sur sa face. Mais c'est le chef, aussi. Elle se demande par quel miracle ; le roi, lui, a été assez sage pour ne pas le prendre dans son entourage ; pourquoi les nouveaux Msafara n'ont pas eu la même clairvoyance ? Il balance ses ordres, se retourne, les dédaigne déjà. Merveilleux. Qu'il les oublie, ça leur fera des vacances.

Elle a les yeux fixés sur ses reins un moment, c'est là qu'une idée lui vient : devenir une traîtresse à son tour. Profiter qu'il se pense invulnérable pour se jeter sur son dos, lui laminer un peu plus la chair. Faire de nouvelles cicatrices, le marquer de son empreinte indélébile ; ouais, parce que celle sous son œil ne lui paraît pas être une assez grande peine pour compenser ce qu'il a cassé chez elle.
Ouais. L'idée vient, et Niha regrette presque d'avoir proposé à Cerys de les accompagner. Les témoins sont toujours gênants.

Au final, c'est la même Cerys qui l'arrache à sa soudaine poussée de malveillance. Ses remerciements remontent jusqu'aux oreilles de l'aînée qui se confond en culpabilité. Elle pense à buter le chef — ou en tout cas à en faire un invalide — alors qu'ils sont dans une immonde galère, loin d'avoir retrouvé une mère-patrie.

Puis vient le cri déchirant d'un rapace affamé. Elle lève les yeux vers la brume, Niha. Elle se dit que s'il tourne, c'est qu'il a trouvé une proie ; une proie que les lions peuvent bien lui voler. Ouais, on en est rendu là. La loi du plus fort, et tout ça. Mais l'oiseau ne ressemble à aucun vu jusque-là. Il est tout bonnement énorme, au point de gonfler son cœur d'effroi. Une terreur qui croît encore lorsqu'elle réalise que c'est eux, la proie. Ou du moins Cerys.

Elle lance un regard à la plus jeune, ouvre les lèvres pour lui ordonner de venir là, à ses côtés, où Niha a une chance de pouvoir la protéger. Elle n'en a pas besoin, l'adolescente rompt la distance en quelques bonds sauvages, puis se colle à elle. Elle laisse ses prunelles errer du ciel à la bruyère en se demandant quoi faire, jusqu'à ce qu'une idée bien maigre mûrisse au cœur de ses méninges.

- Glisse-toi en-dessous des plus gros buissons, Cerys. Ça devrait le gêner s'il plonge.

Niha se prend aux mots en se mettant à couvert aussi. Les ronces de certains fourrés lui griffent le dos mais la lionne s'en fout. Entre ça et les serres, le choix est vite fait. Elle cherche leur « leader » des yeux pour connaître la suite des événements. Au final, n'y tenant plus, c'est elle qui pose la question qui lui brûle les lèvres.

- Tu crois qu'on peut l'éliminer ? S'il a les os creux comme les rapaces « normaux » on doit pouvoir lui casser les ailes, non ?

Son cœur bat la chamade. Elle n'a aucune envie de se battre contre la bestiole suspendue là-haut mais le fera si c'est nécessaire.

" Qu'est-ce que c'est ?! " Mu'Awiya redressa la tête à la question de la jeune adolescente. Il leva les yeux vers le ciel et à travers la brume épaisse, il distingua un oiseau. Un immense, imposant, oiseau de proie qui, de part ses tournoiements, indiquait clairement l'objet de sa chasse. Cerys.

Elle sembla en avoir conscience car, aussitôt, elle bondit aux côtés de l'amie d'enfance du grand mâle. Ce dernier poussa un léger grondement, sentant son poil se hérisser sous l'agressivité. Mu'Awiya n'avait pas peur, il ne craignait rien, cependant, il savait rester réaliste. Un oiseau avec une telle envergure et de telles serres pouvait n'être qu'une menace, autant pour lui que pour les deux femelles. Il s'approcha d'elles, tout en y songeant, alors que Nihahsah prenait des initiatives pertinentes.

