Il s'est passé bien des choses au Repos lors de l'absence d'Ienzo, Jiwa et Thulrur... Mais qu'en savent-ils ?

Rien, absolument rien. Et pour cause : ils viennent tout juste de revenir, sans rien savoir de la découverte de la Lande (où sont justement repartis Mu'Awiya, Cerys, Kosa et Nguvu), de son point d'eau et des décisions du leader Msafara. Eux-mêmes n'ont pas chômé et peut-être ont-ils, à leur tour, des nouvelles à annoncer aux nomades présents...

C'est au tour d'Ienzo, Jiwa et Thulrur de revenir au Repos après leur exploration dans la Forêt !

Ce Rp se déroule après "En quête d'eau" & "Les murmures du ruisseau" et en même temps que "Le calme...". Le groupe vient tout juste de revenir au Repos après son exploration.

Même système que pour les minévents précédents : c'est un Rp groupé sans ordre de passage défini. Comme pour avant, ce Rp sera susceptible d'avoir un grand impact sur la suite des événements, selon ce que vos personnages décideront~

Nous invitons donc très fortement tout le monde à y participer ! A savoir que Mu'Awiya, Cerys, Kosa et Nguvu ne sont pas présents au retour du groupe et ne peuvent donc pas participer. Thulrur, Ienzo, Jiwa, Theluji, Naifu, Nihahsah, Muuji (et ses parents) sont par contre bien là, comme tout le reste des PNJ Msafara, et c'est le moment pour eux de faire entendre leur voix ! Si vous vous sentez bloqués, le Destin interviendra pour vous éviter de tourner en rond - mais comme vous vous êtes très bien débrouillés seuls pour le précédent Rp, nous vous laisserons en roue libre si tout va bien !

Thulrur ne voulait pas se l'avouer, mais il était impatient de retrouver l'illusoire sécurité du Repos et du groupe. S'il avait adoré travailler avec Ienzo et Jiwa, il avait d'autant plus hâte de montrer aux autres à quel point ils formaient une bonne équipe et, le paquetage de feuilles couvertes de pâte entre les crocs, il trottait d'un pas pressé vers la plaine qui accueillait les Msafara.

Le trio arriva relativement vite, sans autre péripétie sur le chemin pour les retarder - et pour cause, il n'y avait rien entre la Forêt et le Repos qu'une vaste étendue d'herbe et de brume vide et sans un caillou pour rompre la monotonie du paysage. En apercevant les premiers membres du groupe, Thulrur ralentit son allure pour déposer délicatement le paquetage dans un coin d'herbe assez haute pour le dissimuler aux yeux des lions éloignés. Il coula un regard significatif à Ienzo et Jiwa, le visage soudain fermé, comme si sa joie de revenir s'était envolée maintenant qu'il était là.
Et il n'était pas très difficile de supposer pourquoi.

Il tourna le regard vers les membres réunis, cherchant instinctivement la position de l'ennemi. Mais il ne le trouva pas. Bah, peut-être était-il parti chasser ? Satisfait, quoique toujours méfiant, Thulrur s'avança un peu vers l'assemblée disparate pour essayer de trouver Theluji. Ah, il était là ! Son pelage blanchâtre avait bien de la peine à se camoufler dans la grisaille environnante...

- Theluji ! lui fit-il dans une espèce de cri-murmure. Viens voir !!

Theluji était à peine rentré de la plaine des lièvres qu'il avait du se séparer de la petite Cerys qui était partie rejoindre Mu'Awiya. S'il l'appréciait elle, c'était en revanche bien moins le cas de son leader qu'elle semblait porter en haute estime pour une raison qui échappait à l'adolescent. Quoiqu'il en fut, il se dit qu'il devrait être prudent à l'avenir quand il lui parlerait. Non pas qu'il se méfia d'elle, mais bien plus de ce qu'elle pourrait dire ou déformer sans le vouloir auprès du lion tigré. Après tout, il n'avait aucune idée d'à quel point leur lien était poussé ou non. Mieux valait ne pas se vendre tout seul donc.
Revenant là où se trouvait les autres lions du clan, le jeune se trouva un petit coin un peu à l'écart et il se roula en boule pour s'endormir. Somnolant à demi, il fut tiré de son léger sommeil par une voix qui l'appelait. Relevant la tête après s'être frotté les yeux, il reconnu Thulrur qui lui faisait signe de venir.
Heureux de revoir la crinière en pétard du mâle, le jeune voyageur se dirigea en trottinant joyeusement vers lui alors qu'une foule de questions lui venait en tête: avait-il trouvé de l'eau ? Un endroit viable ? Éventuellement le bâton dont il lui avait parlé ?
Arrivant sans peine prêt du bun, Theuji lui adressa un sourire joyeux.

- Oui ? Vous avez réussit à trouver des choses intéressantes ?

Puis, sur le ton de la confidence, de façon à ce que seul son interlocuteur puisse l'entendre, il rajouta en un soupire de soulagement.

- Je suis content que vous soyez revenu... Votre leader est complétement taré ; il a tenté de m'entrainer dans un duel !

Il avait bien remarqué la veille l'animosité silencieuse qu'alimentait Mu'Awiya envers Thulrur et inversement : autant en profiter ! C'était pourquoi il se permettait de parler de l'incident du matin. Il était préférable pour lui de se ranger du côté du grand brun pour assurer sa sécurité. Son instinct lui laissait entendre qu'il avait bien plus de chances de survie avec lui qu'avec l'autre malade. Et puis, si le fait de lui raconter ce qu'il s'était passé pouvait jouer en sa faveur pour faire bouger le reste des lions vers un endroit plus viable, alors il ne se priverait pas pour tenter sa chance !