" Glisse-toi en-dessous des plus gros buissons, Cerys. Ça devrait le gêner s'il plonge. " Et elle s'executa, sous le regard du chef qui lui laissa tout le loisir de s'écorcher dans les ronces diverses. Il s'avança, se glissa prêt d'elles alors que Nihahsah lui souffla ces quelques mots :

" Tu crois qu'on peut l'éliminer ? S'il a les os creux comme les rapaces « normaux » on doit pouvoir lui casser les ailes, non ?
- Cet oiseau n'a rien de normal. " Mais il ne rejetait pas son idée. Au delà de la jouissance que lui procurait le fait de la voir lui adresser la parole, il s'avait qu'ils n'avaient pas beaucoup d'autre option. Cela dit, il décida d'agir de lui-même, à son tour.
Si Cerys n'était pas déjà allongée contre le sol, à l'abris dans les plantes, Mu'Awiya posera sa patte sur son dos pour la forcer à le faire et, sans attendre, il se glissa au dessus d'elle. Son corps était bien plus grand que le sien, plus imposant, l'aigle serait peut-être dissuadé à l'idée d'avoir à l'affronter lui.

" S'il ne fuit pas tout de suite, il nous faudra l'attirer en bas pour que je puisse lui briser les ailes. " Souffla-t-il à son tour, plissant légèrement les yeux. Il souriait, galvanisé par l'idée d'avoir à se battre contre un être aussi redoutable. Mu'Awiya aimait les combats, il adorait se battre, le goût du sang. " Je me charge de lui... Le tombeau de Mu'Awiya n'est pas encore creuser. "

Et sur ses paroles, il gonfla son pelage entier, s'accroupissant légèrement contre le dos de Cerys, il redressa le nez vers l'aigle dans un rugissement féroce, de sorte qu'il se montra assez agressif pour espérer le faire fuir.

Tout se passa ensuite très vite. Après lui avoir conseillé de se cacher parmi les ronces, Niha' plongea littéralement dans la mer végétale. Cerys hésita quelques secondes, ne sachant vraiment si elle devait faire de même. Le rapace était tellement imposant qu'elle doutait que ces buissons et leurs épines - aussi acérées qu'elles pouvaient l'être - suffiraient à l'arrêter. Mais comme aucune autre solution ne s'offrait à elle - la fuite étant rendue impossible par la densité de la végétation - l'adolescente choisit finalement de suivre le conseil de son ainée.

Alors qu'elle s'apprêtait à rejoindre la lionne tapie dans les fourrés, une masse vient soudainement se plaquer sur son dos, l'obligeant à se baisser. Luttant instinctivement contre cette pression dont elle ignorait encore l'origine, Cerys se rendit vite compte qu'elle ne faisait pas le poids et se retrouva plaquée au sol. Un coup d'œil par-dessus son épaule l'avisa qu'il ne s'agissait là que de Mu'. Les yeux du leader brillaient d'une lueur carnassière. Cerys sentait ses muscles puissants se contracter contre son dos et entendait un grondement féroce émaner de sa gorge. Enfin, le mâle laissa échapper un rugissement de rage qui glaça la petite d'effroi. Cerys se demanda soudain lequel de Mu' ou du rapace l'effrayait le plus.

Une question qu'elle n'eut cependant pas l'occasion de se poser bien longtemps, car une soudaine pression vient lui arracher un cri de panique, plus que de douleur. Ses yeux se rivèrent alors sur sa patte avant droite autour de laquelle un serpent venait de s'enrouler. La peur que le rapace lui avait causée et l'intervention soudaine de Mu'Awiya lui avait fait perdre la notion de tout autre chose.

Cerys sentait la pression autour de sa patte se resserrer à mesure que le serpent raffermissait sa prise. Elle tenta en vain de se redresser et de se débattre pour se débarrasser du reptile, mais le poids de l'adulte toujours poster au-dessus d'elle l'empêchait de bouger. Sentant la panique monter encore d'un cran, Cerrys referma ses crocs sur les anneaux couverts d'écailles. Elle ignorait quelle partie du corps du reptile s'était ainsi retrouvée lacérée par ses crocs. La tête ? La queue ? Qu'importe, pour l'instant la petite lionne n'avait qu'une idée à l'esprit, tirer de toutes ses forces pour tenter de desserrer les anneaux du reptile et libérer sa patte avant qu'il ne soit trop tard.

- Cet oiseau n'a rien de normal.

Si, dans l'idée, Niha peut comprendre, elle n'en lève pas moins les yeux au ciel. Elle n'a pas besoin qu'il lui fasse remarquer la démesure de l'animal, elle l'a vu ! Un soupir excédé s'échappe de ses lèvres serrées, puis la lionne se reprend. Elle chasse sa mauvaise humeur en se concentrant sur Cerys ; mais, malheureusement, Cerys devient une nouvelle source de mécontentement. Pas sciemment, hein. Non, c'est plutôt le comportement « inapproprié » de Mu'Awiya à son égard qui la fout sur les dents.

Mais c'est ça, vas-y Mu ! Personne ne dira rien ! Pourquoi tu lui collerais pas tes couilles sur le front aussi ? Tant qu'on y est !

Elle retient ses râles, ses grondements. Elle les sent qui enflent dans le fond de sa gorge. Ils caressent ses cordes vocales, chatouillent ses papilles. Elle veut les laisser sortir ; elle a envie de lire la peur dans ses yeux — au moins une fois dans sa vie. Finalement, la lionne se raisonne. Elle lance une œillade à l'oiseau de proie qui disparaît. Merveilleux. Ils vont pouvoir se tirer de là. Surtout, Mu'Awiya va pouvoir descendre de sa monture encore pubère.

Mais il y a ce hurlement de peur. Il lui déchire le cœur. Sans réfléchir, Niha rampe vers la môme. Elle baisse les yeux vers le membre secoué, sent son ventre se retourner. Un serpent. Son cœur est aux abois dans sa prison d'os ; elle a du mal à savoir quoi faire. Elle essaie de se souvenir des rares conseils glanés auprès de sa grand-mère concernant les reptiles ; elle se souvient seulement qu'on lui a recommandé de ne pas aller près des nids. Nid ? Elle cherche quelque chose qui y ressemble, comprend que Cerys l'écrase. Son cœur rate un battement. Ils doivent sortir des fourrés.

- Non, non. Ne le mords pas. Laisse-le !

Ils n'ont qu'à sortir. Elle est presque sûre qu'il lâchera prise dès qu'ils auront quitté le petit espace habité par le serpent. Il n'aura plus aucune raison de les attaquer puisqu'il n'aura plus rien à défendre ; mais personne ne se soucie de ce qu'elle a à dire. Cerys mord la première, rapidement aidée par Mu'Awiya qui a enfin calculé qu'il y a un problème. Un autre problème. Encore un problème.

Ils n'ont que ça, des problèmes !

Mu'Awiya sort vainqueur du combat, ce qui pousse Niha à l'oublier pour se consacrer à Cerys. Elle se rapproche doucement, soulève le membre malmené avec mille précautions, puis l'observe. Du moins, essaie. L'odeur de la chose qui coule sur la fourrure de la femelle lui colle la nausée.

- Seigneur... C'est immonde. Je suis désolée, ma puce. Pas question que je lèche ça. Mu'Awiya ? À toi l'honneur.

Elle ricane, Niha. Il n'y a aucune chance pour qu'il le fasse. C'est une diva. Une diva psychopathe mais une diva quand même. Après quelques manipulations simples, la chasseresse peut conclure que la patte n'est pas endommagée. Cela dit, le pire peut encore arriver ; à savoir que le serpent était peut-être venimeux — en plus, grâce à leur leader bouffeur de crâne, ils ne peuvent pas s'en assurer —, mais il y a encore un risque que la blessure s'infecte. Les serpents traînent des millions de bactéries dans leurs bouches.