Sur le chemin du retour, Ienzo n'avait pas soufflé le moindre mot, se contentant de suivre l'allure pressée de Thulrur, glissant parfois une oeillade à Jiwa pour s'assurer qu'elle était encore prêt d'eux. Toujours songeur à propos de leur rencontre avec les forestiers, il ressassait toutes les questions qu'il n'avait pas eu l'occasion de poser au titan à cornes. Nul doute qu'il avait l'envie de retourner dans les bois à la poursuite de ses mystères, mais pour le moment, ils avaient un blessé à soigner.

Avec le remède bien gardé par le montagnard, ils arrivèrent dans la grande plaine et après un regard entendu, le caverneux s'assit dans les grandes herbes, non loin de celles où était caché leur paquetage. Même s'il n'était pas certain qu'on ait encore remarqué leur présence, mieux valait prévenir plutôt que guérir. En parlant de guérison, d'ailleurs, Thulrur n'avait pas attendu pour interpeller le plus discrètement possible Theluji. Malgré son air groggy, ce dernier s'était approché d'un trot joyeux, un détail qui fit naître l'ombre d'un sourire sur les babines d'Ienzo. Leur exploration n'aura pas été vaine ; à défaut de revenir avec d'autres informations sur le pays de Nchi, ils avaient ramené un essentiel pour un adolescent mal en point. Du moins, il l'espérait...

Ni trop loin, ni trop près, l'oreille du caverneux avait capturé un semblant de chuchotement, mais rien qui soit compréhensible ; curieux, mais pas indiscret, il resta à sa place et glissa simplement un regard à Jiwa, se demandant le pourquoi de telles confidences.

Son cœur cogne. Un « boum-boum » furieux qui susurre quelques injures à ses voisins : à savoir, ses poumons, son foie ou son estomac. Ce dernier est noué. Ses intestins lui font mal. Le bide creux, les lèvres serrées, Nihahsah observe le camp plongé dans un calme qui ne l’atteint pas. Non. Il a été trop loin. Ce crétin. Ce vilain. Il a osé les croire amis. Eux ? Jamais.

Aussi, c’est avec un soulagement évident que Nihahsah a vécu le départ de la nouvelle expédition. Libérée de son monstrueux ancien ami d’enfance, la jeune lionne s’est accordée un moment pour reprendre ses esprits. Elle a eu besoin de se calmer. En fait, même plusieurs heures après, son sang n’a pas encore fini de bouillir. Elle en veut au sale morveux qui a eu l’audace d’ouvrir sa bouche alors qu’il a littéralement abandonné une camarade, Nsiese, à son sort. Lui, un petit lâche castré, veut lui donner une leçon ? Qu’il finisse déjà de s’élever !
Elle fulmine. Son corps n’en cache rien. Sa queue fouette continuellement l’air avec rage, ses lèvres sont coincées dans une moue contrariée. Ses yeux brillent d’une lumière sévère.

Finalement, c’est l’agitation qui attire son attention. Nihahsah se lève à contre-cœur, priant intérieurement pour que l’expédition partie plus tôt revienne avec une « mauvaise » nouvelle ; du genre, « oh, mince, Mu’Awiya a glissé sur une flaque et s’est noyé ! ». Un rire nasal lui échappe alors que la lionne se rapproche des visages familiers. Thulrur, Jiwa et Ienzo sont de retour. Elle leur adresse un signe de tête. Au moins, le principal opposant à Mu’Awiya est à nouveau parmi eux. Nul doute que le mâle va déchanter à la seconde où les décisions arbitraires du crétin vont lui arriver aux oreilles. Elle avale les derniers mètres pour rejoindre le groupe, un air soucieux collé à sa gueule d’ange. Elle s'autorise à décocher un petit sourire à Theluji. Elle n'a pas manqué d'apprécier son aplomb lors du rassemblement. Il a fait preuve d'un grand courage face à l'oppresseur.

- Bon retour ! Vous n’avez rien ? Pas de blessures ?

Elle se mord la lèvre inférieure en réalisant que son comportement — sauter pratiquement au cou des explorateurs — ressemble plutôt à celui d’une enfant. Elle se reprend, un peu gênée, puis s’assied calmement en attendant le dénouement de leur expédition.

Ienzo gardait subtilement le précieux cadeau; un geste qui rassura Thulrur. Un instant, il avait craint que son allié préfère annoncer ouvertement leur retour et s'attirer l'attention de tout le monde. Mais non; Ienzo était comme lui - discret et précautionneux dans ses actes.

Theluji était vite arrivé, d'un pas guilleret qui rassura Thulrur sur son état : s'il était capable de tant d'entrain, c'était qu'il allait bien ! Sans doute la salve des forestiers lui suffirait-elle à guérir toutes ses blessures - du moins, s'ils ne leur avaient pas menti... Mais la petite confidence de l'adolescent frappa le montagnard de plein fouet. Mu'Awiya ? Taré ? Ce n'était rien de nouveau ! Mais chercher à l'attaquer... Même Thulrur en fut étonné : il avait beau avoir de très mauvais à-priori sur Mu' et le soupçonner être une menace pour les plus jeunes (surtout les femelles, au vu de son comportement suspect envers Nsiese), il ne pensait pas que Mu' puisse avoir été assez bête pour s'en prendre ouvertement à un jeune, blessé, qui plus est.

- ... Quoi ? fut tout ce qu'il réussit à sortir, le temps que son cerveau traite l'information. Que s'était-il passé ?!
Mais il n'eut pas le temps de se renseigner plus que ça, car Nihahsah arrivait justement, suivie de près par le jeune Naifu. L'entrain apparent de la femelle lui fit chaud au cœur, et Thulrur se fendit d'un mince sourire à son égard.
- Nous n'avons rien, la rassura-t-il sobrement. L'étrange sollicitude de Naifu le surprit légèrement - car c'est ainsi qu'il prit l'information donnée; comme une aimable sollicitude d'un membre de clan à un autre. Peut-être l'adolescent essayait-il de nouer des liens, finalement ? Lui qui avait perdu sa seule amie dans des circonstances tragiques... Thulrur pouvait comprendre qu'il soit parfois insolent et revêche, comme à l'arrivée de Theluji. Ce n'était lui aussi qu'un gamin, après tout.
Ou peut-être Thulrur sous-estimait-il l'esprit éveillé du jeunot. En tout cas, il ne sut pas vraiment qui étaient les autres dont Naifu parlait - il ne connaissait même pas assez bien la quinzaine de Msafara pour en déduire l'identité des absents. Mais si Naifu les avait mentionnés, c'était sans doute que le chef en faisait partie.
- Merci, se contenta Thulrur avec un petit signe de tête.

Puis, il se tourna vers Ienzo.
- Viens... fit-il doucement à Theluji en l'invitant à faire avec lui les quelques pas qui les séparaient du précieux paquetage caché. D'un geste de la queue, il invita Nihahsah -et Naifu, tant qu'à faire- à s'approcher eux aussi.

Il pencha le museau vers l'onguent, puis se tourna vers Ienzo. Il savait que son allié s'était lui aussi soucié du sort de Theluji - en fait, ils avaient fait partie des très rares à le faire. Peut-être Ienzo pourrait-il lui présenter la salve et lui donner les conseils du dieu de la forêt ?
Lui, il fallait absolument qu'il parle à Nihahsah. Laissant donc le blessé au caverneux, il se tourna vers la lionne Msafara et lui fit à voix basse - assez fort pour que le petit groupe l'entende, mais pas assez pour que quelqu'un d'éloigné ait vent de ses propos.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Ses sourcils étaient froncés; sa voix tremblait d'une rage contenue. Si sa colère n'était pas explosive, elle restait très évidente. S'était-il passé quelque chose ? D'où venait ce que Theluji lui avait confié ? Il ne remettait pas en doute l'honnêteté de l'adolescent, mais il supposait que Nihahsah, avec le recul d'une adulte, pourrait mieux lui expliquer - était-ce un malentendu ? Il posa également les yeux sur Naifu, signe que la question ne s'adressait pas exclusivement à la femelle. Si Naifu avait quelque chose à dire, Thulrur n'était pas fermé à sa parole.

Les oreilles d'Ienzo se redressèrent à l'arrivée de Nihahsah, pleine d'enthousiasme, ainsi que celle plus timide de Naifu qui les informa d'un autre départ. Les autres ? Aussitôt, il porta son regard vers le reste du clan, cherchant à reconnaître les absents et quelle surprise, Mu'Awiya s'était enfin bougé le derrière ! Mais rapidement, il nota également que Cerys ne figurait pas dans l'assemblée et brusquement, un poids lui descendit sur l'estomac. Lui non plus n'avait pas manqué de remarquer la malsaine proximité entre le tigré et la sablée disparue, alors imaginer qu'une autre adolescente s'était potentiellement retrouvé à sa place...
Faites que non.

Cachant son malaise, Ienzo reporta son attention sur Thulrur qui s'était retourné dans leur direction, s'approchant du remède toujours caché dans les herbes. Accrochant son regard à nouveau, il hocha vivement la tête pour lui indiquer qu'il acceptait la tâche avec plaisir, se remettant debout afin de s'approcher de Theluji et s'asseoir à ses côtés, révélant alors le contenu des grandes feuilles. Il commença d'une voix douce, presque chuchotante pour ne pas déranger l'échange non loin. Nous avons rencontré de l'aide sur le chemin. De l'aide, oui. Il ne voulait pas croire à un piège, mais sa prudence le força tout de même à rajouter. Je ne suis pas soigneur, mais... L'odeur m'est familière. Il laissa le temps au blessé d'inspecter la substance si par chance, il était plus connaisseur en plantes. Ils nous ont conseillé qu'une fois appliqué sur les plaies, de laisser sécher et de surtout ne pas gratter. Ça s'écaillera tout seul. Avait-il complété, reprenant mot pour mot les conseils des forestiers.

Sans doute qu'il aurait assisté Theluji dans l’applicage du remède si le tremblement dans la voix de Thulrur ne l'avait pas interpellé. Les sourcils froncés d'appréhension, il tourna lentement la tête dans la direction du petit groupe, laissant son regard bondir d'un individu à l'autre. Rien ne lui paraissait anormal, à quoi pouvait-il faire allusion ? Mais quoi qu'il en était, le caverneux n'aimait définitivement pas sentir une telle colère... Surtout lorsqu'elle provenait du montagnard, à vrai dire.

Theluji observa Niahasa et Naifu arriver à leurs tours. Il s'effaça d'ailleurs légérement par politesse face à la lionne, la laissant accueillir les revenants. Quand au rouquin, il ne fit pas franchement attention à lui ; ses pensées étaient toutes tournées vers les découvertes potentielles que pouvaient avoir fait le trio plus que vers l'adolescent.
Sous l'injonction du mâle brun, le jeune clair le suivit docilement, gardant sa patte contre lui. Le voyant enfouir son visage entre les herbes, le curieux se rapprocha pour apercevoir une sorte de paquet de feuilles qui fit bondir son cœur de joie. S'il avait pu, il aurait sauter en tous sens d'euphorie mais il se contenta de peindre sur son visage un large sourire enfantin, coulant à Ienzo un regard interrogateur. Le caverneux se mit alors à lui expliquer comment ils avaient trouvés le mélange d'herbes et comment l'utiliser. Le jeune huma légèrement le dit mélange verdâtre mais ça ne lui disait rien ; il ne sentait que les effluves fleuries de la préparation. Bah, il n'était pas l'heure des questions. Un baume s'offrait à lui, autant l'utiliser ! S'asseyant après avoir bien écouté les recommandations d'Ienzo, le jeune lui porta un regard lourd de reconnaissance.