Elle se penche ensuite sur la dépouille de l'animal sauvagement assassiné. Il est recouvert du même liquide épais qui souille le poil doré de la jeune recrue Msafara.

- Ce n'est pas du venin, il y en a trop. Ou alors les serpents d'ici ne sont pas normaux non plus.

Elle fronce les sourcils, puis décide de sortir des fourrés en veillant à jeter un coup d'œil au-dessus d'elle. Pas d'oiseau de proie en vue ? Joie, bonheur.

- Qu'est-ce qu'on fait ? On rentre pour nettoyer sa blessure ou on poursuit en espérant qu'on finisse par croiser un cours d'eau ?

Ses yeux questionnent le leader. Encore. Dieu sait que ça lui fait mal, d'ailleurs, de dépendre à ce point de son avis ; mais c'est comme ça. Dieu peut savoir ce qu'il veut, Mu'Awiya n'en est pas moins le chef. Chef en carton mais chef quand même.

Le cœur de Cerys battait à tout rompre dans sa poitrine. La respiration haletante, elle laissa son regard courir le long de sa patte avant. Elle était intacte. Du moins, elle en avait tout l'air, et il ne faisait nul doute que ses muscles engourdis retrouveraient leur tonus sous peu.

- Seigneur... C'est immonde. Je suis désolée, ma puce. Pas question que je lèche ça. Mu'Awiya ? À toi l'honneur.

- Merci, ... ce, ... ce n'est pas nécessaire, souffla Cerys d'une voix encore un peu secouée, mais soulagée. Qu'est-ce que c'est que cette chose ? Demanda-t-elle en examinant d'un peu plus près la trainée brunâtre que le serpent avait laissé sur sa fourrure. Ce n'est pas du sang, et d'odeur est horriblement forte pour n'être que de la bile ...

- Qu'est-ce qu'on fait ? On rentre pour nettoyer sa blessure ou on poursuit en espérant qu'on finisse par croiser un cours d'eau ?

L'adolescente promena son regard sur Niha', puis sur Mu'awayia. Elle n'avait pas remarqué que le mâle avait été mordu en tendant de lui venir en aide et ne voulait surtout pas être à l'origine de leur retour prématuré dans les plaines. Si tel était le cas, elle risquait de ne plus jamais être conviée à participer aux explorations. Or, si elle voulait avoir une chance de se faire une place au sein des Msafaras, elle ne pouvait pas se permettre de rester en arrière.

Bombant le torse et relevant fièrement la tête elle déclara d'une voix assurée : Je vais bien. Ma patte n'a rien. Nous pouvons continuer à avancer.

" Qu'est-ce qu'on fait ? On rentre pour nettoyer sa blessure ou on poursuit en espérant qu'on finisse par croiser un cours d'eau ? " Une voix résonna dans sa tête sans qu'il puisse réellement détaché son regard du vide. C'était celle de Nihahsah et il avait identifier qu'il s'agissait d'une question. Malheureusement, il était trop concentré sur sa bêtise.
Sa langue le brûlait. Il avait sentit, au dernier moment, les crocs du reptile s'enfoncer dans ce muscle qu'il aimait tant agiter. Il ne savait si la douleur était réelle ou s'il s'agissait seulement de la panique. Il ne savait si le serpent était réellement venimeux, ça non plus. La gueule entrouverte, il prit une grande inspiration.

Le tombeau de Mu'Awiya n'est pas encore creuser, mais je m'applique à le faire... Songea-t-il, frustré, enragé. Un imbécile ! Il n'était qu'un imbécile. Plissant légèrement les yeux, il revint peu à peu à lui. Si le venin allait le tuer, les deux lionnes ne pourraient rien faire et s'il ne le tuait pas et bien, il n'avait aucune raison de leur dire. Alors, il se tut. Une décision d'orgueil, idiote, certainement, mais il ne voulait pas avouer sa vulnérabilité.
Il posa son regard sur Cerys, attendant d'avoir son avis sur la question posée par son amie d'enfance et celle-ci ne tarda guère :

" Je vais bien. Ma patte n'a rien. Nous pouvons continuer à avancer.
- De toute façon, ce n'est pas dans notre point d'eau poussiéreux et sale que nous t'éviterons l'infection. " Gronda le mâle de sa voix grave. Il se tourna vers Nihahsah, dressant ses minuscules oreilles sur sa tête, puis il se remit en tête de la petite procession. Il glissa sa langue sur son palais, comme s'il cherchait à se débarrasser d'une chose qui lui collait aux dents, s'acharnant sur sa muqueuse empoisonnée. Puis, en y pensant, il ne pouvait même pas nettoyer la plaie de Cerys, il risquerait de la contaminé également.

" Peut-être... Peut-être que l'on a percé l'intestin. " Dit-il alors. Cela sonnait hors sujet, seulement, lui aussi avait senti l'odeur que dégageait le coulis brunâtre du serpent. Il redressa la tête, interrogeant ses camarades sur la question et puis, il reprit la marche, reposant les yeux sur le sol, tout en essayant de penser à autre chose qu'à sa mort qui lui semblait de plus en plus proche.

Malgré toutes ces émotions, la petite troupe décida de pousser un peu plus loin son exploration de la lande. Gardant leurs places respectives, Mu'Awiya prit la tête du cortège, suivit par Nihahsah et enfin de Cerys qui fermait la marche. La petite boitillait légèrement. Même si sa patte était intacte, ses muscles étaient encore endoloris. Elle constata néanmoins que la marche lui faisait du bien. Le temps de faire quelques centaines de mètres et l'adolescente marchait de nouveau d'un pas assuré.

Prenant la mission qui lui avait été assignée très à cœur, Cerys se concentrait sur la surveillance des alentours. Les oreilles fièrement dressées et les yeux scrutant l'horizon, elle mettait tout en ouvre pour tenter de repérer les indices trahissant la présence d'une quelconque créature ou bien de toute autre chose susceptible d'intéresser le groupe.

Ses yeux balayaient la lande. La brume était toujours là, dessinant de petites volutes de fumée qui s'accrochaient à la bruyère. Cerys se demandait quelle pouvait bien être son origine ? Il devait forcement y avoir de l'eau par ici, sinon il n'y aurait pas tant de brume sur ces terres ...

- Il est étrange de ne pas rencontrer plus de points d'eau sur un territoire aussi brumeux. Vous ne trouvez pas ?

Cerys était persuadée que la marre boueuse que les Msafaras avaient trouvée à leur arrivée dur Nchi n'était sans doute pas le seul point d'eau du territoire. Après cette eau était-elle potable ? Cela était une autre histoire.

" Il est étrange de ne pas rencontrer plus de points d'eau sur un territoire aussi brumeux. Vous ne trouvez pas ? " Mu'Awiya avait reprit la tête de la petite équipe, écrasant les branches et écartant les ronces gênantes pour permettre à ses deux camarades une progression plus aisée. Il dressa les oreilles en entendant la jeune lionne dorée et hocha la tête. Il dressa la tête vers l'horizon, sondant la brume, elle lui rappelait bien des mauvais souvenirs, l'odeur du souffre en moins.

" D'autant plus qu'aucun de ces végétaux ne regorgent d'eau... " Ils ne pouvaient donc pas être la cause de ce brouillard. Le mâle reposa les yeux sur son chemin, préférant éviter d'y laisser ses pattes par inattention. " Le vent a dû pousser cette brume jusqu'à nous. " Ajouta-t-il, distrait. Il sentait, dans sa gueule, sa langue gonfler et il la glissait contre ses dents avec un agacement certain. Qu'en avait-il à faire de cette foutue brume ?! Il se persuadait que lui, Mu'Awiya, n'allait pas succomber de la morsure d'un serpent, pas après tout ça... Mais il n'était pas non plus stupide.