- Merci beaucoup. Je vous revaudrait ça.

Il ne savait pas encore comment, mais il était clair pour lui qu'un jour, il rendrait la pareille à ce trio qui l'avait aider et potentiellement même, sauvé. Prenant de sa patte valide le mélange, il se mit à l'appliquer soigneusement sur sa patte et sur les endroits de sa croupe les plus touchés. Le contact était gluant et collait aux poils mais si c'était le prix à payer pour se soigner alors il l'endurerait sans broncher.
Après avoir finit de se tartiner de l'onguent, son attention fut capté par les trois autres lions discutant et la voix furieuse de Thulrur. Theluji aurait pu prendre la parole, expliquer ce qu'il s'était passé mais il n'en fit rien. Après tout, c'était à Nihahsah et Naifu qu'il s'était adressé et non pas à lui. Il resta donc prêt du lion à la petite crinière, écoutant attentivement le déroulement des choses.

Elle observe le môme roux qui sort de son ombre, Nihahsah. Elle se méfie de lui, de ses lubies, de ses espèces de manies. Il a comme un masque collé sur la peau ; une innocence qui n'a jamais sonné aussi faux. Du moins, c'est là son ressenti. Elle se replie, mais se retient de se décaler. Ce serait montrer une faiblesse ; or, Nihahsah n'est pas de ces personnes-là. Elle n'a jamais plié l'échine. Encore moins devant un enfant. Cela dit, il semble beaucoup moins fier sans son « cher » roi dans les environs. Il ne lui en faut pas plus pour l'écarter de ses pensées, puis se reconcentrer sur les revenants.

Si Nihahsah n'ose pas les scruter plus que de raison pour s'assurer qu'ils n'ont pas été abîmés par le voyage, la lionne s'accorde des œillades plus ou moins discrètes pour se faire une idée de l'ensemble. Elle ne remarque rien de spécial, pas de vilaines plaies. Elle lâche le souffle retenu jusque-là lorsque Thulrur répond. Au moins, les expéditions menées dernièrement n'ont pas une issue aussi malheureuse que la première à Nchi. Ses yeux errent spontanément vers la brume environnante. Nsiese n'est toujours pas revenue. Mu'Awiya n'a pas manqué de le lui rappeler, d'ailleurs ; comme si son absence ne pesait pas déjà suffisamment sur le groupe.

Elle revient à Thulrur, Nihahsah. Elle se glisse dans son ombre, un peu curieuse. Son cœur bat fort. Elle se penche pour observer l'amas de feuilles, un sourcil haussé dans une question muette. Une odeur douceâtre s'échappe du paquet. Elle est sur le point d'interroger ses congénères concernant les propriétés de la pâte lorsque le mâle à la crinière en forme de flamme la hèle. Elle lui accorde son attention en se promettant de revenir sur leurs découvertes plus tard. Elle soupire, la queue collée à l'une de ses pattes arrières. Alors que ses lèvres s'ouvrent, Naifu la précède. Nihahsah ne s'offusque pas, le laisse exposer les premiers éléments.

- En effet. Cerys a découvert de l'eau. Pure. Si tu pouvais m'accorder un moment un peu plus tard, d'ailleurs... Il y a des éléments sur lesquels j'aimerais m'attarder mais je ne pense pas que le faire maintenant soit nécessaire. Ce ne sont que des observations « mineures ». (Elle soupire en levant les yeux vers le ciel.) Le rassemblement qui a suivi ne s'est pas très bien passé. Mu'Awiya a décidé de plusieurs choses qui bouleverseront notre quotidien sans en informer qui que ce soit au préalable. Je me suis sans doute un peu emportée. Mais... Thulrur, il y a de l'eau pure ! Bonne à boire, sans parasites, avec un courant ! Elle nous serait si bénéfique au jour le jour... Mais Mu'Awiya veut qu'on continue à vivre ici, au Repos ; les adolescents n'ont pas la permission d'aller au point d'eau sans être escortés par deux adultes par tête. Et ce n'est qu'une décision parmi tant d'autres. Je me suis donc exprimée contre, Mu'Awiya ne l'a pas accepté. D'autres voix se sont levées, dont celle de Theluji.

Nihahsah soupire à nouveau, secoue la tête pour montrer sa désapprobation. Elle s'assied, puis enroule sa queue autour de ses pattes.

- Il l'a provoqué en duel. Si Nguvu n'avait pas trouvé les mots, je pense qu'un combat aurait eu lieu. (Elle couche les oreilles sur le crâne.) J'aurais mieux fait de me taire.

Le pire, c'est que Nihahsah le pense. Non pas qu'elle soit lâche, ou n'assume pas ses propos. Elle est réellement persuadée qu'ils sont voués à mourir s'ils restent au Repos trop longtemps mais... Mais, ses opinions ne devraient pas mettre en danger un adolescent déjà blessé. Theluji n'aurait peut-être pas montré une opposition aussi franche au chef si Nihahsah ne l'avait pas précédé, après tout ? Qui sait.