" Il ne doit pas non plus y avoir beaucoup de gros gibiers, ici, sinon je n'aurais pas à vous frayer un passage. " Souleva-t-il. " Le volatile de tout à l'heure doit chercher sa pitance ailleurs, habituellement. "

- Je vais bien. Ma patte n'a rien. Nous pouvons continuer à avancer.
- De toute façon, ce n'est pas dans notre point d'eau poussiéreux et sale que nous t'éviterons l'infection.

Si le regard adressé à Cerys est doux, celui réservé à Mu'Awiya pue la rancune à un kilomètre à la ronde. Elle lâche un grognement sourd pour « approuver » — ou se résigner, du moins — à reprendre la progression dans la bruyère. Elle sait que ses paroles ne sont pas dénuées de sens, bien sûr, mais le fait qu'elles viennent de lui leur ôtent tout crédit. Ouais. Qu'est-ce qu'il en sait, lui, après tout ? Il a des connaissances en médecine ?

Elle le maudit en silence alors qu'ils recommencent à avancer. Les ronces lui mordillent les chevilles sans parvenir à la blesser ; une chance que son « ami d'enfance » soit une espèce d'éléphant, les filles pourraient même marcher côte à côte dans son ombre ! (Bon, d'accord, sans doute pas mais la mesquinerie de ses propres pensées a au moins le mérite de la consoler un peu.) ; quoi qu'il en soit, Nihahsah dresse l'oreille. Elle s'immobilise régulièrement — en prenant soin de regarder à ses pattes au préalable, ne sait-on jamais si un autre serpent a élu domicile dans le coin — pour humer la brume, identifier les murmures des résidents cachés. Elle cherche des réponses ou un signe, même mince, qu'ils sont sur la bonne voie.

En réalité, la jeune femelle est en quête du hululement de l'eau. Trouver un nouveau point d'eau est leur priorité absolue ; surtout que, qui dit eau en abondance dit proie en conséquence. Les observations de Cerys la font douter. Elle lance une œillade surprise à sa congénère, puis lève les yeux vers le ciel encombré. C'est vrai que c'est bizarre. Cela étant, avoir une brume en permanence n'a rien de commun. Elle devrait se lever tôt ou tard. Or, comme ce n'est pas le cas, il y a fort à parier que le phénomène soit alimenté par quelque chose qu'ils n'ont jamais vu jusque-là.

- Tu as raison, Mu. (Elle utilise le surnom de leur enfance sans même s'en rendre compte.) Les oiseaux de proie préfèrent les environnements dégagés, d'habitude, pour chasser. Il nous a peut-être suivi de là-haut ?

« Là-haut », leur maison provisoire. Le terrain paraît plus propice à la vie de si grands prédateurs. Elle soupire, chasse ces idées qui — pour le moment — ne sont pas d'une aide significative. Néanmoins, une autre théorie s'implante dans son crâne, comme une espèce d'écho. Et si le liquide poisseux échappé du corps du serpent était une simple « adaptation » pour dissuader les prédateurs de se nourrir sur ses restes ? À terme, la plupart des chasseurs avertis cesseraient de s'occuper de lui, et le reptile pourrait vivre une vie tranquille. À voir si d'autres membres du groupe ont déjà vu des choses similaires dans leurs patries respectives.

- On devrait se concentrer sur la recherche d'un point d'eau. Les proies ont besoin de boire aussi, après tout. Il nous suffirait de remonter les pistes laissées par les animaux qui s'y sont attardés pour, peut-être, mettre la patte sur des terres fertiles. Non ?

De toute façon, Nihahsah voit mal ce qu'ils peuvent chercher d'autre. Que ce soit un nid douillet pour Msafara ou des proies, tout semble être lié à l'eau potable. Autant mettre les bœufs avant la charrue.