Alors qu'il s'intéressait au duo d'accueillants, Thulrur suivait d'une oreille l'échange entre Ienzo et son patient. Theluji n'avait pas remis en cause une seconde les propriétés de la mixture, et ce genre de confiance aveugle aurait inquiété Thulrur, si elle ne lui donnait pas raison. Mais pour l'instant, il était bien content que Theluji n'ait pas résisté - ce n'était, de toute façon, pas le moment de faire des manières. C'était soit la salve, soit rien du tout - et au vu des ressources à disposition... Difficile de s'en remettre à la nature seule.

Et justement, en parlant de ressources, voici que Naifu lui annonçait le départ et le retour d'expédition de Mu'Awiya. De l'eau, c'était exactement ce que Jiwa, Ienzo et lui-même avaient tenté de trouver; et s'ils avaient trouvé des traces indéniables d'humidité, ils n'avaient pas repéré de point d'eau à proprement parler. Que Mu'Awiya en ait trouvé un avant lui faisait franchement mal à son ego, avouons-le.
Il lança un regard interrogateur à Nihahsah quand elle fut évoquée, se demandant pourquoi elle avait suivi cet imbécile. L'y avait-il forcée ? Jouait-elle un double-jeu ? Comme pour répondre à ses interrogations secrètes, elle enchaîna à la suite du jeune Rougeois d'un discours animé qu'il écouta en silence.
- [...] Si tu pouvais m'accorder un moment un peu plus tard, d'ailleurs... Un hochement de tête affirmatif en réponse.

A ses dires, il comprenait qu'elle n'ait pas été d'accord avec le leader : depuis qu'il les avait rejoints, Thulrur savait que les Msafara ne s'arrêtaient jamais à une étape plus de quelques jours. Surtout pas sur un lopin de terre pauvre, ou quand un mort ou une disparition avait eu lieu. C'était un clan de nomades et, s'ils espéraient un jour pouvoir s'établir quelque part, ce n'était ni le moment ni l'endroit ! A quoi pensait Mu' ?! Pourquoi ne pas continuer leur voyage, alors que ça faisait une année complète qu'ils étaient sur les routes ?

Elle finit par se blâmer, prenant sur elle la responsabilité de l'emportement de Mu'Awiya et de l'insolence de Theluji. Thulrur plissa les yeux, trouvant tout cela très suspect - déjà, parce que Nihahsah n'était pas connue pour faire des vagues. Elle n'avait jamais contredit le guide Msafara, et quand ils en avaient tous les deux parlé la veille, un peu par hasard, elle avait ri sous cape et murmuré sa divergence.
Elle ne le hurlait pas sur tous les toits. Et pourtant, elle avait parlé aujourd'hui. Elle avait poussé d'autres à le faire. Pensif, le montagnard coula un regard en coin vers Theluji. Un duel ? Ou un défouloir ?

- Comment ça, "il ne l'a pas accepté" ? Qu'est-ce qu'il a fait ? Qu'est-ce qu'il t'a fait, Nihahsah ? Mais, sans lui laisser le temps de répondre, il continua :
- Il allait te tuer, fit-il en se tournant vers l'ado blanchâtre et à présent parsemé de bou(s)e. Sa voix était incrédule, presque plate. Puis, comme s'il réalisait seulement toute l'ampleur de ce duel, il planta son regard sur Ienzo. Il allait le tuer ! Plus fort, cette fois. Les crocs serrés, l'air furibond. Il allait tabasser un gamin déjà blessé, tout ça pour se défouler et garder son prétendu pouvoir ?! Il n'en revenait pas. Mu'Awiya avait été une menace pour Nsiese, une menace toute différente. Il venait de prouver être une menace pour Theluji. Des ados, toujours des ados, comme s'il avait trop peur de s'en prendre à quelqu'un de sa taille. Thulrur reporta son attention sur Naifu et Nihahsah. Qui serait le prochain ? Qui l'avait déjà été ? Un tel comportement, ça ne naissait pas du jour au lendemain; Mu'Awiya ne faisait que révéler sa vraie nature : celle d'un mâle colérique et violent. Avait-il déjà agressé autrui, avant l'arrivée de Thulrur chez les Msafara ? Il considéra Nihahsah, la seule Msafara dont il s'était rapproché, d'un œil nouveau et horrifié. Elle en savait sans aucun doute plus que lui sur Mu'Awiya. Il posa le même regard sur Naifu; un ado tout juste intégré, dans la même situation que Theluji. Et si c'était lui, la prochaine cible ? Et si, non content de s'en être pris à Theluji, Mu'Awiya se mettait en tête de prendre Naifu comme responsable de la disparition de Nsiese et, par conséquent, des premières dissensions dans le clan ?

Personne n'était en sécurité. Et, au-delà de ça, Thulrur refusait de respirer le même air qu'un type pareil.
Encore une fois, il regarda Ienzo. Ils étaient deux mâles entiers, et ça ne les empêchait pas d'être respectueux et sensés. Nguvu était dans le même cas qu'eux, s'il avait eu la décence et l'audace d'empêcher Mu' de commettre un crime. Rien n'excusait le comportement de Mu' - ni coutume ancestrale, ni tradition vieillotte. Cette ridicule tentative de dictature n'était pas la norme chez les Msafara, et Mu'Awiya n'avait rien pour la justifier; ni force, ni intelligence, ni légitimité.
Et tout ça était clair comme l'eau de roche dans le regard de Thulrur. Lui, cacher ses ressentis ? Ha !
Rien ne nous oblige à être ses victimes, semblait dire son regard à Ienzo. Comme si, une fois encore, il cherchait en lui un appui qui renforcerait sa propre colère.

De l'eau, ils ont trouvé de l'eau ! À l'entente de la nouvelle, le caverneux sentit une bouffée d'euphorie lui monter à la tête et à l'aide d'une longue et silencieuse inspiration, il se retint de bondir comme un enfant à qui on viendrait de promettre la plus belle des aventures. Ça lui importait si peu de savoir que Mu'Awiya avait réussi là où ils avaient échoué, la présence de l'eau lui avait tant manqué qu'il lui était impossible de ressentir une quelconque amertume.

Et pourtant.
L'étincelle de son regard s'était éteinte au fur et à mesure que Nihahsah l'avait ramené à la réalité. Que le meneur se permette de prendre des décisions sans l'avis de personne n'était pas une surprise pour lui, mais qu'il leur ordonne de rester ici ? À découvert, juste aux frontières de la brume, sans la moindre source d'eau potable et des proies qui se feraient décimer tôt ou tard !? Et qu'on ne lui fasse pas croire que c'était une question de sécurité. Ici n'avait rien de plus sûr que là-bas et ce n'était pas deux adultes avec un adolescent qui allaient dissuader les brumeux d'attaquer si jamais ils leur tombaient dessus. Ou quoique ce soit d'autre, d'ailleurs.

Bien sûr que Mu'Awiya n'avait pas accepté qu'on le contredise. Les oreilles contre la nuque, Ienzo avait serré les dents pour contenir un grognement d'exaspération ; une retenue qui ne dura pas. Les mots de Thulrur le frappèrent soudainement, faisant redresser ses oreilles alors que son regard incrédule se reposa sur Theluji. Tuer. Non, il aurait fini par s'arrêter, pas vrai ? Ienzo se tourna vers le montagnard, la gueule entrouverte dans l'intention de lui poser la question, mais le regard qu'il planta sur lui provoqua la mort de son espoir au bord de ses babines. Non, il l'aurait tué. Si ça n'avait pas été par sa propre patte, ça aurait été en lui provoquant une infection avec les autres plaies qu'il lui aurait infligé.

... Il a pris ces décisions sans même attendre notre retour. La colère de Thulrur était communicative, car la voix habituellement douce du caverneux avait maintenant la dureté de la roche sur laquelle il était né. Et si nous avions de nouvelles informations qui changeaient la donne ? Il avait pensé à ça, l'autre ? Non, bien sûr que non. Mu'Awiya s'était précipité à revenir au clan dès la première découverte pour se faire acclamé, voilà tout. Des adorateurs, c'est tout ce qu'il voulait. Il va finir par tous nous tuer, que ça soit d'une manière ou d'une autre.

Il fronça les sourcils, relevant les yeux dans la direction du petit groupe - même Naifu. Sa voix était moins rêche, bien qu'encore teintée d'une certaine gravité. Que fait-on ? Pas besoin de s'attarder plus sur Mu'Awiya, il ne représentait plus rien à ses yeux. S'il avait un jour représenté quelque chose. Je serais d'avis de nous diriger vers la source quand nous serons au complet, au moins pour nous réhydrater. Faire des groupes ne rime à rien, nous ne savons pas combien ils sont dans la brume et s'ils se déplacent par cinq, même deux adultes et un adolescent n'y pourront rien s'ils veulent attaquer.

Pour ne pas être ses victimes, il faut agir maintenant.
Répondit-il en silence à Thulrur, sur lequel il posa un regard lourd de sens.

Theluji avait écouté les échanges et réactions des différents protagonistes. Il n'avait pas jugé pertinent d'intervenir lui-même après tout, Nihahsah avait parfaitement expliqué ce qu'il s'était passé, ça ne servait à rien qu'il en rajoute une couche.
Sous les regards éberlués de Thulrur et Ienzo, le jeune hoche simplement la tête. Là encore, il n'avait pas besoin de répondre. Bien sûr que le leader tigré l'aurait tué, il n'avait pas l'ombre d'un doute la dessus. Pour autant, il ne regrettait rien et, face à la lionne qui regrettait son acte, le lion clair ne pu s'empêcher de répliquer d'une voix douce mais ferme :

- Ce n'est en rien votre faute ! Vous n'êtes pas la seule à penser ainsi et, dans un clan, faire part de ses idées est essentiel pour la survie. Alors il ne faut jamais regretter ni avoir peur de ses pensées surtout si elles sont justifiées !

Il ne voulait pas lui faire la morale, il voulait juste la lui remonter. Mais il était un peu maladroit dans ce genre de chose et il espérait seulement que la femelle ne prendrait pas trop mal une telle prise de position de sa part.

Reportant son attention sur les deux mâles, il écouta Ienzo proposer un plan d'action. Réfléchissant à son tour, il se permit de reprendre la parole après un bref silence.

- ''Être au complet '' ne serait-il pas dangereux ? Je veux dire, il y aurait tout le monde, certes, mais ça impliquerait également Mu'Awiya. Et sa réaction face à ce désir de partir risquerait d'être encore plus violente et sanguine que ce qu'on a pu voir jusqu'alors.
Pour éviter tout bain de sang inutile, ne serait il pas plus sage de partir maintenant et de revenir après récupérer ceux qui le désireraient ?

Elle a les yeux baissés sur le sol plein de poussière. L’une de ses pattes en rassemble un peu, comme pour s’occuper l’esprit. Comme pour échapper aux prunelles sûrement posées sur elle. Qu’est-ce qu’ils pensent, là, hein ? Sa gorge est sèche. Les premières réactions lui tombent sur la nuque comme une lame. Thulrur ne la condamne pas, non. Il semble s’insurger. Bouillir au-dedans. C’est ce qui lui fait lever les billes, à Nihahsah. Elle se surprend à lire la colère — ou le dégoût ? — derrière les cils sombres. Elle frissonne. Le petit moment passé à ses côtés lui a fait oublier que c’est un mâle comme un autre : qu’il a un potentiel de destruction plus important que le sien, en somme. Elle se retient de reculer comme il convient de le faire pour s’abriter d’une explosion.
Thulrur n’est pas Mu’Awiya.

Son cœur se serre lorsqu’il soulève les points qu’elle a inconsciemment passé sous silence. Ou, du moins, qu’elle a adouci parce que son esprit n’arrive pas réellement à l’accepter. Ses orbes rougeâtres errent jusqu’à Theluji. Ils suivent les courbes formées par les blessures abandonnées sur sa peau de môme. La culpabilité prend d’assaut la forteresse de son âme. Elle ne comprend pas qu’on ait pu s’en prendre à quelqu’un de si jeune. Peu à peu, une autre question vient défoncer les quelques repères qu’il lui reste.
Comment on peut se dire « chef », se croire digne de la loyauté d’un groupe, quand on est prêt à pulvériser un enfant — un enfant placé sous notre responsabilité et protection — qui a eu le malheur d’être trop passionné ?
Un môme qui, d’ailleurs, la sermonne presque de ne pas défendre plus sérieusement son point de vue, ses positions. Elle écarquille d’abord les billes en le scrutant, puis le plâtre sur son visage se fend d’un sourire mi-doux, mi-amusé. Elle se redresse un peu pour retrouver sa droiture habituelle.

Elle ouvre doucement les yeux sur la réalité. L’illusion derrière laquelle elle s’est planquée fond comme de la neige sous le soleil. Oui, elle a rejoint Msafara pour augmenter ses chances de retrouver sa famille ; oui, ces personnes sont importantes pour elle mais… Mais il n’est pas question de ramper plus longtemps. Elle en a assez de le fuir, d’avoir peur que le scénario se reproduise et qu’il ait plus de chance la seconde fois. C’est la voix d’Ienzo qui la tire de ses pensées. Elle hoche la tête, Nihahsah. Ses réflexions sont les mêmes que les siennes au moment du rassemblement. Mu’Awiya a profité de l’absence de la plupart des mâles entiers adultes pour prendre des décisions.

Elle écoute les propositions de chacun. Si l’empressement de Theluji trouve un écho dans son cœur qui veut se barrer d’ici au plus vite, la raison d’Ienzo parle à son esprit.

- Je serais du même avis que Theluji s’il n’y avait pas la menace des lions dans la brume. S’il arrive quoi que ce soit à quelqu’un qui a été laissé derrière, nous serons pointés de la griffe. Inutile de préciser que Mu’Awiya sera ravi de nous jeter la pierre le premier. La proposition d’Ienzo me semble être la plus sage. (Elle adresse un signe de tête grave aux mâles adultes.) Cela étant, si on décide de prendre l’initiative de faire avancer la caravane en le lui imposant, il faudra se préparer à un combat. Je vous aiderai comme je le pourrai mais je doute d’être un atout face à un autre lion mâle. Je suis chasseresse, moi. Pas une guerrière. Quoi qu’il arrive, je guiderai ceux qui désirent aller au cours d’eau.

Elle se replie dans un silence salutaire pour laisser aux autres l’occasion de poursuivre les échanges.

Ienzo et Nihahsah semblaient tous deux suggérer de garder la Caravane unie. De ne pas séparer ses maigres forces et de jeter le seul œuf pourri du panier. De ne pas sacrifier les autres à cause d'un seul lion, et de déraciner cette unique mauvaise herbe pour sauver le jardin tout entier.
Theluji, lui qui ne ressentait (à juste titre) aucune camaraderie envers les Msafara, était plutôt d'avis de partir tout de suite sans demander son reste et de récupérer ceux qui désiraient se joindre à leur exode plus tard. Thulrur était nettement de cet avis-là. Partir sans attendre, faire passer le mot à ceux qui voudraient les rejoindre. Le seul argument qu'Ienzo et Nihah' plaçaient contre l'idée de Theluji était la menace des lions de la brume, mais Thulrur n'était pas convaincu - les Msafara au complet n'étaient qu'une petite quinzaine. Si une seule patrouille de ce clan inconnu était composée de cinq lions, c'était que leur clan devait compter beaucoup plus de membres. Alors, qu'ils soient eux-mêmes cinq ou quinze face à eux, c'était du pareil au même : dans tous les cas, ils étaient foutus, alors il ne fallait pas espérer tenter de les dissuader ou de les amadouer par la force. Leur seule chance contre ces brumeux était la diplomatie pure. Pensif, Thulrur tourna le regard vers les tréfonds du brouillard.

- Fuir ou se battre ? Il se fendit d'un éclat de rire sarcastique. Theluji voulait fuir la colère de Mu'Awiya et le bain de sang qui en découlerait; Nihahsah, elle, était prête à se jeter dans une rixe contre lui. En découdre une bonne fois pour toutes avec Mu' n'était pas une mauvaise idée, mais Thulrur n'était pas sûr de vouloir prendre ce risque : même en cas de victoire, il pourrait finir blessé, estropié, incapable de chasser et voué à la mort. Un combat n'était jamais à prendre à la légère. Et lui, il devait encore vivre longtemps s'il voulait un jour revoir les siens.

Il se tourna vers la forêt. Le brouillard y régnait mais, après les révélations des dieux qui y vivaient, il était évident que les lions de la brume n'étaient pas les bienvenus là-bas. Certes, Thulrur ne voulait pas risquer de froisser les entités forestières qui s'y cachaient, et qui leur avaient expressément dit que cette forêt leur appartenait - mais ils pouvaient en rester à la lisière et la longer, s'enfoncer ainsi plus loin dans le Pays de Nchi... tout en restant loin du dangereux brouillard. Ce serait abandonner Nsiese pour de bon; et alors ? Personne n'irait la chercher.

- Il y a d'autres chemins. Il n'y a pas que la brume. Il posa les yeux sur Ienzo, le seul qui avait vu la forêt. L'humidité qui y était presque partout. Il y aurait de l'eau et de la nourriture s'ils s'en rapprochaient, même s'ils n'y entraient pas - Thulrur en était sûr. Les Msafara ne sont qu'une poignée d'affamés. A deux ou à quinze, on ne fera de toute façon pas le poids face à un clan. Je suis prêt à tenter ma chance autre part; seul, s'il le faut. Il les regarda tour à tour - Ienzo, Nihahsah, Theluji, Naifu. Je pense même que dans l'état actuel des choses, nous aurions plus de chances en étant un très petit groupe uni plutôt qu'une poignée d'âmes divergentes guidées par un fou violent.

Mais c'était aussi un gros risque à prendre et l'idée de Thulrur impliquait de laisser derrière eux quelques lions qui auraient pu être précieux - comme Nguvu, Kosa et Cerys. Il n'aimait pas ça; mais dans toute situation, il y a des sacrifices à faire... Il n'y aurait jamais de solution parfaite.

Il avait les babines scellées depuis qu'on avait parlé de bain de sang, les yeux vagabondant sur la pointe de ses propres griffes. Le clan aura besoin d'un guide - il glissa un coup d'oeil aux pattes de Nihahsah, de protecteurs - puis il regarda celles de Thulrur. Naifu n'avait pas la carrure suffisante pour s'opposer à un adulte et Theluji était blessé, alors il ne restait que...

Le sarcasme du montagnard sortit le caverneux de ses pensées, levant ses yeux incertains dans l'espoir de croiser les siens, mais ceux-ci s'en étaient déjà retourné vers la forêt. Voulait-il essayer ? Il n'était pas certain que ça soit une meilleure idée que la brume. Au moins, ils avaient l'avantage de savoir où était le ruisseau dans celle-ci, alors qu'ils connaissaient tout juste la piste qui pourrait les mener à un dans les bois. De plus, ses habitants n’apprécieront sûrement pas qu'ils reviennent, peut-être que cette fois, ils ne seront pas aussi conciliants. Et si la forêt était hors de portée, combien de temps le clan mettra-t-il à trouver des terres libres ? Elle lui semblait si gigantesque qu'elle en devenait impossible à contourner sans condamner les affamés à subir d'autres pertes.

Prétendre qu'entendre Thulrur dire qu'il était prêt à partir seul ne lui avait pas fait mal aurait été un mensonge. L'espace d'une journée, il avait oublié qu'ils n'étaient que des étrangers réunis par le destin ; que certains n'auraient pas de remords à faire des sacrifices quand d'autres sentaient déjà leurs coeurs peser depuis la première perte. Ienzo baissa les oreilles et détourna le regard quand Thulrur posa le sien sur lui, incapable de lui donner la réponse qu'il attendait - ou qu'il aurait aimé qu'il attende de sa part.

Si tu penses que ceux qui le voudront, arriveront à faire le chemin, alors... Il hocha la tête d'un air entendu, malgré qu'il n'en pense pas moins. Avec leurs maigres repas, leurs gorgées d'eau malade. Je reste ici pour essayer de récupérer les absents. Oui, il savait que Mu'Awiya serait parmi eux, qu'il risquait d'être la cible de sa rage - si ce n'était sa victime, lorsqu'il apprendrait que le clan s'était fracturé. Et ? Il faut bien des sacrifices, non ? Avec un peu de chance, le découvrir sous son véritable jour mettra un peu de plomb dans la cervelle de ceux qui voudront toujours se risquer à se laisser guider par un lion pareil.

S'il avait dit à Cerys qu'il reviendrait, ce n'était pas pour l'abandonner aux pattes de ce fou dès la première occasion.

Theluji pousse un petit soupir silencieux sous le sourire de la lionne. Au moins, elle n'a pas mal prit sa réflexion, c'est déjà ça. Lui rendant un peu timidement son sourire, le jeune reporta son attention sur les échanges. Il écouta les avis de tout à chacun sans mot dire, reportant finalement son attention du Thulrur qui était devenu, tacitement semblait-il, la figure d'autorité de ce petit groupe. L'adolescent espérait très fort que son idée marcherait et il du planter ses griffes dans le sol pour se faire violence et ne pas sauter de joie en entendant les paroles du lion brun. En revanche, celle du lion à petite crinière qui suivirent attristèrent un peu le jeune. Non pas qu'il fusse particulièrement lié à ce dernier mais il l'appréciait sincèrement. Aussi, le fait de devoir le laisser derrière lui faisait un petit pincement au cœur. Cependant, ça ne serait pas le genre de chose qui l'arréterait pour autant. S'il voulait rester, c'était son choix et il le prenait en pleine connaissance de cause. Le lion clair ne s'émût ainsi pas outre mesure ; il posa simplement un regard un peu triste sur Ienzo, sans en dire plus.

Secouant la tête pour se reprendre, il porta son attention sur Thulrur, le regardant d'un air intrigué alors que les idées commençaient à fuser dans sa tête. Mais il fallait qu'il se contienne, il ne voulait pas les irriter avec un trop plein de questions.

- Comment fait-on alors ? Partons-nous maintenant en profitant de la lumière pour avancer ? Ou attend-nous le couvert de la nuit sous peine d'avancer plus difficilement mais plus discrètement ?

Pour lui, il était plus logique de partir tout de suite mais il se garda bien de le dire. Il ne voulait pas paraitre pressant même s'il se doutait un peu que les autres avaient clairement comprit ses intentions. Il se retint donc, laissant ses questions en suspend, attendant une réponse tout en étant prêt à sauter sur ses trois pattes pour décamper d'ici.